Immigration : « La Tchéquie a le taux d’octroi d’asile le plus faible de toute l’Union européenne »
Fin janvier, la police tchèque annonçait que plus de 29 000 migrants étaient entrés sur le territoire de manière illégale en 2022, soit une nette hausse par rapport à l’année 2021. Nous nous sommes entretenus sur le sujet avec Zuzana Pavelková, avocate au sein de l’association Organizace pro pomoc uprchlíkům (Organisation for Aid to Refugees) qui aide les réfugiés sur le sol tchèque. Depuis quatre ans, elle apporte une assistance juridique aux personnes interpellées pour être entrées en République tchèque de manière illégale, et qui, bien souvent, souhaitent demander l’asile. Zuzana Pavelková a d’abord expliqué comment se déroulait l’obtention de l’asile pour les réfugiés en Tchéquie.
« En terme de procédure de demande d’asile, le taux de succès est de 10%, ce qui signifie que 90% des demandes sont rejetées. La République tchèque a le taux d’octroi d’asile le plus faible de toute l’Union européenne. Et comment l’expliquer autrement que par la politique de la Tchéquie ? Nous constatons que le gouvernement ne se soucie pas tellement du nombre de migrants et ne s’oppose pas à ce que ces derniers restent dans le pays en vertu de la loi sur la résidence des étrangers. Cependant, le gouvernement tchèque ne souhaite pas qu’un trop grand nombre de personnes soient reconnues en tant que ‘réfugiés’ pour que la République tchèque ne soit pas perçue comme un pays trop accueillant. »
Vous travaillez en tant qu’avocate pour l’association depuis maintenant quatre ans. Comment la situation des migrations illégales a-t-elle évolué en Tchéquie durant cette période ?
« La situation est en constante évolution. Chaque année apporte de nouvelles surprises. Il y a eu l’épidémie de Covid-19, le retrait des troupes américaines en Afghanistan, l’élection présidentielle en Biélorussie et ainsi de suite. Bien entendu, ces événements internationaux ont des conséquences sur notre travail. »
Guerre en Ukraine
« Mais le changement le plus profond s’est produit l’année dernière avec la guerre en Ukraine puisque la Tchéquie a accueilli plus de 400 000 réfugiés. Ce qui est nouveau pour nous est l’attention portée à cet afflux d’arrivants et l’argent reçu pour y faire face. »
« Beaucoup d’intérêt est porté à la situation en Ukraine et de nombreux donateurs souhaitent soutenir les réfugiés ukrainiens, ce dont nous sommes vraiment reconnaissants. Cependant, cela a créé aussi des problèmes pour notre organisation puisque certains migrants avec qui nous travaillons depuis des années ont soudainement moins d’argent alloué à leur dossier de demande d’asile que les réfugiés ukrainiens. »
Solidarité dans la société civile
Comment décririez-vous l’accueil des demandeurs d’asile et réfugiés en Tchéquie ?
« L’approche du gouvernement n’est pas fondée sur la solidarité et l’accueil. Néanmoins, il y a toujours eu un élan de solidarité sous-jacent au sein de la société civile. »
« Par exemple, depuis 2015, des bénévoles aident régulièrement les réfugiés à la gare de Prague. Les ONG contribuent également à cette aide en soutenant les réfugiés déjà installés dans le pays ou bien en tentant de convaincre le gouvernement de rapatrier en République tchèque des groupes de réfugiés se trouvant dans des pays qui ne peuvent pas s’occuper d’eux. Avec la guerre en Ukraine, nous avons constaté une volonté d’aider de la part de la population tchèque, du moins en ce qui concerne les réfugiés ukrainiens. »
La police tchèque des étrangers a annoncé que plus de 29 000 migrants en situation irrégulière avaient été interpellés en 2022, ce qui démontre une augmentation de 160% comparée à l’année 2021. Comment expliquez-vous ce phénomène et avez-vous personnellement remarqué cette augmentation ?
« Notre organisation a définitivement remarqué cette augmentation. Nous proposons une assistance juridique dans les centres de détention de migrants illégaux et ces centres se sont retrouvés surpeuplés durant l’été et l’automne dernier. »
« Sur le terrain, nous avons constaté que les réfugiés étaient principalement des Syriens qui résidaient depuis longtemps en Turquie. Avec l’aggravation de la situation économique turque, ils ne parvenaient plus à se projeter dans le pays. De plus, il y a une nette augmentation de signalements de crimes de haine perpétrés par la population turque contre les réfugiés syriens. »
« Parmi les migrants arrivant en Tchéquie de manière illégale, il y a aussi des opposants politiques au régime d’Erdogan en Turquie, des Kurdes, des opposants politiques égyptiens, d’autres provenant d’Irak… Ce qui est intéressant, ce sont les réactions changeantes de la police tchèque. »
Police tchèque
« L’augmentation du nombre de migrants en situation irrégulière a débuté vers le mois de mai. La police ne s’intéressait alors pas vraiment au phénomène, et, du moins en ce qui concerne les Syriens, laissait les réfugiés passer. Puis, d’un jour à l’autre, l’attitude de la police a changé et les forces de l’ordre ont menacé de placer en détention tous ceux qui tentaient de rentrer sur le territoire tchèque. Cela a vraiment posé problème puisque les centres de détention sont devenus surpeuplés. Puis, durant l’automne, les policiers ont une nouvelle fois changé d’avis en expliquant qu’ils ne placeraient pas en détention les Syriens, pour la simple raison qu’ils ne peuvent pas les expulser vers leur pays d’origine. Pour autant, la police a gardé tous les autres réfugiés en détention, y compris des personnes vulnérables. »
Le chef de la police des étrangers Martin Vondrášek a déclaré que la majorité de ces migrations illégales sur le territoire tchèque étaient dues à un transit vers d’autres pays européens. Confirmez-vous cette analyse ?
« Il est tout à fait possible que la majorité d’entre eux aient en effet rejoint d’autres pays de l’Union européenne. C’est même logique puisque la République tchèque ne compte pas énormément d’habitants originaires de Syrie ou d’autres pays du Moyen-Orient. Et les migrants se rendent dans un pays où ils ont de la famille, des contacts… C’est là qu’ils auront le plus de chance de s’intégrer. »
De quels pays proviennent la majorité des migrants que vous rencontrez dans le cadre de votre travail ?
« De nos jours, c’est clairement l’Ukraine. Mais la République tchèque est également un pays de destination pour les réfugiés de l’ancien bloc soviétique : Russie, Biélorussie, Ukraine, Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan… On compte également un certain nombre de demandes d’asile effectuées par des Vietnamiens, en raison de la coopération historique entre la Tchécoslovaquie socialiste et le Vietnam. Et, bien sûr, nous avons toujours des réfugiés venus d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak ou d’autres pays du Moyen-Orient. »
Contrôles renforcés à la frontière slovaque
En septembre 2022, la République tchèque a instauré des contrôles plus stricts à la frontière partagée avec la Slovaquie. Ces contrôles devraient être maintenus jusqu’au 4 février. Pensez-vous que ce type de mesures peut aider à résoudre le problème de la migration illégale ?
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« Vous savez, lorsque des personnes sont désespérées car l’endroit où elles se trouvent est dangereux, aucune frontière ne peut les empêcher de venir. Instaurer plus de contrôles rend seulement la situation plus difficile, dangereuse et onéreuse pour eux. Avec ces mesures, les migrants devront faire confiance à des passeurs qui prennent plus de risques. Mais ça ne les empêchera pas de venir quand même. »
« Deux choses pourraient améliorer la situation. Premièrement, il faudrait des itinéraires sûrs et légaux pour garantir la sécurité de ces gens, ce qui signifierait davantage de visas humanitaires ou plus de programmes de relocalisation de pays comme la Turquie ou le Liban qui ont accueilli beaucoup de réfugiés et qui, pendant des années, ont fait preuve d’une grande solidarité. »
Réfugiés syriens et ukrainiens : une « situation similaire »
« L’autre solution, surtout en ce qui concerne les personnes fuyant la Syrie, serait d’activer une directive de protection temporaire, comme nous l’avons fait avec les personnes qui fuient la guerre en Ukraine. Pour moi, c’est la même situation et, depuis de nombreuses années, j’ai du mal à comprendre que nous ne soyons pas capables d’envisager les deux cas de la même façon en offrant à tous une protection temporaire et en permettant aux gens d’aller là où ils le veulent dès le départ, parce que, de toute façon, ils finiront par y arriver à un moment ou à un autre. »
Donc selon vous, existe-t-il une différence de traitement entre les migrants européens et les migrants non-européens ?
« Je pense qu’aujourd’hui, il serait difficile d’affirmer qu’il n’existe aucune différence puisque celle-ci ne pourrait pas être plus visible. Par exemple, depuis 2015, notre organisation essaie de convaincre le gouvernement tchèque de rapatrier un petit groupe d’enfants réfugiés se trouvant dans un camp de migrants en Grèce. Le gouvernement a toujours refusé et cela a débouché sur un débat houleux dans les médias tchèques, et au sein de l’opinion publique. Toute cette agitation alors même que nous parlions seulement d’une vingtaine d’enfants. »
« Et soudain, la guerre en Ukraine a débuté et plus de 400 000 réfugiés sont arrivés en un rien de temps dans le pays. C’est formidable parce que nous avons pu voir que le système fonctionne et que le pays ne s’effondre pas à cause de ces réfugiés. Bien sûr, il y a de nombreux défis auxquels la population tchèque doit faire face actuellement, comme la crise énergétique. Mais nous avons constaté qu’il était possible d’accueillir un nombre de réfugiés beaucoup plus important que ce que nous pouvions, même nous les ONG, imaginer jusqu’alors. »
« Il s’agit d’un constat à la fois doux et amère puisque, d’une part, il est merveilleux de voir le potentiel d’accueil dont nous disposons en République tchèque, mais en même temps, il serait important de nous demander pourquoi nous ne sommes pas en mesure d’offrir le même soutien à d’autres groupes de réfugiés. Je pense qu’une discussion d’ampleur nationale devrait avoir lieu sur le sujet du racisme dans ce pays. Je ne crois pas que le débat qui a eu lieu sur ces enfants non-européens se trouvant en Grèce aurait été le même s’il s’était agi d’enfants blancs et blonds aux yeux bleus. »