La renaissance nationale passera par la langue

Il y a 229 ans, le 25 mai 1777, était promulgué par Vienne un décret qui a ravivé la conscience nationale tchèque, en sommeil depuis 1618 et la défaite de la Montagne Blanche. Ce décret réduisait le nombre des lycées de langue tchèque et les remplaçait par des écoles où l'enseignement s'effectuait en allemand. Y voir une volonté de germanisation relèverait de l'image d'Epinal. L'épisode n'en a pas moins donné une grande impulsion aux défenseurs de la langue tchèque.

La suppression de l'ordre des Jésuites en 1773 a eu un impact certain sur l'enseignement du tchèque à Prague. L'ordre catholique est en effet un ardent défenseur de la langue de Bohême. La réforme épargne en revanche les lycées piaristes, qui n'utilisent que l'allemand. Installés à Prague depuis 1556, les Jésuites ont été d'ardents propagateurs de la Contre-Réforme. Par extension, l'historiographie nationaliste du XIXe siècle en a fait les bras droits d'une politique de germanisation des Habsbourg.

Il suffit de s'arrêter sur le parcours du plus illustre d'entre eux, Bohuslav Balbin, pour se rendre compte qu'il n'en était rien. Jésuite tchèque, il enseigne au Clementinum de 1677 à 1688. C'est à cette époque qu'il se décide à écrire une histoire monumentale de la Bohême. Mais surtout, il rédige, en 1667, un traité célèbre, la "Dissertation apologique en faveur de la langue tchèque". L'oeuvre est publiée en latin en 1775 et il faudra attendre 1869 pour la voir traduite en tchèque ! Un court extrait permet de comprendre en quoi Balbin fut un précurseur de la renaissance nationale : "Dans quel malheur se jette la patrie lorsque la nation se contraint à une nouvelle langue, à de nouvelles lois, à une nouvelle constitution ?"

Joseph II
La politique de germanisation des Habsbourg relève également plus du mythe que de la réalité. L'enseignement du tchèque fut introduit en 1752 un peu partout en Autriche : à l'académie noble Marie-Thérèse de Vienne puis à l'académie militaire de Wiener Neustadt. Une chaire de tchèque fut même créée à l'université de Vienne. Il faudra attendre 1791 pour que Prague ait la sienne. Par un décret de 1763, Marie-Thérèse avait enfin recommandé l'usage du tchèque dans les écoles parce que c'était la langue de la majorité.

Mais la politique de "despotisme éclairé" de Marie-Thérèse puis de Joseph II n'en vise pas moins à former des sujets fidèles à la couronne. L'enseignement se rationalise. Il s'agit de développer l'esprit de modération et de discipline. La caserne fait son entrée à l'école ! En mai 1784, Joseph II impose un édit faisant de l'allemand la langue administrative. Il faut y voir moins une volonté d'acculturation qu'un souci pratique de simplification des démarches.

Cette série de décrets impopulaires provoque un véritable réveil national, qui passe d'abord par un retour sur la langue tchèque. On peut y voir les origines d'une conscience nationale moderne.

Bien que germanisée, la noblesse tchèque compte en son sein de nombreux défenseurs du tchèque. En 1773, dans un traité écrit en allemand, Frantisek Josef Kinski met en avant le caractère harmonique et musical du tchèque. Le comte Franz Nostic, lui, fait de son palais à Mala Strana, un lieu ouvert aux intellectuels tchèques. Il faut aussi citer un intellectuel allemand, Pelcl, qui avait appris le tchèque à l'école. En 1774, il publia une Brève histoire de la Bohême.

A la fin du XVIIIe siècle, se développe également une presse en tchèque. Le juriste Vaclav Matej publie en 1789 le premier quotidien tchèque. Il avait aussi fondé la maison d'édition L'Expédition tchèque, qui diffusait ses livres dans les campagnes grâce à l'appui de lecteurs.

Dans les années 1770, un petit cercle de scientifiques crée la Société savante pour l'enseignement des mathématiques, de l'histoire nationale et des sciences naturelles. Ignace Born, directeur de la revue de la Société, veut améliorer l'enseignement scientifique en Bohême.

La politique néo-absolutiste de l'Autriche au XIXe siècle va mener la vie dure à cette institution. Devenue entre-temps Société tchèque pour les sciences, elle fait l'objet, à partir de 1800, d'une surveillance constante de la police. Ses relations avec l'étranger sont notamment passées au crible. L'intelligentsia tchèque décide de résister et répond par la création de l'Institut Polytechnique de Bohême, en 1803. Il jouera un prestigieux rôle scientifique. Citons ainsi la création d'une automobile à vapeur en 1815, préfigurant une grande tradition tchèque !

Le patriotisme linguistique au XVIIIe siècle préfigure le nationalisme du siècle suivant. L'idée d'une indépendance tchèque n'est toutefois pas encore présente. La position de Josef Dobrovsky, grande figure de la renaissance nationale, est à ce sujet éloquente. Dans son discours de 1791 à la Société des sciences de Bohême, il y prononce un long plaidoyer en faveur de la langue tchèque. Il y insiste également sur la fidélité des nations slaves à la Maison d'Autriche.