Présidentielle : « La participation montre un engouement certain pour cette élection »
La campagne électorale pour le deuxième tour du scrutin présidentiel bat son plein avant l’ouverture des bureaux de vote le 27 janvier. RPI a posé quelques questions sur le sujet à Fabrice Martin-Plichta, ancien correspondant de la presse française à Prague et résident en Tchéquie depuis plus de trente ans.
Andrej Babiš a un dossier d’agent à la StB, l’ancienne police secrète de l’Etat communiste, et l’une des principales critiques formulées à l’encontre de Petr Pavel est son ancienne appartenance active au parti communiste. Comment expliquez-vous que les deux candidats du second tour aient des liens aussi importants avec l’ancien régime ?
« C’est une question de génération. Il faut savoir que pendant les années du communisme, jusqu’en 1989, deux millions de Tchécoslovaques, dont un million de Tchèques, étaient membres du parti. Souvenons-nous que la Charte 77, le grand document qui a fédéré la dissidence autour de Václav Havel, n’a été signé que par 500 personnes. Babiš a été neuf ans membre du parti, et Pavel durant trois ans. Pavel était un militaire de l’armée tchécoslovaque du pacte de Varsovie, et Babiš était, à priori, affilié à la StB même s’il le dément. Mais selon les sources qui sont archivées en Slovaquie, il est clairement nommé comme agent. Andrej Babiš a travaillé pour les sociétés d’export-import communistes qui étaient un repère de ce genre d’agents. Ce qui est tout autant une forme de collaboration élevée au régime communiste que d’avoir été un militaire. »
Ancien Premier ministre et proche du président sortant, l’éventuelle victoire d’Andrej Babiš au second tour ne serait-elle pas une sorte de continuité du mandat de Miloš Zeman?
« Ce serait une vraie continuité. Les deux hommes partagent un certain nombre de traits psychologiques communs : ils ne sont pas faits pour rassembler, unir, calmer, chercher les points de contact et de cohésion de la société. Ce serait, donc, une très mauvaise nouvelle pour ce pays. »
Il s’agit seulement de la troisième élection présidentielle au suffrage direct en République tchèque. Les premières se déroulaient il y a 10 ans. Selon vous comment la relation qu’entretiennent les Tchèques avec la politique a-t-elle évolué ?
« Ce scrutin a enregistré une participation record pour ces troisièmes élections présidentielles. C’est même un taux de participation élevé lorsqu’on suit la tendance des dernières années aux élections législatives, régionales ou municipales. Cela montre bien que les Tchèques s’intéressent à la politique, qu’ils continuent à la suivre. Néanmoins, comme on peut l’observer dans quasiment tous les pays démocratiques, il y a une certaine lassitude, ou du moins un problème à saisir l’importance d’aller voter ou l’importance des enjeux qui sont au centre de ces élections. Les Tchèques ne sont pas dans une pire position qu’ailleurs, cette participation montrant justement qu’il y a eu un engouement certain pour cette élection présidentielle. »
L’acquittement d’Andrej Babiš le 9 janvier dernier après son procès concernant une affaire de fraude aux fonds européens pourrait-il jouer en sa faveur lors du second tour ?
« Je n’ai pas l’impression que cela ait joué tout particulièrement pour lui dans le premier tour. Je ne pense pas que les Tchèques se décideront par rapport à cette décision de justice, qui a surpris beaucoup de monde. Le doute pouvait être entretenu jusqu’au bout mais il a été levé avant les élections, ce qui est déjà une bonne chose pour que le débat démocratique se passe avec une épée de Damoclès en moins sur la tête des électeurs. »
Le président français Emmanuel Macron avait été critiqué en Hongrie quand, à l’automne 2019, il avait reçu le chef du gouvernement hongrois, Viktor Orbán, deux jours avant les élections municipales. La réception d’Andrej Babiš à l’Élysée le 10 janvier dernier, soit trois jours avant les élections présidentielles tchèques, a également provoqué la consternation en Tchéquie. Pensez-vous qu’il y ait là une ingérence politique de la part du président français ?
« Il y a là une ingérence. Mais malheureusement c’est une habitude des hommes politiques français : ils en ont fait à peu près dans toutes les élections, et cela dans toute la région. Je m’étonne que l’on continue à en faire. Mais malheureusement, la diplomatie française continue ce qu’elle a fait durant le communisme : elle a failli rater la révolution de velours en 1989 puisqu’un certain nombre de diplomates n’étaient pas vraiment au courant de ce qui se préparait. De plus, ils jouaient plutôt le jeu du communisme et de la stabilité pour ne pas se compliquer la vie. Je vois que l’on continue, aujourd’hui, plus de trente ans après, à faire les mêmes bourdes. »
A l’heure où la Russie attaque toujours l’Ukraine, pensez-vous que la figure de Petr Pavel, ancien général de haut rang au sein de l’OTAN, soit rassurante pour la population tchèque et puisse éventuellement jouer en sa faveur lors du second tour ?
« Pavel est un ancien militaire très haut gradé, responsable à l’OTAN, qui a, pendant trente ans, travaillé pour la paix. Cela ne peut que rassurer les Tchèques d’avoir quelqu’un qui est au courant de ce que représente l’armée. D’autant qu’il a participé à des opérations sur le terrain. Je pense que cela peut être un atout pour lui. Ce n’est pas le seul atout, ni la seule raison qui fera que les Tchèques choisiront plutôt Pavel que Babiš, mais cela en fait partie. »
Le premier tour des élections, qui s’est déroulé les 13 et 14 janvier derniers, a rassemblé 68,24 % des électeurs contre 61,92 % il y a cinq ans. Comment expliquez-vous cette nette hausse de participation ?
« L’enjeu est important : celui de remplacer et d’avoir un nouveau président après dix années terribles de présidence Miloš Zeman. Beaucoup de Tchèques ont décidé d’y participer, d’autant plus qu’il y avait un certain nombre de candidats de valeur. On se dirige donc vers un duel entre une « présidence-continuité » et peut-être, enfin, un retour à une présidence plus constitutionnelle qui tord moins les règles, plus paisible et consensuelle, qui cherchera l’unité et non la division. »
Danuše Nerudová, qui est arrivée à la troisième place du premier tour, a affiché ouvertement son soutien à Petr Pavel pour le second. Est-ce surprenant ?
« Non ce n’est pas surprenant. Il est sûr que les deux candidats étaient au coude-à-coude durant toute la campagne. La fin de campagne a été plus convaincante pour Pavel, donc beaucoup de gens ont « voté utile ». Ils ont préféré donner leur voix dès le premier tour à Pavel pour ne prendre aucun risque. Ce n’est donc pas très surprenant. Finalement, Nerudová et Pavel sont des personnes qui partagent un nombre considérable de convictions : pro-démocratiques, pro-européennes, d’ouverture, de recherche de cohésion, et surtout d’en finir avec l’héritage de Zeman. Cependant, ce dernier n’est qu’une prolongation de l’héritage de Václav Klaus, qui avait présidé dix ans auparavant. Ils ont toujours été des personnages clivants, qui ont divisé la société et exacerbé les divisions et les différences. Nerudová et Pavel représentaient cette volonté de revenir à une présidence intelligente, telle que l’on a connue avec Václav Havel. »