Quelle loi pour le Parc national de la Šumava ?
Commandée par l’Académie tchèque des sciences, une étude réalisée par un cabinet de conseil britannique affirme que le parc national de la Šumava, espace du sud-ouest de la Bohême, où sont préservés des trésors de l’écosystème d’Europe centrale, gagnerait à développer sa surface laissée sauvage. Ce n’est pourtant pas ce que réserve un projet de loi, depuis quelques années dans les cartons, qui doit permettre l’ouverture du parc à de nouvelles activités économiques. Les organisations écologistes se battent contre ce texte, qui devrait bientôt être examiné à la Chambre des députés, et le Hnutí DUHA (le mouvement Arc-en-ciel) a lancé une pétition, forte déjà de près de 5000 signatures, pour que la législation évolue, mais « dans le bon sens ».
C’est ainsi un domaine privilégié que s’efforcent de préserver certaines organisations écologistes, telles que Hnutí DUHA, association née à Brno en 1989 et membre de l’organisation non gouvernementale des Amis de la Terre. Vétérinaire de formation, Jaromír Bláha en est le président. Il explique :
« Depuis longtemps, nous essayons d’encourager le développement des espaces naturels protégés, d’espaces naturels laissés sauvages, car nous en avons besoin pour sauvegarder les espèces, animales et végétales, qui disparaissent dans nos régions, mais aussi pour l’homme. Et le massif de la Šumava est un cas typique car il y a un grand potentiel. C’est un espace peu urbanisé qui est classé parc national et le but est d’y protéger la nature, l’écosystème et son développement. »
Et l’étude publiée par la société de conseil Eftec en ce mois de janvier 2014 semble apporter de l’eau à son moulin. Elle conseille de privilégier l’aspect sauvage de ce parc naturel national, le plus grand de République tchèque, qui accueille chaque année près de deux millions de visiteurs. Les auteurs de l’étude considèrent qu’il y a bien plus à gagner avec les bénéfices attendues du développement de l’écotourisme plutôt qu’avec une vision à court terme misant sur l’exploitation économique du parc. Cette dernière option est pourtant aujourd’hui à l’ordre du jour.Un projet de loi, validé au printemps dernier par le gouvernement de droite de Petr Nečas (ODS), envisage en effet d’étendre la surface du parc exploitable à différentes activités économiques. Avec la chute de ce cabinet suite à un énième scandale de corruption et la dissolution de la Chambre des députés durant l’été, le texte n’a toujours pas été examiné par les parlementaires tchèques. Ce n’est toutefois que partie remise et le projet sera bel et bien étudié par les députés. Directeur du parc national de la Šumava, Jiří Mánek, également membre du parti civique démocrate ODS, le défend :
« Je dois dire que pour moi, cette proposition de loi est positive et ce pour plusieurs raisons.Tout d’abord, avec ce projet gouvernemental, le Parc national de la Šumava aurait la plus grande zone de niveau un de toute son histoire. La superficie de cette zone garantissant une protection maximale augmenterait de 100%, passant de 9000 hectares à 18 000 hectares (soit environ 26,5% de la superficie totale du parc, ndlr). Ensuite, la proposition gouvernementale augmenterait également la surface où l’homme n’intervient pas du tout sur l’espace naturel, une surface qui serait plus importante par exemple que celle du Parc national de la forêt de Bavière. »Malgré cela, cette nouvelle division en trois zones de protection du parc est loin de faire l’unanimité. Certaines municipalités, situées sur le territoire du parc, plaident pour une extension de la zone de niveau trois, la moins protégée. A l’inverse, les militants écologistes s’inquiètent précisément de l’agrandissement de ce territoire et souhaiteraient que la moitié de la surface du parc soit préservée selon les critères définis par le niveau un.
Pour l’universitaire Martin Braniš, membre du conseil scientifique fantôme du Parc national de la Šumava, ce découpage a été réalisé sans s’appuyer sur aucune base scientifique solide. Et Jaromír Bláha de pointer le problème :
« Le problème, c’est qu’il y a une grande pression de l’industrie minière et de l’industrie du bois pour diminuer les niveaux de protection de certains espaces naturels. Il y a en effet en République tchèque une grande capacité pour les industries travaillant le bois, une capacité qui excède le volume de matière première que peuvent fournir les forêts tchèques. »Jaromír Bláha ajoute que le bois est une matière première dont le prix est à la hausse. Il y a selon lui d’autres intérêts économiques en jeu, et notamment une pression commerciale sur les terres, en plus d’investisseurs qui aimeraient bien développer certaines activités et construire, pourquoi pas, de nouvelles zones skiables dans le massif.
Jiří Mánek rejette l’intégralité de ces critiques. Le directeur du parc indique que les organisations de défense de la nature garderont un droit de regard sur les nouvelles constructions en son sein. Sur la question de l’exploitation du bois, il est également catégorique :
« Le plan d’exploitation des forêts prévoit le volume maximal de bois qu’il est possible d’exploiter. Pour le Parc de la Šumava, il s’agit de 120 000 mètres cubes par an. Cela n’a jamais été moins et cela ne sera jamais plus. »
Pourtant, de l’avis de Jaromír Bláha, la nouvelle direction du parc, plutôt que d’en défendre les intérêts, appuie ces changements en faveur des industriels :« Cette pression des industriels a conduit à un changement politique au niveau de la direction du parc en 2010-2011 avec la nomination au poste de directeur de Jan Stráský, qui s’est employé à rendre possible toutes ces activités. »
Jan Stráský, politicien expérimenté, membre du parti ODS dans les années 1990, s’est notamment illustré en recevant en 2011 deux prix de l’organisation des Amis de la Terre. Il doit le premier, le prix Ropák, qui récompense l’ « action anti-écologique de l’année », à son usage, interdit par la loi, d’un produit chimique pour traiter une infection de certains arbres du parc par des scolytes. C’est justement des propos sur la loi qui lui valent sa seconde récompense, une Zelená Perla (Perle verte), qui distingue des propos particulièrement stupides. Il a ainsi déclaré que « la loi est respectée à partir du moment où elle est continuellement violée mais que ces violations sont couvertes par des exceptions ».
Jan Stráský a été remplacé en 2012 par Jiří Mánek, dont le profit ne satisfait pas non plus les mouvements écologistes. Jaromír Bláha:
« Jiří Mánek est quelqu’un qui est directement intégré aux structures politiques de Bohême du Sud, puisqu’il est membre du conseil régional sous les couleurs de l’ODS, et est en fait directement lié aux structures mafieuses de Bohême du Sud. »Pour étayer ses propos accusateurs, Jaromír Bláha fait remarquer que, pour que certains terrains du parc puissent être exploités économiquement, il faut changer leur niveau de protection, souvent du deuxième au troisième. Or il constate que la loi permet cette rétrogradation pour des domaines appartenant à des entrepreneurs de Bohême du Sud, tels que František Talián, dont un hôtel, situé dans le charmant village de Hluboká nad Vltavou, a servi en 2011 aux célébrations du vingtième anniversaire du parc, sous l’égide de Jan Stráský. František Talián est d’ailleurs opposé à toute réglementation sur le territoire du massif de la Šumava.
Mais les partisans du projet de loi insistent tous sur le fait que le texte final est le résultat d’un compromis entre les différentes parties. C’est le cas de Tomáš Chalupa (ODS), le ministre de l’Environnement dans le gouvernement de Petr Nečas :
« Nous nous sommes efforcés d’examiner chacune des phrases de ce texte à la table des négociations. C’est sur cette table que ces phrases ont été écrites conjointement par les communes, les militants, les scientifiques... Mais tous ont dû faire des concessions, et le ministère également. Le projet initial porté par le ministère était tout autre que le texte sur lequel nous nous appuyons désormais. »
La petite commune de Prašíly, située sur le territoire du parc dans la région de Plzeň, n’a pourtant participé à aucune négociation. La mairie de la municipalité est contre le projet de loi et sa dissidence lui vaut de ne pas faire partie de l’Association des villages de la Sumava.Avec l’élection d’une nouvelle Chambre des députés en octobre dernier, les organisations écologistes ne savent pas réellement à quoi s’attendre. Certains membres du parti social-démocrate, et notamment ceux de sa section de Bohême de l’Ouest, soutiennent le projet de loi, d’autres non.
La probable nomination de Richard Brabec, du mouvement de l’Action des citoyens mécontents (ANO), ne laisse guère optimistes les militants écologistes. Celui-ci est en effet un professionnel de l’industrie chimique dont il a longtemps défendu les intérêts au sein du syndicat du même nom. Et le chef de cette nouvelle formation, le milliardaire Andrej Babiš, est le propriétaire du groupe Agrofert, et donc de dizaines d’entreprises, dont certaines dans le secteur de l’exploitation forestière.
Aussi, le mouvement Hnutí DUHA a lancé une pétition pour réclamer le vote d’une autre loi, garantissant la protection de la nature dans le massif de la Šumava. Jaromír Bláha :
« Cette pétition demande aux députés de faire passer une loi qui sauvegarde la surface du parc national déjà protégée et qui l’étend progressivement à la moitié de sa superficie totale. Une loi qui protégerait en fait le parc des investisseurs et des constructeurs qui détruiraient cette région de la Šumava. »Si le projet de loi est finalement validé dans sa version actuelle par les parlementaires, le Parc national de la Šumava risque tout simplement de perdre son statut de « parc national » et pourrait se retrouver avec deux trous rouges au côté droit.