Presse : oubliée la crainte des personnes en fuite, les Tchèques ouvrent les bras aux réfugiés ukrainiens
La volonté d’accueillir en Tchéquie les réfugiés ukrainiens, partagée par la représentation politique et la population, et la vague de refus de tout ce qui est russe sont les deux premiers sujets traités dans cette nouvelle revue de la presse. Il y sera également question de l’unité rare dont la société tchèque fait actuellement preuve et de ce qui pourrait la perturber.
Les craintes, le désintérêt et la haine à l’égard des gens en fuite, dont la société tchèque a été jusqu’ici empreinte, a cédé à la volonté d’accorder le maximum d’aide aux Ukrainiens. Un constat dressé par l’éditorialiste de l’hebdomadaire Respekt qui compare la situation actuelle à celle de l’automne 2015:
« Aujourd’hui, six ou sept ans après, alors que des centaines de milliers de réfugiés affluent en Europe centrale depuis l’Ukraine et tandis que des millions d’autres s’y préparent, la société tchèque n’a pas peur, ne se cache pas, ne s’apprête pas à bâtir des clôtures. Bien au contraire. Elle a les bras ouverts avec une sincérité qui est authentique. Le gouvernement a exprimé sa volonté d’accueillir les réfugiés dès le 14 février, lorsque les unités russes se trouvaient encore à la frontière. Une décision à laquelle l’opposition s’est également jointe. De même, ce soutien de la part de la société tchèque est univoque. Selon un récent sondage de l’agence STEM/Markt, il n’y a que 3 % de la population qui le refuse catégoriquement, près de deux tiers y donnant leur aval. »
L’éditorialiste rappelle que dans les années 2015-2019, la moitié de la population tchèque s’opposait à l’accueil de réfugiés, même de façon temporaire. Il explique :
« S’agissant du conflit en Syrie, les Tchèques avaient en grande partie du mal à s’y retrouver, ils craignaient l’islam et le terrorisme. Un climat dont certains politiciens abusaient en attisant les craintes et la haine. L’Ukraine offre un récit différent. Les Tchèques arrivent à le comprendre et à distinguer l’agresseur et la victime. Outre des proximités régionales et ethniques, il existe un lien plus important encore que les deux pays ont en commun : les Tchèques eux aussi ont été victimes, il y a 53 ans de cela, d’une agression russe. »
Les appellations « russes » disparaissent de l’espace public tchèque
Dès le début de la guerre en Ukraine, une vague de refus de tout ce qui est russe a frappé la Tchéquie. Le quotidien Mladá fronta Dnes de ce jeudi en a donné quelques exemples :
« D’abord, les gens dans tout le pays ont commencé à effacer spontanément les appellations des rues qui se réfèrent à Moscou, à la Russie ou à la Crimée. La mairie du 6ème arrondissement de Prague a décidé pour sa part de renommer une partie de la rue Korunovační, près de l’Ambassade de la Fédération russe, en rue des Héros ukrainiens. Par ailleurs, un pont situé non loin d’ici va porter le nom de Vitalii Skakun, le soldat ukrainien mort dans la bataille de Kyiv après avoir fait exploser un pont stratégique. Il y a aussi le cas du très réputé hôtel Moskva, dans la ville de Zlín, en Moravie du Sud, qui va changer de nom. »
Le journal indique que les changements d’appellations touchent également l’industrie alimentaire. La traditionnelle Ruská zmrzlina (Glace russe) en est un exemple flagrant. Après 30 ans d’existence en Tchéquie, elle sera désormais présentée sur le marché local comme Ukrajinská zmrzlina (Glace ukrainienne).
Pour un régime d’asile plus souple
Le gouvernement tchèque a réagi assez promptement à la vague de réfugiés ukrainiens, en introduisant pour eux un nouveau régime souple d’octroi de visas. « Il remplace le système précédent, particulièrement bureaucratique et rigide », signale le journaliste du site aktualne.cz. Selon lui, « la Tchéquie possède une politique d’asile particulièrement rigoureuse et un système non fonctionnel en matière de migration de travail. » Il précise :
« Cette nouvelle approche est marquante. Jusqu’ici, en effet, et contrairement à la majorité des Etats membres de l’Union européenne, y compris ceux du groupe de Visegrád, la Tchéquie refusait même les gens qui étaient persécutés dans leurs pays. Elle bloquait même la migration économique, bien que son marché de travail soit en manque de main d’œuvre. L’afflux d’Ukrainiens affectés par la guerre sera tel qu’il ne permettra pas aux représentants politiques tchèques leur hypocrisie habituelle. Cela veut dire que désormais, la volonté verbale d’aider les gens en détresse devra être accompagnée de démarches pertinentes. »
De l’avis du journaliste du site aktualne.cz, c’est tout le système de la politique migratoire tchèque qui nécessite un remaniement de fond en comble. « La situation absolument catastrophique mise à part, les Ukrainiens nous l’ont enfin dévoilé », souligne-t-il avant de conclure :
« Au lieu d’inventer des histoires sur la migration inexistante de terroristes islamistes, il faudra prendre soin de milliers de gens qui cherchent à fuir la folie du président russe. »
Une unité rare face à la guerre en Ukraine
L’Ukraine nous donne ce que nous n’avons pas su trouver depuis longtemps : l’unité. A ce propos, l’auteur de cette note publiée sur le site Seznam Zprávy a remarqué :
« La peur active. La société tchèque, elle, a été activée vraiment massivement. La proximité et les réminiscences historiques ont soulevé non seulement une immense vague de soutien et de solidarité avec les réfugiés ukrainiens, mais révélé également la fragilité du confort de nos vies. On réalise que nos certitudes de base peuvent être ébranlées d’un jour à l’autre, pour ne pas dire en l’espace de quelques heures. La situation actuelle invite à réévaluer rapidement le relativisme des décennies écoulées et à constater que le Mal – au sens propre du mot – existe vraiment. »
De l’avis du journaliste, l’invasion de la Russie en Ukraine permet à nous-même, ainsi qu’à l’Europe et à l’ensemble de la communauté transatlantique, de s’unir contre la menace dont l’Ukraine est actuellement la cible. « Pourvu que cette situation raffermisse notre détermination de défendre notre liberté et notre démocratie », conclut-il.
Jusqu’à quand le consensus au sein de la société ?
Le ton du chroniqueur du journal en ligne Forum24 est plus prudent. Il estime que l’unité au sein de la société n’y est pas pour toujours, et que ce sont les tendances populistes qui pourront tirer profit de l’évolution ultérieure :
« La hausse de l’inflation sera une des retombées économiques de la guerre en Ukraine qui touchera aussi la Tchéquie. Il faut s’attendre notamment à l’augmentation des prix des énergies et à une certaine baisse du niveau de vie de la population. Tout ceci sera un terrain propice pour les populistes. Il faut se préparer à ce qu’ils saisissent cette opportunité, surtout lorsqu’on verra la détérioration de la situation économique et l’incertitude se prolonger. »
Certes, peu nombreux sont ceux qui voudraient mettre un bémol au consensus qui règne actuellement tant sur la scène politique qu’au sein de la société tchèque. Et ils ne sont pas plus nombreux à mettre en doute la solidarité avec les Ukrainiens et l’aide qui leur est accordée. « Toutefois, le climat pourra changer plus tôt qu’on ne le croit », avertit le chroniqueur.
Se préparer à une nouvelle lutte d’informations
« On se trouve au seuil d’une nouvelle guerre froide. Mais, contrairement à celle qui a été menée précédemment, on dispose de nouvelles technologies qui profitent à une lutte d’informations plus puissante », observe l’auteur d’un texte publié sur le site www.rozhlas.cz/plus :
« Nous avons beaucoup d’expériences avec l’impact des fake news. Il suffit de rappeler, parmi beaucoup d’occurrences, la grande vague migratoire depuis les pays arabes, la pandémie de coronavirus ou la dernière campagne électorale. On peut s’attendre en effet à un regain d’activité des désinformateurs et des trolls pro-Kremlins qui vont miser sur la fragilité et l’incertitude des gens. Par ailleurs, dès le lendemain de l’invasion, le site iDNES.cz a informé de l’intention d’un ancien sénateur et juge de fonder le mouvement ‘Les Amis de Poutine en RT’. »
Il faut donc, selon le commentateur, que le gouvernement et l’opposition démocratique s’entendent sur les démarches à prendre contre de telles activités. « Les politiciens sont en outre appelés à mener un dialogue patient avec les gens, histoire de leur expliquer clairement la situation. L’exemple du président ukrainien Volodymyr Zelensky montre que rien ne vaut plus qu’un leadership convaincant », écrit-il.