Presse : Kyiv ou Kiev ? La Tchéquie tergiverse
La Tchéquie adopte-t-elle facilement les nouvelles appellations géographiques ukrainiennes à la place de celles russes auxquelles elle avait été habituée ? Réponse dans cette nouvelle revue de la presse. Il y sera également question d’une nouvelle phase de l’accueil de réfugiés ukrainiens. Un regard ensuite sur les nombreuses présentations cinématographiques de l’attentat sur Reinhard Heydrich commis le 27 mai 1942. La campagne menée actuellement par l’ex-Premier ministre Andrej Babiš est un autre sujet traité. Quelques mots enfin sur une des candidatures présidentielles annoncées qui est très médiatisée.
La réaction face à l’agression russe en Ukraine se déroule également au niveau linguistique. La campagne ukrainienne #KyivNotKyev qui avait été lancée après l’annexion de la Crimée et qui remporte désormais de grands sucès en est un des témoignages. En Tchéquie pourtant, d’après ce que signale un texte publié dans le journal en ligne Deník Referendum, le débat qui y est lié demeure conservateur :
« Dès le début de la guerre russe en Ukraine, de nombreux périodiques étrangers dont, par exemple, The Guardian, Süddeutsche Zeitung, De Volkskrant ou Denník N en Slovaquie ont décidé de remplacer les appellations ukrainiennes locales russes par leurs variantes ukrainiennes, histoire de mettre en relief leur valeur symbolique. Il s’agit d’une approche qui est d’ailleurs conforme aux efforts que l’Ukraine déploie officiellement depuis déjà l’année 1995. »
Deník Referendum rapporte que les médias tchèques, quant à eux, ont admis cette modification avec une certaine réserve, refusant leur adoption universelle. Les discussions menées dans leurs pages ont effectivement favorisé le maintien des noms connus des grandes villes comme Kiev, Kharkov ou Lvov. Deux arguments sont à ce propos le plus souvent étayés : la non-existence en langue tchèque de la terminaison –iv et l’absence de la codification des nouveaux noms ukrainiens. L’éditorialiste du journal estime néanmoins :
« Aussi pertinents ces arguments puissent-ils paraître, ils sont pourtant faux. Du moment où l’utilisation des noms ukrainiens se répandra, leur codification sera également possible. Il faut aussi souligner que cette ‘révolution linguistique’ ne surviendrait pas d’un jour à l’autre. Ainsi, le nom de Kyiv, par exemple, pourrait être utilisé d’abord dans les médias et dans des documents officiels, avant de se propager dans la langue parlée ». A noter que notre rédaction francophone de Radio Prague International a opté pour les noms ukrainiens de Kyiv et des autres villes après l’invasion russe de fin février.
Une nouvelle phase de l’accueil de réfugiés uktrainiens
La situation en rapport avec les réfugiés ukrainiens en Tchéquie est en train de changer. C’est ce qu’estime l’auteur d’une note mise en ligne sur le site Seznam Zprávy. Il explique :
« Un ultimatum du maire de Prague. Des plaintes d’une partie des gouverneurs de régionsen lien avec le comportement de certains réfugiés. Un premier camp de tentes dans le quartier pragois Troja. Autant d’événements parmi beaucoup d’autres qui montrent clairement que la gestion de la crise migratoire causée par l’invasion russe en Ukraine entre dans une nouvelle phase. Elle exigera de la part de l’Etat tchèque de nouvelles aptitudes, différentes de celles auxquelles le premier choc de la guerre faisait appel. Il semble qu’après les premières réactions qui étaient exemplaires, le gouvernement commence à piétiner ».
Le chroniqueur rapporte que les réfugiés ukrainiens submergent Prague et la Bohême centrale et que les efforts précédents en vue de leur installation à travers les différentes régions du pays se sont avérés insuffisants. Selon lui, le temps presse :
« Pendant les vacances qui approchent, la volonté des hôtels et des pensionnats d’héberger les réfugiés va naturellement diminuer. Cela concerne également les familles qui ont offert une chambre ou un appartement pour quelques mois seulement, supposant que le gouverement allait trouver une solution durable. L’Etat est donc appelé non seulement à accélérer le processus de relocalisation des réfugiés, mais aussi à réévaluer les allocations accordées aux entrepreneurs et aux ménages solidaires. »
Reinhard Heydrich et l’opération Anthropoid en film
Le 27 mai, 80 ans se seront écoulés depuis l’attentat contre Reinhard Heydrich, protecteur du Reich de Bohême-Moravie, connu en tant qu’opération Anthropoid. Le quotidien Lidové noviny consacre à cet anniversaire une série d’articles pour se pencher entre autres sur la présentation du « bourreau de la nation tchèque » sur grand écran. Il constate :
« Dans les films consacrés à cet événement ou à la Deuxième Guerre mondiale, Heydrich est présenté, et pour cause, comme une incarnation du mal. Aucun d’entre eux n’a pourtant réussi à saisir les différentes facettes psychologiques de cette figure qui, d’un côté, était capable de commettre des brutalités absolues et, d’un autre côté, d’admirer les arts et de pleurer d’émotion en écoutant une oeuvre lyrique. »
Le journal rappelle que c’est déjà en 1943 que deux films américains ont puisé leur inspiration dans l’opération Athropoid. S’agissant du film L’Attentat du réalisateur tchèque Jiří Sequens tourné en 1964 qui est considéré comme le meilleur film jamais consacré à cet important chapitre de l’histoire tchèque, il indique :
« Sous pression des autorités communistes qui insistaient sur l’accentuation du rôle de la résistance communiste lors de l’opération, un rôle pourtant nul en fait, le réalisateur a été contraint à certaines concessions. Ainsi, les noms des parachutistes Gabčík et Kubiš, membres de la résistance occidentale, n’y sont pas mentionnés. Toutefois, L’Attentat est un film réussi qui, dans la mesure du possible et des conditions de l’époque, répondait à la réalité. »
En outre, l’opération Anthropoid est le sujet du film éponyme tourné en 2016 en co-production anglo-tchèque ou encore de celui intitulé HHhH et réalisé un an plus tard en co-production franco-américaine. « De qualité discutable, ils ont tous un trait positif en commun. Son protagoniste finit, tout comme dans la vie réelle, par mourir », écrit le journal.
La campagne de Babiš : tournée en caravane, panneaux géants
L’ex-Premier-ministre Andrej Babiš, leader du mouvement ANO, dans l’opposition, a ouvert sa tournée à travers la Tchéquie en se rendant en caravane en Moravie. Les médias locaux estiment que cette démarche de marketing politique n’a pourtant rien à voir avec un quelconque intérêt de son acteur pour les problèmes des gens. L’hebdomadaire Respekt a à ce propos remarqué :
« Certes, les gens ont le droit de voir de temps en temps des politiciens en chair et en os. Mais la situation actuelle est plus grave que d’habitude. Or, une telle excursion devrait étre acompagnée de discussions avec les gens sur les problèmes qui les préoccupent. En recourant en revanche à des promesses gratuites et à la critique des autres, Babiš manifeste que telle n’est pas son intention. Peu importe s’il agit ainsi aux fins de sa campagne présidentielle ou de ses intérêts partisans.»
De l’avis de l’éditorialiste de Respekt, lorsqu’il y a une crise, le gouvernement et l’opposition devraient chercher les meilleures solutions ensemble et éviter des campagnes qui attisent les émotions, « des campagnes pareilles à celle qui est menée à l’heure actuelle à travers les panneaux géants sur les bords des routes qui déclarent par la bouche de personnes en difficulté qui y sont affichées que ‘Sous Babiš on vivait mieux’», conclut-t-il.
Josef Středula, un candidat présidentiel pas comme les autres
La décision du leader syndical tchèque, Josef Středula, de devenir candidat présidentiel a eu un retentissement favorable dans les médias et ce même dans des périodiques orientés à droite. Le journal en ligne Forum24.cz, par exemple, estime que « cette candidature qui doit s’appuyer sur 50 mille signatures récoltées auprès des citoyens sera importante non seulement à cause de son impact sur celle du chef du mouvement ANO Andrej Babiš. Středula pourra également fortement influencer les sujets qui seront abordés lors de la campagne présidentielle et qui sont d’habitude ignorés. Le président de la Confédération tchéco-morave des unions syndicales est une figure clairement profilée dont l’intérêt est porté vers des questions pertinentes qui résonnent au sein de la société. Un aspect qui n’est pas évident chez les autres candidats. »
Le commentateur rapporte que les listes des candidats aux deux précédentes élections présidentielles tchèques, en 2013 et 2018, ont rarement présenté un aspirant aussi marqué. Il observe également :
« Le fait d’être une figure clairement orientée à gauche représente pour le leader syndical un certain désavantage. Il aura effectivement du mal à obtenir au premier tour des voix des sympathisants de la coalition gouvernementale SPOLU. Un avantage en revanche à son compte, c’est qu’il est porteur d’importants sujets sociaux et économiques. Eu égard à la situation difficile dans laquelle la Tchéquie se trouve actuellement, on peut s’attendre à ce que le public lui prête une oreille attentive ».