Quand Andrej Babiš rêve d’une citoyenneté tchèque retrouvée pour Milan Kundera
Déchu de sa citoyenneté par le régime communiste suite à son départ de Tchécoslovaquie en 1975, Milan Kundera pourrait-il redevenir tchèque ? C’est la question que se posent les médias tchèques suite à la rencontre de l’écrivain français avec Andrej Babiš à Paris samedi dernier. A l’issue de celle-ci, le Premier ministre a exprimé son désir de rétablir Milan Kundera dans les droits civiques de son pays d’origine. Mais au-delà de la probable opération marketing du chef du gouvernement, le principal intéressé est-il au moins intéressé par une telle démarche ?
Il aurait pourtant suffi que le Premier ministre garde le secret de cette rencontre pour lui, et personne probablement n’en aurait alors jamais rien su. Au lieu de cela, l’information a pris dans certains médias tchèques une ampleur à la dimension du quasi mythe que Milan Kundera est devenu avec le temps en République tchèque, son pays d’origine qu’il ignore avec succès dans le mutisme le plus complet depuis son départ pour la France, avec sa femme Věra, en 1975.
Beaucoup en République tchèque se sont étonnés de la tenue de cette rencontre parisienne à leurs yeux improbable. Malgré la publication d’un livre intitulé « A quoi je rêve quand par hasard je dors » avant les élections législatives l’année dernière, le Premier ministre n’est pas spécialement réputé pour être un homme de lettres. Dans un entretien accordé à la station Plus de la Radio tchèque, l’historien et politologue français Jacques Rupnik, qui avait participé dans les années 1990 à l’organisation de deux rencontres de ce type entre l’ancien président Václav Havel, lui-même écrivain, et Milan Kundera, estime toutefois qu’il n’y a pas lieu là de s’étonner :
« Non, je ne vois rien de surprenant dans le fait qu’une telle rencontre ait pu avoir lieu. Par le passé, les présidents Václav Havel et Klaus ont eux aussi rencontré Milan Kundera lors de passages à Paris. Je pense que c’est là juste une affaire privée, rien de plus. Je n’y vois pas de geste particulier. Milan Kundera a 90 ans, il ne s’intéresse absolument pas à la politique, et encore moins à la politique tchèque. Je suppose simplement qu’il s’agissait d’une invitation qu’il n’a pas voulu refuser. »Dans son édition de ce mardi, le quotidien Lidové noviny, propriété du groupe Agrofert dirigé dans un passé encore relativement récent par Andrej Babiš, posait la question de savoir dans quelle mesure il serait possible pour Milan Kundera de retrouver sa citoyenneté d’origine, dont il a été déchu en 1979, deux ans avant que François Mitterrand ne lui octroie la nationalité française. Avant toute éventuelle démarche administrative, il faudrait d’abord que l’écrivain, qui ne s’est plus rendu en République tchèque officiellement depuis vingt-deux ans, en manifeste activement la volonté. Or, toujours selon Jacques Rupnik, il est permis d’en douter sérieusement :
« Je n’ai aucune idée si Milan Kundera est intéressé par le fait de retrouver ou non sa citoyenneté tchèque à bientôt 90 ans. Disons que ce serait symbolique : l’ancien régime lui a supprimé sa citoyenneté, on pourrait donc la lui rendre ou au moins le lui proposer. On peut néanmoins penser que si Kundera l’avait voulu, il en aurait déjà fait la demande depuis longtemps. Mais a-t-il besoin de cela ? Je pense qu’il faudrait davantage prendre conscience en République tchèque du fait que Milan Kundera est un écrivain auquel est portée la plus haute estime en France. »
Un écrivain qui aux yeux de certains en République tchèque souffre toutefois dans une certaine mesure, comme d’ailleurs Andrej Babiš et au-delà de son immense talent littéraire, d’une image écornée par sa prétendue collaboration avec la police secrète sous le régime communiste (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/mis-en-cause-milan-kundera-dement-toute-collaboration-avec-la-police-communiste-dans-les-annees-50).