Quand l’histoire devient un jeu

'Ce qui ne figure pas dans les guides de Prague', photo: motto
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Nous vivons entourés d’histoire. Nous ne pouvons pas échapper au passé, au temps révolu dans lequel ont vécu nos ancêtres et qui reste profondément ancré dans notre subconscient. Nous avons tous une vision de l’histoire de notre famille, de notre ville et de notre peuple, vision qui s’est formée progressivement pendant notre existence grâce à l’école et à nos lectures. Mais cette vision est souvent déformée par de fausses informations, des lacunes, des idées reçues et même des mensonges. Nous n’avons ni le temps, ni l’envie de chercher laborieusement la vérité historique, l’histoire étant pour beaucoup d’entre nous une discipline morne, rébarbative et déshumanisée. L’écrivaine Stanislava Jarolímková refuse d’accepter cette vision terne du passé et présente dans ses livres une autre histoire : l’histoire vivante d’hommes et de femmes qui ont vécu jadis et qui, bien que très différents de nous, nous ressemblent quand même.

Stanislava Jarolímková,  photo: Jana Chládková,  ČRo
C’est Prague qui est le thème majeur de l’œuvre de Stanislava Jarolímková. Née dans une maternité située sur une île sur la Vltava, donc dans le cœur même de la capitale tchèque, elle a vécu également son enfance dans les décors pragois. Enfant, Stanislava Jarolímková fait preuve déjà de beaucoup de curiosité, d’esprit critique et d’une certaine résistance aux idées reçues :

« Je me rappelle seulement que quand j’ai commencé à devenir raisonnable, j’ai toujours été très intriguée quand je trouvais dans un livre ou à l’école des questions du type ‘Pourquoi les fourmis battent la terre avec leur ventre ?’ ou ‘Jésus a-t-il bien vécu ?’ J’ai été étonnée d’apprendre par exemple que jusqu’au Ve siècle, les gens, lorsqu’ils lisaient, récitaient le texte à haute voix. Alors, quand j’ai lu un article sur la bibliothèque d’Alexandrie, je me suis dit que dans la bibliothèque, il devait y avoir un grand vacarme avec tous ces lecteurs qui déclamaient à haute voix. »

Après des études de journalisme à l’Université Charles de Prague, Stanislava Jarolímková commence à travailler dans la presse. En 1978, elle entre dans un institut de recherches où elle reste jusqu’en 1991, puis elle reprend sa carrière journalistique. Elle collabore avec des journaux et des magazines pragois, avec la radio et la télévision, et leur propose des curiosités de nombreux domaines, dont la médecine, la technique, la flore, la faune et … l’histoire. Parallèlement, elle publie des entretiens, des feuilletons et des contes. C’est en 1999 qu’elle commence à écrire, et, aujourd’hui, elle possède plus d’une vingtaine d’ouvrages à son compte.

'Ce qui ne figure pas dans les guides de Prague',  photo: motto
Elle est l’auteur de plusieurs séries de livres consacrés à l’histoire, aux personnalités historiques, aux souverains du royaume tchèque. Elle signe aussi une série de livres intitulés « Ce qui ne figure pas dans les guides de Prague ». La série est conçue comme un complément amusant pour ceux qui s’intéressent au passé de la capitale tchèque. Stanislava Jarolímková évoque par exemple de vieilles coutumes des Pragois, explique pourquoi les rois ne résidaient pas seulement au Château de Prague, pourquoi l’empereur Charles IV a failli faire décapiter un de ses fils. Le lecteur que l’auteur promène dans les rues de la capitale apprend que les médecins de l’Hôpital municipal punissaient physiquement les infirmiers, que la couronne des rois tchèques est restée emmurée pendant un certain temps ou bien que les Pragois pouvaient utiliser un escalier roulant en bois pour monter au parc de Letná. L’auteur aime surprendre ses lecteurs en leur faisant découvrir des choses inattendues même dans les endroits qu’ils fréquentent tous les jours et qu’ils croient bien connaître :

La cour du musée Vojta Náprstek,  photo: Archives de Radio Prague
« Dans un de mes livres sur Prague, je constate par exemple qu’il y a des cavités à l’intérieur du Pont Charles et j’explique pourquoi. C’était la conséquence de la grande crue de 1890. Dans mon livre figure également l’information selon laquelle dans la cour du Musée Náprstek à Prague se trouve un boulot appelé ‘Pepička 2’. Et c’est un arbre qui a remplacé le boulot ‘ Pepička 1’ qui avait été planté dans la cour par madame Josefa (Pepička) Náprstková, femme du fondateur du musée Vojta Náprstek. Mais, autour de l’an 1911, le boulot rongé par les insectes a dû être abattu et remplacé par l’arbre ‘ Pepicka 2’. Tout le monde peut le voir aujourd’hui dans la cour même sans entrer dans le musée. »

Dans d’autres livres, Stanislava Jarolímková évoque la vie des grands hommes et des femmes célèbres, et les situe dans les endroits concrets de la topographie pragoise. L’histoire n’est pas pour elle une suite d’événements, mais un enchevêtrement d’innombrables vies individuelles. Elle choisit quelques-unes de ces vies qui lui permettent de déployer son talent pour la découverte de traits intéressants et détails surprenants. Elle n’est pas une romancière, n’écrit pas de la fiction, ne cherche pas à transformer ou déformer les événements historiques. Stanislava Jarolímková ne fait que raconter les vies des personnalités de jadis et les faits historiques en y ajoutant de nombreux détails très personnels trouvés dans les archives et absents des manuels d’histoire. Elle parle de la vie quotidienne de ces célébrités historiques, de leurs amours et de leurs chagrins. Elle n’oublie pas non plus d’évoquer leurs faiblesses, leurs infidélités, leurs violons d’Ingres et leurs plats favoris. Et, tout à coup, l’histoire s’anime, les petits événements prennent un nouveau sens et la discipline morne devient une suite de révélations et de découvertes captivantes. Le lecteur est pris au piège et se rend compte qu’il veut connaître toujours plus de détails. La vie même de Stanislava Jarolímková devient ainsi une recherche permanente d’informations savoureuses :

'Ce qui ne figure pas dans les guides',  photo: motto
« Je lis toujours. Avant, j’écrivais et lisais tout ce que je trouvais sur Prague. J’ai fouillé dans toutes les bibliothèques qui étaient à ma portée, fait des tas de notes. Et j’utilise la même méthode pour écrire sur l’histoire tchèque. C’est une espèce de puzzle. On ne peut pas trouver tout cela dans un seul livre. Quand je veux parler par exemple d’ethnographie et évoquer les chansons et les danses du passé, je vois que chaque spécialiste a rédigé son ouvrage, ses ouvrages, sur tout cela. Et je dois les lire pour y picorer et en tirer ce que je trouve intéressant pour pouvoir composer finalement la mosaïque de mon livre. »

L’écrivaine vit donc entourée de tas de livres parfois assez rébarbatifs, mais elle sait que certains de ces volumes cachent de véritables trésors qu’elle désire tirer de l’oubli. Les auteurs de ces volumes y ont mis une énorme quantité d’informations et le lecteur risque de s’y perdre. Stanislava Jarolímková aime errer dans ces forêts impénétrables et elle éprouve la joie d’un enfant lorsqu’elle y découvre une information inconnue, étonnante et même choquante. Elle aime les petites histoires comme celle sur la première utilisation des rayons X à Prague :

« C’était dans un hôtel, là où se trouve aujourd’hui la Banque nationale tchèque, place de la République, et l’hôtelier qui s’appelait Cívka a acheté un appareil de radiographie de Wilhelm Röntgen pour amuser ses clients. Les gens venaient et y mettaient leurs mains pour les faire radiographier et s’exposaient aux rayons X sans savoir ce que cela pourrait leur faire. Et un jour, le célèbre médecin Jedlička y a amené un charpentier qui avait avalé un clou. On a fait une radio de ce charpentier, et grâce aux rayons X, le professeur Jedlička a pu localiser le clou. Il a ensuite opéré le malade et a pu en retirer le clou de son corps. Mais le premier établissement médical de Prague à posséder un appareil de radiographie a été l’Hôpital de la place Charles. »

Parfois, Jaroslava Jarolímková va jusqu’à défier l’historiographie officielle en publiant des informations bien différentes de ce que l’on nous a appris à l’école. Elle aime déboulonner les mythes et démythifier l’histoire sans prétendre cependant avoir le monopole de la vérité historique. Elle cherche d’ailleurs toujours à vérifier ces informations dans plusieurs sources. « Je n’ai jamais écrit de choses que je pourrais me reprocher ou qui me feraient honte », affirme-t-elle. L’histoire est pour elle une discipline vivante, un immense jeu pour enfants et adultes qui n’en finit pas de nous amuser et de nous surprendre, mais aussi finalement de nous instruire.