Quand « cinq » signifie « zéro » ou « dix »

Euro

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Nous allons revenir pour cette fois à la série d’émissions entamée cet été consacrée aux expressions et locutions de la langue tchèque dans lesquelles figurent des chiffres. Dernièrement, nous en étions arrivés au chiffre cinq – pět. Nous allons donc poursuivre avec les chiffres suivants, mais avant cela, revenons encore à ce chiffre cinq. Un chiffre un peu curieux dans la mesure où, traduit en français, il peut désigner un zéro – nula, mais aussi le chiffre dix - deset. Comment est-ce possible ? C’est justement une des questions auxquelles nous allons tâcher de répondre…

Commençons d’abord par un petit rappel : comme nous l’avons déjà constaté dans les précédentes émissions consacrées notamment au chiffre « cinq », en tchèque, l’emploi de celui-ci ne signifie pas nécessairement qu’il s’agisse de la quantité précise, du nombre précis de cinq. Ainsi, l’expression très courante « bylo jich pět a půl », soit littéralement « ils étaient cinq et demi », ne veut pas dire qu’il y avait précisément cinq personnes et demie à un certain endroit à un certain moment, ce qui serait d’ailleurs impossible à moins d’un drame ou d’un tour de magie, mais plutôt que les personnes en question étaient peu nombreuses, qu’il n’y avait pas grand monde. Et peu importe s’il y a plus ou moins de cinq personnes, l’emploi de l’expression dépend du contexte. Ainsi, elle peut être utilisée, par exemple, s’il n’y a que trois ou quatre personnes là où on en attendait une dizaine ou une vingtaine ou s’il n’y a que dix ou vingt personnes là où on pouvait en attendre le triple ou une centaine. Comme nous l’avions également remarqué, cette expression « bylo jich pět a půl » - « ils étaient cinq et demi » équivaut à la locution très populaire également dans la langue française « trois (ou quatre) pelés et un tondu ».

Photo illustrative: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
Autre cas de figure : la note de « cinq », la fameuse « pětka », que l’on retrouve dans le système de notation appliqué dans les écoles tchèques et qui, en France, n’équivaut à rien d’autre qu’à un « zéro », à une bonne vieille « bulle ». Bref, comme le zéro en France, le « cinq » - « pětka », est la pire des notes qu’un élève tchèque puisse recevoir. D’ailleurs, s’il fallait traduire en français la phrase d’un écolier tchèque qui rentre à la maison en annonçant à ses parents « dostal jsem pětku », on ne dirait pas « j’ai reçu un cinq », phrase qui n’aurait alors aucun sens, mais bien « j’ai reçu un zéro ».

Le mot « pětka » peut donc désigner un zéro à l’école, mais lorsqu’il s’agit de monnaie, d’argent, il signifie « dix couronnes » dans le langage populaire ou en argot. Tout étranger qui apprend le tchèque a sans doute vécu la situation absurde et a été surpris lorsqu’un Tchèque lui a demandé pour la première fois s’il n’avait pas une « pětka »à lui prêter. L’étranger sort en effet alors automatiquement une pièce de cinq couronnes de son porte-monnaie, ce qui fait forcément rire le Tchèque, qui s’empresse alors de lui expliquer que « pětka » désigne en fait une pièce de dix couronnes.

En cherchant un peu, on découvre que ce mot « pětka » est apparu au XIXe siècle. A l’époque, comme vous le savez, Bohême et Moravie appartenaient à l’empire austro-hongrois. Ce petit mot trouve donc son origine dans la réforme monétaire qui s’est tenue dans l’empire très précisément en 1892. Une date importante puisqu’elle marque la naissance et l’arrivée sur le marché de la couronne – koruna, la monnaie aujourd’hui en cours en République tchèque, ainsi qu’en Slovaquie avant l’adoption de l’euro au début de l’année dernière. Avant cela, l’unité monétaire utilisée était ce que les Tchèques appelaient le « zlatý ». Aujourd’hui, et à l’époque aussi déjà, il s’agit d’un adjectif qui signifie « doré » ou « en or ». Mais le mot « zlatý » désignait alors le florin autrichien, « gulden » en allemand. Notons tout de même au passage que les pièces de monnaie et le florin étaient frappés en or à l’origine, et que le mot « zlatý » est sans aucun doute la traduction tchèque de « gulden ».

Photo: Štěpánka Budková
Mais revenons à notre mot « pětka » : en plus de rebaptiser la monnaie, la réforme de 1892 entraîna également une dévaluation. La valeur d’un florin était de deux couronnes. Et, c’est bien connu, les gens étant très conservateurs dans ces cas-là, comme ce fut le cas en France lors du passage de l’ancien au nouveau franc, puis du franc à l’euro, ils ont donc continué à calculer leurs prix dans l’ancienne monnaie. Ainsi donc, une pièce de deux couronnes restait un florin, aussi appelé « zlatka », et dix couronnes se disaient donc « pětka », soit « une pièce de cinq ». Et si vous vous posez la question, légitime, de savoir pourquoi seulement précisément dix couronnes, sachez encore que c’est parce qu’avant la réforme, le billet d’une valeur de cinq florins était justement appelé « pětka ». Et depuis, chose tout de même étonnante, l’usage est resté dans le langage populaire. Reste seulement à savoir si ce mot « pětka » restera également en usage pour désigner un billet de dix euros lorsque l’unité monétaire de la République tchèque sera l’euro. Mais il faudra attendre encore, et peut-être encore longtemps au rythme où vont les choses, avant d’en avoir la réponse…

C’est ainsi que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » dans lequel nous avons fait l’étrange constat que « cinq » en tchèque pouvait signifier « zéro » ou « dix ». Sachez encore que les Tchèques peuvent aussi dire « kilo », soit « un kilo » lorsqu’ils parlent de cent couronnes, et « litr », soit « un litre » lorsqu’ils parlent de « mille couronnes ». Pourquoi ? C’est ce que nous tâcherons de découvrir dans une prochaine émission. En attendant, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !