La « révolution de l’imprimé »
On parle aujourd’hui de la révolution que constitue Internet comme l’on parlait, au XVIème siècle, de la révolution de l’imprimé. Au total, les élites religieuses et intellectuelles tchèques y auront joué un rôle important et l’on voit ici se réunir protestants et catholiques...
En 1500, on compte déjà 250 pays en Europe (le continent est alors bien plus morcelé) dotés d’une ou plusieurs imprimeries.
Aussi étrange que cela paraisse, la ville de Plzeň, en Bohême de l’ouest, dispose d’une imprimerie neuf ans avant Prague, en 1468. C’est même l’une des premières villes à être équipée en Europe centrale, avant Cracovie, Buda et Prague. Après Rome et la même année que Paris par ailleurs. A l’échelle européenne, pour le début du XVIème siècle, on estime le nombre de livres en circulation à environ 13 millions d’exemplaires !Quant à définir le nombre de lecteurs c’est une autre affaire... Analphabétisme oblige, les livres étaient, à l’époque, plutôt lus en public, ce qui d’ailleurs décuplait le nombre d’auditeurs-lecteurs potentiels !
A Prague en tout cas, on sait que le niveau culturel de la bourgeoisie tchèque est très élevé à la fin du XVIème siècle. D’après les inventaires après décès, 60 % des bourgeois de la Vieille-Ville possèdent des livres. La ville de Prague développe d’ailleurs un véritable culte du livre et de l’imprimé. Bien sûr, le nombre de lettrés reste minoritaire d’où l’importance du prêche. A cela s’ajoute, chez les hussites comme chez les protestants, l’accent mis sur un rapport plus individualisé avec les Ecritures saintes. L’imprimé est une aubaine en ce qu’il permet de les diffuser avec plus de vigueur. Publiée en langue tchèque, la Bible dite de Kralice, est diffusée de 1579 à 1588 par l’Eglise des Frères tchèques. Elle connaîtra de nombreuses réimpressions pendant plus d’un siècle. L’Angleterre quant à elle devra attendre 1611 pour une Bible en langue anglaise.« Pour Pâques, on attend la publication d’une nouvelle traduction de la Bible, dite Bible du 21ème siècle ou Bible 21. Il s’agit d’une réactualisation de la traduction en tenant compte de la langue tchèque actuelle, afin de rapprocher les lecteurs avec les Ecritures.»
Český Rozhlas annonçait la nouvelle au printemps 2009 : on le voit, le souci de la langue et de l’imprimé est resté primordial pour les autorités religieuses.
Gardons-nous cependant de tout comparatisme hâtif : au XVIème siècle, les Bibles imprimées en langues vernaculaires étaient critiquées par le clergé, qui y voyait une source d’hérésie. Il faut dire que l’imprimé a largement participé à la domination écrite des langues nationales sur le latin en Europe. A Paris, en 1660, seuls 10 % des livres imprimés le sont en latin.Production livresque et imprimé sont parfois produits à l’étranger, échappant par la même occasion à la censure de leur pays. L’ouvrage de Jan Amos Komenský ou Comenius, la Grande Didactique, en fait l’un des pères de la pédagogie moderne.
C’est de son exil qu’il l’aura écrit. Forcé d’émigrer en 1621, suite à la défaite de la Montagne Blanche et à la Contre-Réforme, ce pasteur de l’Eglise des Frères moraves s’installe à Amsterdam à partir de 1656, protégé par une famille d’industriels de Geer.
Centre d’émigration de Protestants mais aussi centre de l’imprimerie en Europe au XVIIème siècle, Amsterdam voir des livres imprimés et publiés en toutes les langues, du russe au yiddish en passant par l’espagnol, le français, etc...
On y trouve des Protestants tchèques mais aussi de nombreux Protestants français, qui ont dû s’exiler après la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV en 1685. A partir de 1662, un hebdomadaire en français, la Gazette d’Amsterdam, produit des articles critiquant l’Eglise catholique ou en encore le roi de France. Souvent, ils pénètrent clandestinement en France.
De même, en Bohême, de nombreux écrivains tchèques connaissent le nom et l’oeuvre de Comenius car même les écrivains catholiques ont maintenu des contacts avec l’émigration. Parmi eux Tomáš Pešina et Bohuslav Balbín. Bien que tous les deux Jésuites, ils n’avaient jamais renié l’importance de Jan Hus dans l’histoire nationale. Il n’est pas jusqu’au Jésuite Bedřich Bridel, pourtant censeur au service de la Contre-Réforme, qui s’inspire, dans ses poésies, de l’oeuvre du Protestant Comenius. Certains écrivains catholiques tchèques n’hésitent d’ailleurs pas à braver la censure de l’intérieur. Ainsi, la Dissertation apologique en faveur de la langue slave, écrite en 1667 par Bohuslav Balbín, ne sera publié qu’un siècle plus tard ! Le livre attaque en effet violemment le représentant de l’empereur en Bohême, Ignaz Martinic, que Balbín n’hésite pas à apostropher : « Aucun propriétaire terrien n’accepterait de traiter son domaine comme tu traites le royaume de Bohême, dont tous les revenus sont mis au pillage lorsque la cour de Vienne, appâtée par la saveur de l’argent tchèque, appelle chaque jour, d’une bouche insatiable : Apporte ! apporte ! »Au final, La Bohême se sera pleinement inscrite dans ce que certains historiens appellent la « Révolution de l’imprimé ». Ce lien très fort des Tchèques avec l’écrit ne se démentira pas jusqu’au XXème siècle...