Prague n’entend pas se faire dicter par Bruxelles sa législation sur le tabac
Bruxelles cherche à intensifier la lutte contre le tabagisme chez les jeunes. La Commission a planché sur un projet de directive permettant de durcir la réglementation du marché des cigarettes, mais l’initiative fait grincer des dents à Prague où l’on s’inquiète des conséquences commerciales et politiques.
Elle propose notamment de rendre obligatoire une uniformisation des paquets de cigarettes, selon des règles bien plus strictes. En plus de l’avertissement écrit des dangers du tabac, déjà présents sur les paquets vendus en Europe, elle souhaiterait imposer des images choc illustrant visuellement ces risques. Ceci limiterait l’espace restant à disposition de la marque à seulement 25% de la surface du paquet, contre 60% aujourd’hui. Cette idée, venue d’Australie et du Canada, est déjà appliquée dans huit des vingt-sept pays de l’Union européenne. Mais pour la Commission, ce n’est pas suffisant, et les députés européens ont eu à débattre de l’extension de cette obligation à l’ensemble de l’UE. L’eurodéputé ODS Milan Cabrnoch rapporte des débats plutôt agités :
« L’atmosphère était bien plus chargée émotionnellement que d’habitude. L’écrasante majorité des députés qui sont intervenus l’ont fait pour soutenir la proposition de la Commission. Mais j’ai souligné que tant le gouvernement que le parlement tchèque avaient une opinion négative de ce projet et s’y opposaient. »Prague conteste en effet cette initiative. Le gouvernement considère que la régulation de l’industrie du tabac n’est légitime qu’à l’échelon national, et que les Etats doivent demeurer libres d’appliquer ce qui leur semble efficace. Le ministre de l’Agriculture Petr Bendl, qui est en charge du dossier, ne mâche pas ses mots. Parlant de « socialisme », il accuse la Commission d’ingérence dans le secteur des entreprises, en leur disant ce qu’elles devraient faire ou ne pas faire avec leurs emballages.
Et il ne s’agit pas du seul argument contre ce projet avancé par les politiciens tchèques. Ils redoutent aussi de perdre des électeurs en votant des politiques qui seraient perçues comme une sanction pour toute une partie de la population, et notamment la jeunesse, alors qu’un jeune Tchèque sur deux est fumeur occasionnel. Richard Falbr, le leader des sociaux-démocrates tchèques au Parlement européen, l’a avoué sans détour lors du récent congrès du parti :
« La lutte contre le tabagisme, il faudrait la ralentir un peu, car je crois que la plupart de nos électeurs fument. Je vais donc m’élever contre cette directive au Parlement européen. »Les parlementaires tchèques sont rejoints dans leurs positions par l’industrie du tabac, laquelle a fait comprendre via ses représentants qu’une telle directive ne pouvait qu’encourager le développement du marché noir.
Sans surprise, ce sont les associations de lutte contre le tabagisme qui accueillent le plus chaleureusement ce projet de directive. Elles applaudissent notamment l’autre ambition présentée par la Commission, celle de faire interdire la vente des cigarettes fines, dites « slim », ainsi que celles ayant été aromatisées, notamment à la menthe. Deux produits marketings destinés au marché des jeunes consommateurs et qui sont redoutables d’efficacité : près de 10 millions d’Européens en consommeraient régulièrement. Un succès vicieux que le docteur de la Faculté de médecine à Prague Eva Králíková explique aisément :
« Les cigarettes ‘slim’ donnent l’impression que si vous les fumez, vous serez mince, belle, riche et aurez une vie pleine de succès. Ce qui est évidemment l’exact opposé de ce qui se passe en réalité. »Le débat au Parlement européen intervient au moment même où le ministre de la Santé tchèque Leoš Heger tente de défendre son projet de loi visant à interdire la cigarette dans tous les restaurants dès 2014. Un projet qui, de son aveu même à la télévision ce week-end, n’a que peu de chances d’être adopté par l’actuelle majorité.