Projet ‘East rugby’ : pour le rugby, le soleil se lève aussi à l’Est (1ère partie)
Sport à la mode et en plein boom comme l’a prouvé le succès populaire de la Coupe du monde en France en septembre dernier, très loin de l’anonymat dans laquelle s’était déroulée la première édition vingt ans plus tôt, le rugby n’en reste pas moins le sport d’une minorité dans de nombreuses régions de la planète et dans la majorité des pays d’Europe centrale et orientale, y compris en République tchèque. Il n’empêche : séduite par son image, ses valeurs, son potentiel d’attractivité et le spectacle proposé, la Télévision publique tchèque a diffusé, pour la première fois, plusieurs matches de la dernière Coupe du monde avant de récidiver lors du récent Tournoi des VI nations, preuve que l’intérêt du public existe bel et bien. Dans la pratique, toutefois, confiné dans l’ombre, très loin derrière le football, le hockey sur glace et bien d’autres sports collectifs encore, le rugby demeure avant tout une affaire de passionnés en République tchèque. Dans les pays de tradition rugbystique, notamment en France, ils sont pourtant quelques-uns à penser que le développement du rugby mondial passe par l’Europe de l’Est. « J’en suis absolument certain », affirme même Hugues Henry, un Français originaire du sud-ouest, ancien joueur et entraîneur du Stade Français, professionnel du sport aujourd’hui à l’origine d’un projet privé baptisé « East rugby » dont l’objectif est de contribuer au développement du rugby en Europe orientale et d’abord en République tchèque. Hugues Henry que nous avons récemment reçu dans nos studios, où il est venu nous expliquer plus en détails ce qu’est « East Rugby ». Voici donc la première partie de ce long entretien :
« C’est une façon de promouvoir un sport qui nous est cher en France, un sport de passion où il y a toujours eu les Français contre les Anglais ou l’hémisphère Nord contre l’hémisphère Sud. Mais aujourd’hui, il se passe aussi énormément de choses en Europe centrale et un peu plus à l’est. Il y a tout un tas de passionnés qui essaient de se débattre dans leur coin pour un sport qui n’est absolument pas reconnu chez eux et qu’on va aider en termes de formation d’entraîneurs et pour le mettre un peu plus en avant. »
-Pourquoi vouloir s’intéresser au rugby dans les pays d’Europe centrale et orientale, où l’on sait qu’il s’agit d’un sport mineur, très loin, en termes de popularité et de pratique, derrière tous ou presque tous les autres sports collectifs ? Alors pourquoi ce choix de l’Europe de l’Est ?
« D’abord, la première question est de savoir s’il doit rester si minoritaire et si loin. L’autre question est une question de famille, au sens un peu large. En France, il y a eu des pionniers dans les années 1960 dans des régions un peu difficiles, comme la région parisienne, où ce n’était pas reconnu et c’était très loin. Aujourd’hui, le rugby français est en pleine explosion, se développe très vite à la fois au niveau national et dans son audience internationale. Et quand on regarde ce qui se passe par ici, en République tchèque par exemple, on s’aperçoit qu’il y a des gens vraiment passionnés mais qui sont un peu seuls dans leur coin et ne sont pas reconnus. Donc, c’est une façon de dire : ‘on partage la même passion, ils sont très loin, et comment peut-on leur tendre la main en termes de compétences, comment peut-on essayer d’apporter quelques compétences sportives à ces gens-là pour que progressivement le niveau s’élève ?’ On a été minoritaires chez nous aussi, on l’est toujours mais beaucoup moins quand même, eux sont très minoritaires chez eux, et nous menons donc un peu le même combat. Et comme c’est la même famille du rugby, tendons-nous la main ! »
-On parlera un peu plus tard de tous ces passionnés tchèques de rugby. On va revenir pour l’instant à un élément que vous avez évoqué dans votre première réponse : l’histoire du rugby mondial, les résultats de la dernière Coupe du monde l’ont encore prouvé, se résume finalement depuis toujours à une confrontation entre le Nord et le Sud. Pensez-vous que le développement du rugby mondial passe par l’Est de l’Europe ?
« J’en suis absolument certain, entre autres raisons parce que lorsque l’on prend en comparaison des sports comme le football, qui met actuellement de gros moyens en œuvre sur l’Asie pour aller plus loin dans son développement, le rugby aura forcément quelques difficultés. Il y a en effet des passages obligés dans le rugby, essentiellement des données d’ordre physique. Et je suis persuadé que justement en Europe centrale et orientale, il y a un très gros potentiel. On voit arriver des pays qui avaient déjà une forte culture rugby, je pense à la Roumanie et à la Géorgie, mais qui ont un modèle de développement basé sur l’externe puisque leurs joueurs s’en vont. Ils jouent en France pour revenir ensuite constituer une bonne équipe nationale, mais il n’y pas grand-chose derrière. L’idée, ici, est d’essayer d’élever sportivement le niveau du championnat. Tant mieux si après des joueurs vont jouer en France mais ce n’est pas l’objectif. L’objectif est de faire progresser les joueurs pour donner une équipe nationale un peu plus forte, dont on parle un peu plus, et d’avoir un niveau de championnat intéressant. »
-On l’a évoqué : le rugby à l’Est, aujourd’hui, c’est essentiellement la Géorgie, la Roumanie et à un degré moindre la Russie. Pourquoi donc ne pas avoir choisi ces pays-là qui ont aussi besoin d’aide pour continuer à progresser ?
« D’abord parce que culturellement, il existe déjà des liens très forts entre la France et la Roumanie et entre la France et la Géorgie. Je crois que lors de la Coupe du monde, 100 % des joueurs géorgiens évoluaient dans un championnat français. Pour la Roumanie, ce n’est pas loin d’être pareil. Je ne dis pas qu’il n’y pas de besoins dans ces deux pays, mais il y a déjà un certain nombre de gens qui sont penchés sur la chose dans un modèle de développement qui me correspond un peu moins, c'est-à-dire qu’on prend des joueurs pour les faire jouer en France. Nous, ce que nous voulons, c’est faire autrement en formant des entraîneurs, des encadrants, en montant des oppositions de jeu, etc., pour tirer un championnat. Il se passe déjà des choses en Roumanie et en Géorgie qui se passent très bien. Il y a la FIRA-AER (Association européenne de rugby) qui effectue un énorme travail de développement sur ces zones-là. Et puis East Rugby est une initiative privée qui a envie à la fois d’aider et de se faire plaisir.
-Et pourquoi vous intéressez-vous plus spécialement à la République tchèque, alors qu’il y a d’autres pays comme la Russie ou l’Ukraine où le vivant est bien vivant aussi ?
« C’est un coup de cœur ! A un moment donné, il faut quand même décider par où on commence même si l’idée est d’associer rapidement deux, trois ou quatre pays aux opérations. Mais au départ, il faut bien commencer quelque part, choisir un premier point de destination, pour être crédible. Il faut avoir des opérations intéressantes, viables et fiables. Après, c’est une affaire de coups de cœur. Ce sont quelques soirées passées sur Internet à regarder ce qui se passe dans ces pays-là et de voir qu’en République tchèque, d’abord le rugby a plus de quatre-vingt ans. Le Slavia Prague vient de fêter cet anniversaire (http://www.radio.cz/fr/article/92993). Même si ce n’est pas très connu dans le pays, il y a quand même une histoire. Il y a des gens impliqués. Et puis, familialement, mon épouse est originaire de cette région. On ne s’en est pas soucié pendant très longtemps et puis avec l’âge, on a commencé à s’intéresser à ses racines. J’ai aussi un fils qui pouvait jouer potentiellement pour l’équipe nationale de Slovaquie. Tout cela m’a permis de me poser des questions sur ce qui se passait là-bas. Il a fallu choisir un premier point de chute et c’est ici ! »
C’était donc Hugues Henry, responsable d’East Rugby, association d’aide au développement du rugby tchèque. Vous pourrez entendre la suite de l’entretien dans de prochaines rubriques sportives.