Quand Carlos, Che Guevara ou Abou Nidal venaient à Prague : nouveau livre sur les liens de la StB avec le terrorisme international
Un nouveau livre révèle l’histoire méconnue des relations complexes entre la Tchécoslovaquie et des terroristes et révolutionnaires du Moyen-Orient et d’ailleurs pendant la guerre froide. « Watching the Jackals », publié par Georgetown University Press par l’historienne slovaque Daniela Richterová, s’appuie sur des dossiers des services de renseignement pour montrer comment des figures majeures comme Carlos, Yasser Arafat, Che Guevara, ou encore Abou Nidal, ont visité Prague, souvent à plusieurs reprises, durant les dernières décennies de l’ère communiste. Le livre, qui sort le 2 janvier, explore également l’attitude de la Tchécoslovaquie vis-à-vis du terrorisme international durant cette période. Daniela Richterová enseigne au King’s College de Londres. Elle a répondu aux questions de RPI.
Votre livre explore les liens entre la Tchécoslovaquie et des terroristes et révolutionnaires pendant la guerre froide. Quand et pourquoi la Tchécoslovaquie s’est-elle engagée dans ce domaine ?
Daniela Richterová : « La Tchécoslovaquie s’est impliquée à la fin des années 50 et dans les années 60, à une époque où de nombreux mouvements de libération nationale émergeaient, notamment en Afrique mais aussi dans d’autres parties du monde, période où, sous Nikita Khrouchtchev, l’Union soviétique a adopté une politique étrangère plus activiste. »
« Une partie de cette politique consistait à soutenir ces mouvements de libération nationale. Ainsi, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, la Tchécoslovaquie a été approchée par plusieurs de ces groupes. Par exemple, l’aile armée du Congrès national africain, le uMkhonto weSizwe, est venue en Tchécoslovaquie, en petits groupes certes, mais ils ont néanmoins été formés sur le territoire tchécoslovaque à des techniques comme le sabotage, l’utilisation de TNT, et la guerre partisane. »
« Il y avait aussi d’autres groupes, provenant de Guinée-Bissau et d’autres régions du Sud global. Cela commence donc véritablement dans les années 1960, durant la ‘décennie de l’Afrique’. »
L'Opération Manuel et le Che à Prague
Au début des années 1960, Prague a beaucoup soutenu Cuba – au point de permettre aux Cubains de gérer leur propre réseau, par lequel des personnes entraient et sortaient de Tchécoslovaquie sans même que les autorités locales sachent qui elles étaient.
« Oui, c’est fascinant, n’est-ce pas ? Surtout pour nous, qui avons longtemps pensé que le régime communiste tchécoslovaque et la StB (service de sécurité d’État) savaient absolument tout ce qui se passait sur leur territoire. »
« Je pense que c’est l’un des éléments qui revient souvent dans ce livre : la StB avait en réalité moins de contrôle sur ce qui se passait sur son territoire lorsqu’il s’agissait d’acteurs internationaux. »
« Un exemple est l’Opération Manuel, une opération qui a duré environ huit ans dans les années 1960. Durant cette période, la Tchécoslovaquie a permis aux Cubains de transporter divers révolutionnaires, soit d’Amérique latine (Brésil, Venezuela, Colombie), soit du Moyen-Orient, en passant par son territoire. »
« C’était crucial pour Cuba, surtout après la crise des missiles et les lourdes sanctions imposées contre elle. Les lignes de communication et les routes aériennes vers et depuis l’île étaient limitées, et l’une de ces routes passait par Prague. »
« Prague était donc un point stratégique où ces révolutionnaires pouvaient revenir dans leurs pays pour y organiser des révolutions ou des insurrections. Afin de nier leur passage à Cuba, ils devaient changer leurs documents à Prague. Cependant, cette relation était très complexe, car les Cubains avaient leurs propres méthodes et objectifs, et ces révolutionnaires étaient souvent imprévisibles. »
« Certains ont même déserté et révélé au monde entier que la Tchécoslovaquie jouait un rôle important, devenant ce que j’appelle une ‘bouée logistique’ pour le programme de formation révolutionnaire cubain. »
C’est dans le cadre de cette opération que Che Guevara serait venu incognito en Tchécoslovaquie en 1966, déguisé, pour y rester quatre mois ?
« On ne sait pas si cela faisait spécifiquement partie de l’opération, mais il est certain qu’il est venu durant la période où cette opération était en cours. Il n’aurait donc pas été inhabituel que la StB ou d’autres services voient des hommes latino-américains débarquer à l’aéroport de Prague. »
« À l’époque, les Cubains disposaient de plusieurs planques fournies par la StB – des villas ou des appartements où ces révolutionnaires pouvaient rester un moment, voire recevoir une formation. C’est ce que révèlent certains documents, qui montrent qu’entre mars et juillet 1966, quelqu’un est venu en Tchécoslovaquie. Il s’est avéré que ce ‘quelqu’un’ était Che Guevara. »
« Il était mentalement et physiquement épuisé, venant d’Afrique, du Congo, où il avait tenté d’organiser une insurrection, sans succès. Après cet échec, on lui a conseillé de se retirer dans un endroit sûr, qui s’est avéré être la Tchécoslovaquie. »
« Il est venu avec quelques amis. Il a d’abord séjourné dans une petite planque au centre-ville, avant de déménager dans une villa à Ládví, en périphérie de Prague. Cette villa appartenait autrefois à Jaroslav Krejčí, un collaborateur nazi et ancien Premier ministre du Protectorat de Bohême et de Moravie pendant la Seconde Guerre mondiale. »
« D’après ce que l’on sait, Che Guevara s’y est reposé. Lui et ses camarades jouaient aux échecs et au football. Mais, vers la fin de son séjour, ils ont également planifié sa mission suivante, qui devait être sa dernière : une tentative d’insurrection en Bolivie, où il sera tué. »
Prague et les réseaux palestiniens
Une grande partie du livre se concentre sur les liens entre la Tchécoslovaquie et l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dirigée pendant des décennies par Yasser Arafat. Le dirigeant communiste tchécoslovaque Gustav Husák avait d'ailleurs déclaré à Arafat : « Votre lutte est notre lutte. » Pourquoi les Tchécoslovaques étaient-ils si investis dans le soutien à l’OLP ?
« Je pense que c’était en quelque sorte un effort collectif de tout le bloc soviétique pour soutenir l’OLP, politiquement et moralement, à partir de la fin des années 1960 et dans les années 1970 et au-delà. Cela s’explique par le fait qu’après la guerre des Six Jours en 1967, lorsque les États arabes furent vaincus par Israël, il devint évident que ces États arabes, pourtant relativement puissants, étaient incapables de défier Israël. »
« Après cela, l’OLP et ses différentes factions menèrent diverses opérations contre Israël, qui semblèrent déstabiliser l’État juif d’une manière que les tentatives d’invasion arabes n’avaient pas réussi à faire. Leur importance et leur influence augmentèrent donc à la fin des années 1960. Ils devinrent un acteur clé que Moscou, tout comme Prague, Berlin-Est et d’autres capitales, remarquèrent. »
« Au début, ils les observaient pour essayer de comprendre qui ils étaient réellement. Ils étaient assez prudents au départ. Les Palestiniens se sont adressés à eux dans les années 1960, disant : “Nous avons besoin d’armes, nous avons besoin de formations.” Mais la plupart de ces pays ont répondu : “Désolé, nous ne pouvons pas vous fournir cela,” parce qu’ils représentaient une entité encore inconnue. »
« Mais cela change réellement en 1970, lorsque Moscou fournit pour la première fois des armes à l’OLP, par l’intermédiaire de l’Égypte. Et il y a un changement majeur au milieu des années 1970, après qu’Arafat prononce son discours dit de la “branche d’olivier” à l’ONU, dans lequel il signale essentiellement : “Écoutez, nous ne renonçons pas à la lutte armée – nous continuerons certainement d’attaquer Israël, notre plus grand ennemi – mais nous sommes également ouverts à la diplomatie.”
« C’est alors qu’un grand changement s’opère, et que la Tchécoslovaquie invite officiellement Arafat à Prague pour la première fois. C’est à ce moment-là qu’il commence à visiter toutes ces autres capitales. Ils ouvrent un “Bureau de l’OLP” à Prague, qui est presque comme une ambassade, mais sans statut diplomatique au début. »
« Ils s’intéressent aux Palestiniens parce qu’ils sont en quelque sorte les porte-drapeaux de la révolution au Moyen-Orient. Ils défient également l’un des grands ennemis de la région, vu depuis Moscou et le bloc soviétique, à savoir Israël. »
« Mais plus tard, comme vous le lirez dans le livre, vous découvrirez que cette relation est très compliquée. Ce n’est pas une simple histoire de l’OLP étant communiste et du bloc soviétique étant communiste, alors ils s’aiment profondément – il s’agit en fait d’acteurs très différents, avec des objectifs et des moyens très différents, qui essaient de collaborer mais échouent souvent dans cette collaboration. »
« Pas un État qui vendait du Semtex ou des armes à n’importe qui »
En ce qui concerne les actes de terrorisme, les Tchécoslovaques semblent toutefois assez réticents. Ils ne voulaient pas s’impliquer directement. Vous dites à plusieurs reprises qu’ils étaient préoccupés par leur réputation internationale. Mais pourquoi, puisque de toute façon, ils étaient déjà dans le camp du bloc de l’Est ?
« Si vous faites partie d’un gang, vous ne vous considérez pas automatiquement comme un criminel, comme la police vous perçoit, n’est-ce pas ? Vous ne vous voyez pas comme un méchant faisant des choses illégales. Mais devant votre famille, vos amis, vos voisins, vos anciens camarades d’école ou collègues, vous essayez d’avoir une image respectable ou de justifier vos actions. »
« Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles la Tchécoslovaquie tenait à sa réputation. Ils ne voulaient pas être perçus comme une marionnette de Moscou, ce qui était pourtant l’image donnée lorsqu’il était question de terrorisme international. »
« Quand cette idée selon laquelle le bloc soviétique soutenait le terrorisme international – en fournissant des armes à des groupes terroristes – a émergé à la fin des années 70 et dans les années 80, la Tchécoslovaquie était décrite comme un État marionnette de l’Union soviétique, qui distribuait des armes et des explosifs sans discernement à quiconque venait à Prague, sans se soucier de leur utilisation. »
« Mais, d’après ce que j’ai vu, cette représentation n’est pas exacte. Prague était en réalité un acteur bien plus prudent que ce qu’on aurait pensé, dans les années 1970 et 1980. Ce n’était pas un État qui vendait du Semtex ou des armes à n’importe qui. Les autorités tchécoslovaques étaient assez vigilantes, notamment envers ceux qui avaient des liens avec des terroristes. »
« Montrer son indépendance était donc une raison pour laquelle ils tenaient à leur réputation. La deuxième raison, très importante, c’est le commerce. Ils vendaient du cristal, des armes et toutes sortes de produits dans le monde entier. Dans les années 1950, ils avaient en fait plus de missions diplomatiques à travers le monde que l’Union soviétique. »
« La Tchécoslovaquie était donc une puissance commerciale bien connue mondialement. Dans le livre, on voit que, dans certains cas, des pays soupçonnaient la Tchécoslovaquie d’avoir vendu des armes à leurs adversaires ou à des insurgés actifs sur leur territoire. Ces pays étaient furieux. Certains ont envisagé de couper leurs liens diplomatiques avec Prague. »
« Enfin, c’était aussi une question de réciprocité. Dans les documents, on voit qu’ils se disaient : “Si nous sommes perçus comme des criminels, comme des soutiens au terrorisme, si cela est dénoncé à l’ONU ou dans des organisations comme l’Organisation des États Américains, cela nous décrédibilisera, ainsi que l’Union soviétique, lorsque nous critiquons les États-Unis pour leur impérialisme ou pour leur soutien à des groupes terroristes cubains ou latino-américains”. Je pense donc qu’ils avaient de nombreuses raisons de ne pas vouloir être perçus comme des criminels ou des acteurs irresponsables qui soutenaient des terroristes. »
Carlos à Prague, avec aussi Souhaila Andrawes
Il y a une histoire assez incroyable dans le livre selon laquelle Prague voulait préparer, pour publication et distribution par l’OLP, l’édition d’un vieux texte antisémite intitulé Entdecktes Judentum (Le Judaïsme démasqué), espérant ainsi saper les « sionistes ». L’OLP n’a pas suivi…
« C’est une histoire étrange, mais égamelent choquante par sa simplicité ou son manque de sophistication. C’est là que j’ai été surprise, car je pensais que la StB (la police secrète tchécoslovaque) était souvent assez astucieuse dans la conception de ce type d’opérations. Quand j’utilise le terme “mesure active”, cela désigne une manière de diffuser de la propagande contre votre adversaire. »
« Ce qu’ils voulaient réaliser avec ce livre antisémite du XVIIIᵉ siècle, c’était cela. Ils ont trouvé ce qu’ils appelaient une copie rare, ils en étaient assez excités et se sont dit : “Vous savez quoi, nous allons prendre ce livre, le traduire en anglais et peut-être même en arabe, et le distribuer dans tout le monde arabe – afin d’exposer les soi-disant fondements de l’agressivité juive, puis de l’associer au sionisme moderne”. Leur idée était de montrer qu’Israël et les sionistes étaient agressifs, et que ce n’était pas une chose récente, liée au XXᵉ siècle ou à l’après-Holocauste, mais que cela avait toujours existé. Ils voulaient l’utiliser comme une forme de “propagande noire”. »
« L’histoire s’interrompt dans les documents, et on ne voit pas vraiment les Palestiniens dire : “Non, c’est un peu idiot, cela demanderait beaucoup d’efforts, et nous n’allons pas le faire, car nous menons une insurrection contre Israël au Moyen-Orient. Nous luttons contre tous ces États arabes qui ne veulent pas nous accueillir, et nous essayons aussi d’être diplomatiques”. En d’autres termes, “Nous sommes très occupés, nous n’avons pas le temps pour cette opération compliquée et peut-être pas assez sophistiquée”. »
« Donc cela semble avoir été abandonné. Mais en réalité, la StB avait consacré pas mal de temps et d’efforts à cette opération particulière. »
Parmi les noms très connus du terrorisme international, vous mentionnez également Carlos, surnommé le Chacal, qui s’est rendu à plusieurs reprises à Prague, surtout dans les années 1970 et 1980. Pourquoi et dans quelles circonstances ?
« Carlos le chacal, ou Ilich Ramirez Sanchez, c'est une histoire assez compliquée, mais pour résumer, dans les années 1970, il s'implique dans la lutte palestinienne ; il est formé par les Palestiniens et réalise plusieurs opérations pour eux, principalement en Europe de l'Ouest. »
« Ensuite, il se brouille avec eux au milieu des années 1970 après une grande opération appelée le raid de l'OPEC, où, à Vienne, il kidnappe plusieurs politiciens de haut niveau, ministres du pétrole, du Moyen-Orient et d'Amérique Latine, lors d'une réunion de l'OPEC. »
« Il les met dans un avion et ils volent autour du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, cherchant un pays qui accepterait de les accueillir. Finalement, il les libère, mais son patron palestinien, Wadie Haddad, se fâche vraiment contre lui, car, prétendument, l'accord était de tuer au moins les ministres du pétrole saoudien et iranien, et supposément, Carlos ne l’a pas fait et a touché une récompense financière très importante de ces pays. »
« Donc, après 1975, il part en solo et c'est là que nous le voyons apparaître en Europe centrale et orientale. Il crée sa propre organisation terroriste et fait toutes sortes de choses à la fin des années 1970 et dans les années 1980. »
« Il continue d'attaquer des cibles israéliennes. Il travaille aussi pour divers États. À un moment donné, il travaille pour l'Irak, à un autre moment pour la Syrie. Et en fait, la première fois qu'il vient à Prague, c'est quand il travaille encore pour l'Irak. Et il est envoyé à Prague pour escorter une dame énigmatique dont l'identité n’a jamais été découverte par la StB. »
« J'ai réussi à la découvrir, grâce à quelques amis, et cette dame s’appelait Souhaila Andrawes, une terroriste palestinienne qui avait détourné un avion vers Mogadiscio en 1977. Elle était la seule survivante du détournement après un raid du SAS britannique et des Allemands. »
« C'est une histoire très compliquée que j'ai réussi à reconstituer, et un an après ce détournement, elle est envoyée à Prague pour un traitement médical, car elle avait subi plusieurs blessures par balle.
« Carlos l'escorte donc à Prague et passe un certain temps avec elle pendant six mois à Prague. Mais au fil des années, entre 1978 et 1986, il vient environ 10 fois, accompagné de plusieurs de ses associés. Parfois, on voit qu'il rencontre des membres d'autres groupes, qu'ils planifient, et d'autres fois, on voit qu'il est vraiment là pour se faire discret, acheter du cristal, sortir et passer un bon moment, acheter des armes. »
« Et d'autres fois, on voit qu'il passe simplement par la Tchécoslovaquie sans y passer beaucoup de temps. Peut-être que la dernière chose que je dirai est que la dernière fois qu'il vient à Prague en juin 1986, il vient avec sa femme déjà très enceinte et on croit qu’ils sont venus à Prague parce qu'ils espéraient que Magdalena Kopp, sa femme, puisse y accoucher. »
« Mais leur voyage a été vraiment dramatique. C’est à ce moment-là que le vent a tourné et que les Tchécoslovaques ont décidé de ne pas le laisser sur leur territoire – ils l'ont expulsé, ainsi que sa femme et ses associés. »
Abou Daoud, l'un des organisateurs du massacre de Munich 1972
Dans son livre, Daniela Richterová précise que la StB, pour se débarrasser de Carlos, prétend que des membres des services français ont été envoyés en Tchécoslovaquie pour le tuer... Par ailleurs, l'une des personnes que Carlos a rencontrées à Prague était Abou Daoud, plus tard décrit par la StB comme un « clochard d'hôtel ». Daoud était derrière le massacre olympique de 1972 par le groupe palestinien Septembre noir, dans lequel plusieurs athlètes israéliens ont été tués. Il est arrivé à Prague cinq ou six ans plus tard lorsque le Comité olympique international se réunissait ici à Prague. Mais le but de sa venue en Tchécoslovaquie reste un mystère.
« Il est venu plusieurs fois entre 1977, je pense, et 1982. D'après ce que je peux dire des rapports de surveillance, qui sont assez détaillés, et de son dossier, je pense qu'il venait vraiment là pour s’amuser beaucoup. »
« Il sortait assez souvent, on dirait qu’il utilisait les services de plusieurs prostituées en ville. Mais nous savons aussi évidemment qu'il a rencontré des gens comme Carlos le chacal et d'autres membres de divers groupes palestiniens. »
« J'ai donc deux hypothèses : la première hypothèse est qu'il les rencontrait pour savoir ce qu'ils préparaient et peut-être faire rapport à certains de ses contacts de l'OLP au Liban et plus tard en Tunisie. »
« Ou la deuxième hypothèse est qu'il aidait dans certains des deals d'armement. Il était un armurier chevronné et avait fourni certaines des armes utilisées dans le massacre de Munich en 1972. »
« Donc, il avait toutes les raisons de venir à Prague. Mais à propos de cette visite particulière, lorsqu'il enregistre son arrivée à l'Hôtel Intercontinental alors que le Comité olympique international est là, je pense vraiment que c'était un hasard. »
« Mais c’était l’un de ces hasards qui ont fait que la StB a stoppé net. Ils ont pensé : 'On va croire que nous avons un lien avec le massacre de Munich de 1972'. Mais je pense qu'il s’est avéré que ce n'était qu'une de ces coïncidences stupides. »
Abou Nidal et le changement d'alliances d'un mois à l'autre
Un autre nom majeur était Abou Nidal. Il avait son propre groupe, l'Organisation Abou Nidal. Il était très radical et réputé avoir tué des centaines de personnes dans 20 pays différents, y compris des Palestiniens relativement modérés. Et vous dites que Prague avait peur qu'il puisse commettre des violences contre les Palestiniens sur le territoire tchécoslovaque.
« Abou Nidal était d'abord un membre de l'OLP et il était l'homme de Yasser Arafat en Irak, en fait. Et quand Arafat a fait ce discours de la ‘branche d'olivier’ à l'ONU où il signalait qu'il était ouvert à la diplomatie, c’est là qu'un certain nombre de factions clés de l'OLP, dont celle dirigée par Abu Nidal, se sont retournées contre lui. »
« Donc Abu Nidal a créé sa propre organisation et a prétendument volé tout l'argent du bureau de l'OLP qu’il dirigeait à Bagdad à l’époque, il avait donc un bon départ pour son propre projet, car il avait pas mal d'argent et beaucoup de contacts. »
« Comme vous le dites, il a dès le départ attaqué non seulement des cibles israéliennes mais en fait, il était tellement en colère contre l’OLP principale qu’il a commencé à tuer des représentants, en particulier du Fatah, la faction de Yasser Arafat, en Occident. »
« En fait, l'une des personnes qu’il a tuées, à Paris, un diplomate palestinien, avait un frère qui servait à Prague à l'époque, donc c’était assez proche de chez eux ; la StB savait qu’ils étaient liés et savait que ces soi-disant radicaux palestiniens – ils les appelaient parfois radicaux, parfois terroristes – étaient incontrôlables en ce qui concerne la politique palestinienne. »
« Et ils le voyaient vraiment comme quelqu'un de très radical. Ils ne pensaient pas que le fait qu’ils soient d’une manière ou d’une autre utiles – politiquement, idéologiquement ou même en termes de sécurité – aux Palestiniens les empêcherait d'attaquer des cibles sur le territoire du bloc soviétique. »
« Ils le redoutaient vraiment, ils savaient que certains de ses membres venaient en Tchécoslovaquie pour recruter des gens dans la diaspora palestinienne. Et puis, à la fin des années 80, je ne vais pas trop m'attarder là-dessus, mais il y a un événement fascinant où l'un de ses envoyés vient en Tchécoslovaquie et tente d'abord de conclure une alliance avec la Tchécoslovaquie – mais moins d'un an après, il contacte Prague et dit : ‘Écoutez, j’ai des ennuis, je viens de déserter le groupeAbou Nidal, il va me tuer, j’ai besoin de votre aide’. »
« Je ne vous dirai pas si la Tchécoslovaquie a décidé d'aider ou non, c'est dans le livre. Mais ces relations étaient assez dramatiques et je pense que l'un des grands enseignements, peut-être pas surprenant pour ceux qui ont étudié cela pendant des décennies, était que la politique révolutionnaire et terroriste était tellement, tellement imprévisible. »
« Ces alliances changeaient parfois d’un mois à l’autre et c'était l'une des raisons pour lesquelles beaucoup de ces groupes venaient en Tchécoslovaquie et tentaient de conclure une alliance, car les partenariats qu'ils avaient changeaient constamment et ils cherchaient de nouvelles façons d'obtenir de l'argent, de la reconnaissance ou juste de trouver un refuge. »