Quelle référence chrétienne pour la Tchéquie ?

Faut-il faire référence à l'identité chrétienne de l'Europe dans la future Constitution européenne ? Comme six autres pays européens, la République tchèque a souhaité voir figurer une telle mention. Un souhait cohérent, tant les terres tchèques ont baigné dans les grands courants chrétiens mais peut-être plus paradoxal au vu de la situation actuelle : les Tchèques se disent majoritairement athées et la pratique religieuse est, en Bohême du moins, parmi les plus faibles dans l'UE. Retour sur les rapports, parfois complexes, des Tchèques avec le christianisme.

Des hussites
Comment une ville avec une densité aussi grande en églises que Prague peut-elle compter aussi peu de catholiques pratiquants ? Le communisme et son idéologie anti-cléricale, martelée pendant 40 ans, ont sans doute laissé des traces dans la population. Il ne saurait tout expliquer. Il suffit de penser à la Pologne voisine, où l'Eglise a joué un rôle non négligeable dans l'opposition au régime et où le catholicisme reste, aujourd'hui encore, une valeur forte.

Parler d' « exception tchèque » est sans doute exagéré au vu des différences entre une Bohême majoritairement athée et une Moravie restée catholique. La période hussite au XVème siècle puis la Contre-Réforme au XVIIème siècle ont en tous cas établi un rapport bien précis au catholicisme.

Les guerres hussites, qui commencent vers 1420, voient le catholicisme disparaître du pays. Les Tchèques se réclament de l'enseignement du calice. La pression des croisades lancées par le pape et les puissances occidentales ne suffit pas à ramener la Bohême dans le giron de l'Eglise romaine. Si officiellement, deux églises, l'utraquiste et la catholique, subsistent côte à côte, cette dernière disparaît progressivement du paysage. La situation ne change guère après les guerres hussites : sous le règne de Georges de Podiebrad, le pape et le concile refusent de confirmer Jan de Rokycany comme archevêque de Prague. L'archevêché restera vacant et donc Prague en dehors de la chrétienté officielle pendant un siècle et demi ! Créé en 1344, sous le règne de Charles IV, l'archevêché de Prague avait pourtant été l'un des premiers et des plus importants en Europe centrale.

Georges de Podiebrad
Qu'importe, à partir de 1467, l'Unité des Frères, issu de la composante modérée des hussites, élit des laïcs qu'elle institue elle-même prêtres. Dès 1500, ses membres possèdent leurs évêques, leur catéchisme et leurs recueils de chants. L'Unité des Frères devient une véritable église protestante, seule à survivre au hussitisme.

La réaction des Habsbourg au protestantisme dans l'Empire enfoncera le clou dans les rapports des Tchèques avec le catholicisme. En 1627, dans le contexte de la Guerre de Trente Ans, les Habsbourg imposent la constitution dite « renouvelée », qui fait du catholicisme la seule religion autorisée dans le royaume de Bohême. Le geste est autant religieux que politique. Le vieux principe médiéval « une foi, un roi » reste le BA-BA de la bonne gouvernance à l'âge baroque. Il a aussi fait du catholicisme une religion de domination aux yeux des Tchèques, un thème qui sera repris par les acteurs de l'Eveil national au XIXème siècle.

La Contre-Réforme a pourtant eu aussi son revers de la médaille : c'est du rang des Jésuites qu'est sorti un grand défenseur de la nation et de la langue tchèque, Bohuslav Balbin. Comme un autre écrivain catholique, Pesina, Balbin n'a jamais exclu Hus de l'histoire tchèque. Plus anecdotique, la Bohême peut s'enorgueillir d'avoir répandu, au XVIIIème siècle, le culte de Saint-Jean Népomucène en Autriche et dans toute l'Europe centrale.

Pourtant, derrière la multitude d'églises baroques et la chaleur des processions et pèlerinages, c'est bien en tant que religion de combat que restera le catholicisme dans la conscience nationale. La destruction de la colonne mariale sur la place de la Vieille Ville lors de la création de la Tchécoslovaquie, en 1918, est à ce sujet éloquente.

Les expériences des guerres religieuses et de la Contre-Réforme ont sans doute donné son visage particulier au sentiment chrétien dans les Pays tchèques. Le terme d'humanisme chrétien conviendrait sans doute le mieux et Masaryk lui-même en fournit le parfait exemple. Lors de sa thèse universitaire sur le suicide, le jeune Masaryk mettait l'accent sur la perte de sens, fourni auparavant par la religion. Dans une série d'essais écrits avant 1914 (« La Question tchèque », « Notre crise actuelle »), il propose de remédier au problème, non par un refuge aveugle dans la religion mais dans le travail modeste et incessant, l'effort de tous les jours. Si ces valeurs s'inscrivent tout droit dans la tradition protestante, elles prennent, dans la pensée de Masaryk, un sens plus large. Le christianisme de Masaryk, dans la tradition de Comenius, englobe toutes les grandes valeurs universelles. La 1ère République tchécoslovaque en porte les marques : respect des minorités ethniques et religieuses dans la Constitution de 1920, système social parmi les plus avancés d'Europe...

L'histoire du christianisme en Bohême aura été souvent complexe. Elle en reste néanmoins indissociable. Sans parler de l'apport des terres tchèques aux idées religieuses en Europe, question qui mériterait un chapitre à part entière ! En ce sens, le souhait d'une référence à l'identité chrétienne dans la future constitution européenne paraît cohérent.