L’assourdissant silence des Russes qui ont fui leur pays

Samedi 26 mars plus de 3 000 ressortissants russes ont défilé dans les rues de Prague

Cette nouvelle revue de presse s’intéresse d’abord au silence qui entoure les Russes qui ont fui leur pays pour s’installer en Europe. Autres sujets qui ont résonné dans les médias tchèques cette semaine : l’entrée dans la danse d’Andrej Babiš candidat à l’élection présidentielle, les mauvaises conditions du Château de Prague, les positions différentes des Tchèques et des Slovaques vis-à-vis de l’Ukraine ou encore la visite d’une délégation ministérielle tchèque à Kyiv.

Selon les données de l’agence Frontex, près d’un million de personnes munies d’un passeport russe sont entrées dans l’Union européenne depuis le début de la guerre en Ukraine, et on estime de 400 à 900 000 le nombre de ceux qui ont fui la Russie depuis le lancement de la mobilisation partielle. « Pourquoi les Russes qui sont partis à l’étranger pour fuir Poutine et son régime se taisent-ils ? », se demande toutefois Hospodářské noviny. Le quotidien économique répond avec un exemple pertinent :

« Pendant la guerre en Ukraine, des dizaines de milliers de Russes sont partis également en Tchéquie. Un mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, environ 300 d’entre eux se sont rassemblés sur la place Venceslas à Prague pour protester, de concert avec des Tchèques et des Ukrainiens, contre la guerre. Ils n’y sont revenus que six mois plus tard, au début de la mobilisation en Russie fin septembre, encore moins nombreux. Et c’est tout. »

Ce silence, comme le souligne le journal, ne passe inaperçu nulle part en Europe. « On peut très bien comprendre que les Russes ne protestent pas dans leur pays soumis à un régime policier dur. Mais comment l’expliquer en Occident, où ils sont actuellement des centaines de milliers ? », insiste-t-il encore avant de conclure :

« Pour être admis par le monde démocratique, les Russes n’ont qu’une seule possibilité : faire savoir clairement et à haute voix qu’ils rejettent Poutine et tout ce qu’il représente. Agir en silence n’est pas ce qu’il faut pour le convaincre. »

Andrej Babiš dans l’arène présidentielle

« Un acteur très fort entre dans la danse bien que les sondages ne le favorisent pas. » C’est ainsi que Respekt a commenté la décision d’Andrej Babiš, ex-Premier ministre et actuel chef du mouvement populiste ANO, de se présenter à l’élection présidentielle. L’hebdomadaire libéral écrit aussi :

Andrej Babiš et les membres du parti ANO | Photo: Michal Kamaryt,  ČTK

« Babiš a conscience d’être apprécié de ses électeurs. Ceux-ci sympathisent avec lui sans se préoccuper de ses démarches, de ses scandales et de son passé. Il est donc probable que même un éventuel échec lors de l’élection présidentielle n’entamera pas sa notoriété. Andrej Babiš pourra également profiter du mécontentement d’une partie de la population et compter sur une excellente équipe marketing. Sa candidature lui permettra de devenir le leader de l’opposition face au gouvernement et aux tendances libérales au sein de la société. »

Deník N estime pour sa part que la candidature d’Andrej Babiš est la promesse d’un hiver long mais captivant et d’une campagne durant laquelle les candidats devront jouer des coudes. « Compte tenu des estimations, il peut apparaître comme un outsider, mais cela ne signifie pas qu’il sera facile pour ses adversaires de le battre », écrit le quotidien indépendant.

Hospodářské noviny note encore à ce propos :

« Durant les deux prochains mois, nous allons tout à la fois assister et participer à un combat pour le caractère de la Tchéquie. L’enjeu sera de savoir si elle est un pays de calculs marketing incarné par Babiš ou au contraire un pays prêt à répondre aux défis. Ces positions sont représentées par Petr Pavel et Danuše Nerudová, ses deux principaux adversaires. »

Le journal en ligne Deník Referendum est plus catégorique :

« Babiš présente une menace directe pour la démocratie. Oligarque, il concentre les pouvoirs médiatique, économique et politique. Pour lui, l’État est d’abord un instrument qui sert ses affaires. Lors de l’élection présidentielle, il ne s’agira ni plus ni moins d’une confrontation des deux tendances qui définissent la politique tchèque : démocratique et autoritaire. »

Donner un nouveau souffle au Château de Prague

« Le Château de Prague, siège de la chancellerie présidentielle, se délabre », titrait Lidové noviny en début de semaine. L’auteure de l’article, une historienne d’art reconnue, précise sa pensée :

Château de Prague est encerclé de barrages,  occupé par des soldats et des agents de police,  la sécurité y est omniprésente | Photo: Hana Mazancová,  ČRo

« Supprimer les mesures de sécurité mégalomaniaques, ouvrir le Château au public, renouveler son programme culturel : telles sont les démarches à entreprendre dès l’investiture du prochain président de la République. Une tâche difficile car, depuis plusieurs années, le Château de Prague est encerclé de barrages, occupé par des soldats et des agents de police, la sécurité y est omniprésente. On a du mal à comprendre les raisons du maintien de ces mesures qui ont coûté énormément d’argent et nécessité d’importants moyens humains. La question mérite d’être posée : le président tchèque est-il une figure si importante et menacée de l’extérieur qu’il doit être protégé plus encore que les chefs d’État sous le régime communiste ? »

Le journal rappelle que sous Václav Havel et Václav Klaus, les prédécesseurs du président de Miloš Zeman, dont le deuxième quinquennat s’achèvera en mars prochain, des modifications avaient été entreprises au Château de Prague pour rendre accessibles différents sites et lieux qui ne l’étaient pas auparavant. Cette activité, qui s’accompagnait d’un riche programme culturel, a été abandonnée par la suite. « Accorder à ce monument précieux les soins lui permettant de retrouver son lustre perdu apparaît comme un des grands défis qu’aura à relever la prochaine chancellerie présidentielle », conclut Lidové noviny.

En Tchéquie et en Slovaquie, des regards différents sur l’Ukraine

« Concernant l’Ukraine, la Tchéquie et la Slovaquie sont deux univers différents. » Tel est le titre percutant d’un article publié dans Deník N, dans lequel son auteur analyse les résultats d’un récent sondage de l’agence Ipsos relatif aux positions des citoyens des deux pays voisins sur la guerre en Ukraine. On peut lire :

Source: Gerd Altmann,  Pixabay,  Pixabay License

« Dans les deux pays, une partie de la population fait confiance au président russe, est opposée à l’aide accordée à l’Ukraine et dénonce l’aspiration de celle-ci à intégrer l’UE et l’OTAN. Cela dit, les Tchèques défendent la cause ukrainienne de manière beaucoup plus prononcée. Pour les Slovaques, la Russie représente la plus grande menace, c’est vrai, mais seulement la moitié de la population la considère comme telle, alors que ce chiffre tourne autour de 70 % en Tchéquie. Aux yeux des Slovaques également, les États-Unis, pays allié de l’OTAN, sont considérés comme la deuxième plus grande menace. Les Tchèques, quant à eux, sont beaucoup plus vigilants à l’égard de la Chine. De même, ils sont plus critiques envers le président russe et plus enclins à soutenir le président ukrainien Volodymyr Zelensky. »

Selon les auteurs du sondage, cités dans l’article, les différences entre les deux pays ne sont pas tellement étonnantes, les Slovaques semblant être plus fortement influencés par les fausses informations que les Tchèques. Le texte termine néanmoins sur une conclusion positive et immuable : Tchèques et Slovaques continuent de se considérer comme les alliés les plus proches.

Les ministres tchèques à Kyiv

« Petr Fiala se conduit comme un leader authentique. » Un avis exprimé sur Aktualne.cz suite au conseil des ministres des gouvernements tchèque et ukrainien qui s’est tenu à Kyiv lundi dernier. « C’est son deuxième geste extraordinairement fort et audacieux », rappelle le site :

« En mars dernier, Petr Fiala s’était déjà déplacé une première fois dans la capitale ukrainienne, alors accompagné de ses homologues polonais et slovène, Mateusz Morawiecki et Janez Janša. Cette fois, il s’y est rendu en tant que Premier ministre du pays qui préside l’Union européenne. D’un point de vue international, c’est une démarche intelligente et perspicace. Elle témoigne du fait que la Tchéquie n’est pas qu’un ‘petit pays’, mais qu’elle dispose de suffisamment de forces et de qualités morales pour définir l’orientation européenne. »

Ce voyage à Kyiv, comme le constate encore Aktualne.cz, est pourtant en contradiction avec l’admiration d’une partie du gouvernement, et en particulier du parti conservateur ODS, pour le leader hongrois Viktor Orban, cheval de Troie de Poutine au sein de l’Union européenne. Sa conclusion est formelle : « Le groupe de Visegrad n’a plus aucun sens. »