Prisonniers politiques

Rudolf Slansky
0:00
/
0:00

Le 11 avril dernier s'est tenue la Journée mondiale de solidarité avec les prisonniers politiques. Cette commémoration, mise en place il y a quelques années en référence à la libération de camp de Buchenwald, est malheureusement encore d'actualité. Un constat qui concerne également la Tchécoslovaquie de 1948 à 1989...

Des procès des années 50 à la dissidence des années 70, y a-t-il une comparaison possible dans la condition des prisonniers politiques ? Au premier abord : non, tant les deux périodes obéissent à des contextes politiques différents. Les accusés aussi, d'ailleurs, sont différents : dans les années 50, beaucoup furent eux-mêmes responsables de procès arbitraires avant leur détention. Dans les années 70, ce sont souvent des dissidents sans lien avec le Parti, comme Havel. Pourtant, des motifs d'accusation aux méthodes d'interrogatoire, on retrouve de nombreuses constantes.

Dans son livre "Dans les Archives du Comité central", l'historien tchèque Karel Kaplan, témoin et acteur, replonge dans la machinerie des procès politiques. Le pourquoi trouve vite sa réponse : suivre les instructions de Moscou permettait aux dirigeants tchèques de se maintenir au pouvoir, voire de sauver leur propre vie. Gottwald, 1er secrétaire du Parti, ne croyait pas à la culpabilité des accusés, dont certains lui étaient proches comme Hoffman, son garde du corps ou même Slansky, tout dévoué. Mais les "intérêts" du Parti sont au-dessus !

Plus intéressant est de se pencher sur les méthodes de ces procès. Au départ, un chef d'accusation est nécessaire. Le thème est bien entendu idéologique et irrationnel. Le leitmotiv du "nationalisme bourgeois" est ainsi décliné sous diverses variantes : nationalisme slovaque (Husak, Clementis, Novomesky) ou encore juif (Edouard Goldstucker et bien sûr la "clique" de Slansky).

Le plus important, pour Moscou, était de trouver un prétexte, qui pourrait décimer un groupe précis de gens. Exemplaire, l'affaire Field a ainsi servi à entamer la première des procès, en 1949. Intellectuel américain progressiste, Field entre en relation avec les secrets soviétiques dans les années trente, alors qu'il travaille au Département d'Etat. En 1947, la chasse aux sorcières débute aux Etats-Unis. Face aux menaces, Field décide de s'installer à Prague. Il est rapidement arrêté et présenté comme le cerveau d'un réseau d'espionnage américain. Transféré à Budapest, il servira de prétexte à la purge de l'appareil hongrois.

Les procès Slansky seront soutenus par une nouvelle campagne : celle de la dénonciation de l'ennemi sioniste. Une trouvaille des conseillers soviétiques, qui voit le jour en 1951, alors que le procès du groupe Slansky est entamé depuis octobre 1950. Pratique, le concept anti-sioniste sous entend, comme dans l'affaire Field, un lien avec les puissances occidentales et donc l'idée du complot. Il permettra l'exécution de 11 fonctionnaires du Parti, dont Slansky.

Les méthodes employées dans les procès des années 1949-53 illustrent bien la nature totalitaire du régime stalinien. Ainsi, on faisait apprendre aux accusés des réponses préfabriquées (parfois enregistrées sur magnétophone). Les interrogatoires pouvaient durer jusqu'à 20 h. Certains accusés, comme l'abbé Toufar, décéderont de leurs tortures. Beaucoup se suicideront, tels le poète Konstantin Biebl ou encore le metteur en scène Frejka. Ces deux communistes sincères succomberont aux services dirigés par Kopecky, ancien membre du praesidium du PCT. Réputé pour sa brutalité, Kopecky était l'oeil de Moscou, craint des membres du PCT et jusqu'à Gottwald.

La souffrance psychique liée à l'internement se retrouve également parmi les prisonniers politiques des années 70. Bien sur, l'époque a changé et on ne craint généralement plus pour sa vie. Mais les méthodes de pression restent les mêmes. Dans ses entretiens avec Karel Hvizdala, Vaclav Havel évoque en ces termes la fin de sa première détention en 1976 : "Au cours des derniers jours qui ont suivi ma libération, je me trouvais dans tel état que n'importe quel asile de fous m'aurait accueilli avec plaisir ! "

En mai 1977, Havel est libéré de prison, pour y retourner ensuite en 1979, mais cette fois-ci pour 4 ans. Cette parenthèse de deux ans aura-t-elle d'ailleurs vraiment représenté une période de liberté ? Surveillances, interrogatoires, cambriolages à répétition, les pressions psychiques ne font qu'aggraver l'angoisse de Havel. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de multiplier activités politiques et rencontres, ainsi avec des dissidents polonais.

A l'origine de la Charte 77 figure l'arrestation des membres du groupe de rock Plastic People of the Universe en 1976. Face à l'arbitraire flagrant, Vaclav Havel et d'autres intellectuels décident d'agir sur une base légaliste. Les premières réunions rassemblent, entre autres, Pavel Nemec, Petr Uhl, Havel, Jiri Hajek et deux figures importantes du Printemps de Prague : Ludvik Vaculik et Pavel Kohout. Rapidement, sont désignés les porte-parole : le philosophe Jan Patocka, qui paiera son engagement de sa vie, Hajek et Havel. Dès le texte de la Charte publié, en 1977, les arrestations commencent.

Il est intéressant de noter, avec le chef d'accusation, une nouvelle similitude avec les procès des années 50. Les autorités ne pouvant accuser les signataires d'opposition politique, ils montent un scénario mettant en cause des ramifications internationales. Le nouveau Field s'appelle Orest. Celui-ci est accusé d'avoir fourni à la revue parisienne "Svedectvi" (fondée par dissidents tchèques en exil) des articles écrits en Tchécoslovaquie. La police fait tout pour associer Havel à Orest. Les interrogatoires, quant à eux, porteront bien sur les activités de Havel au sein de la Charte.

Libéré en 1983, Vaclav Havel ne connaîtra plus vraiment, de ses propres dires, le bonheur. Mais la prison aura aussi permis à l'homme de montrer la mesure de son courage moral et de la force de ses convictions.