La place des pays tchèques dans l'histoire de l'Europe

Prague

En mai 2004, la République tchèque entrera dans l'Union Européenne. Un acte qui, au-delà de sa portée historique, aura une valeur symbolique forte, 15 ans après la fin du communisme. Pourtant, les 40 ans de domination soviétique restent relatifs au vu de plus de 1000 ans d'histoire tchèque. Cinq mois avant l'intégration dans l'UE, il est opportun de se pencher sur la place des pays tchèques dans l'Europe au cours de leur histoire.

Les origines

On le sait généralement peu, la Bohême tire son nom d'une tribu celte, les Boiens, qui s'installèrent dans la région avant JC. Poussés par l'avancée des divers peuples barbares, les Slaves se fixent dans la plaine danubienne aux débuts de l'ère chrétienne. Vers le IXème siècle naît la 1ère entité politique slave en Europe centrale : c'est la Grande Moravie.

Mais l'histoire européenne et chrétienne des Pays tchèques commence réellement au début du 10ème siècle, lorsque les tribus tchèques se détachent de la grande Moravie pour se fixer dans l'actuelle Bohême. En convertissant le pays au christianisme, Venceslas Ier fait entrer la nation tchèque dans la sphère culturelle européenne. Premier représentant historique de la dynastie des Premyslides, Venceslas fonde aussi un royaume qui s'avérera durant 3 siècles une puissance redoutable en Europe centrale.

Une lecture rétrospective et rapide de l'histoire tchèque retient volontiers les 3 siècles de domination Habsbourgeoise, de 1618 à 1918. Pourtant, tout le destin de l'histoire tchèque s'est joué au XIIIème siècle et le cours aurait pu en être tout autre.

Quand le destin de l'Europe centrale se joue : le XIIIème siècle

Au Xème et XIème siècle, les Habsbourg sont encore une famille ducale parmi d'autres, qui se maintient difficilement dans les pays autrichiens. Leur plus grand rival se concrétise au XIIIème siècle en la personne du roi de Bohême Ottokar II. L'Autriche connaît alors un interrègne, marqué par la vacance du pouvoir, qui l'expose aux ambitions de ses voisins.

C'est le roi de Hongrie, Béla IV, qui prend l'initiative en envahissant, au début du XIIème siècle, l'Autriche et la Styrie. Les seigneurs de Styrie ne voient d'autre issue possible que de se mettre sous la protection du puissant roi de Bohême Ottakar II. En 1260, Ottokar II bat le nouveau roi de Hongrie Etienne V à Kroissenbrunn et l'oblige à lui céder les pays autrichiens. Ainsi, pour la 1ère fois dans l'histoire, Ottokar II crée un vaste Etat allant des monts des Sudètes aux rives de l'Adriatique et qui réunit sous un même sceptre Slaves du Nord (Tchèques) et Slaves du Sud (Slovènes).

L'épisode montre qu'il n'y a aucun déterminisme en histoire et la synthèse, à la longue, aurait pu se faire au profit du royaume de Bohême. La défaite d'Ottokar devant les armées autrichiennes et hongroises en 1278 en a décidé autrement.

Charles IV
Mais avant de tomber dans l'escarcelle des Habsbourg, la Bohême va connaître son heure de gloire au XIVème siècle, sous le règne de Charles IV, roi de Bohême et chef de l'Empire Romain Germanique de 1346 à 1378.

Au début du XIVème siècle, les princes d'Empire considèrent que les Habsbourg sont devenus trop puissants et ils élisent à la tête de l'Empire un Luxembourg, Jean. Le nouvel empereur choisit Prague comme lieu de résidence mais y passe finalement peu de temps et connaît mal ses sujets tchèques. Ce ne sera pas le cas de son fils, Charles IV, qui lui succède en 1346. Français par son père, il fut élevé à la cour royale à Paris. Par sa mère, il appartient aux Premyslides. Charles IV fait en fait de Prague le centre de la chrétienté occidentale et, à une époque ou le christianisme est le fondement même des sociétés européennes, le centre de l'Europe tout court.

En 1356, suivant le fameux précepte On n'est jamais si bien servi que par soi-même, Charles IV proclame une nouvelle Bulle d'Or. Selon celle-ci, l'Empereur sera élu par un collège de 7 Grands Electeurs. Parmi ceux-ci figure le royaume de Bohême mais pas celui d'Autriche...

Sous le règne de Charles IV, Prague, capitale d'Empire, devient la 3ème plus grande ville d'Europe après Paris et Constantinople. L'empereur dote la ville d'une Université, la 1ère en Europe centrale et ce avant Vienne. La jeunesse noble du royaume de Bohême n'a ainsi plus à aller à Paris ou Londres pour étudier.

On le voit donc, du Xème au XIVème siècle, rien n'est joué en Europe centrale et les rapports de force seraient plutôt favorables au royaume tchèque.

Jan Zizka
Mais les guerres hussites qui ravagent la Bohême au XVème siècle présenteront le désavantage fatal d'affaiblir les structures de l'Etat par la guerre civile permanente. La période a le mérite de voir la Bohême apporter sa contribution à l'Europe sur 2 points : celui des idées avec Jan Hus comme précurseur du protestantisme. Celui des armes par ailleurs puisque les armées hussites de Zizka, qui résistent victorieusement aux Croisés européens, auront inventé le 1er char de l'histoire.

Cela ne suffit pas à assurer l'avenir du pays. Le XVIème siècle voit le règne de la dynastie polonaise des Jagellon, sorte de transition avant la domination autrichienne. L'installation de Rodolphe II à Prague au début du XVIIème siècle consacre le dernier âge d'or officiel tchèque.

En 1618, les ordres de Bohême se révoltent contre la politique de contre-Réforme prônée par les Habsbourgs. Les révoltés sont battus à la Montagne Blanche en 1620 et la Bohême reste sous le giron autrichien jusqu'en 1918.

Pendant 4 siècles, les Habsbourg sont maîtres en Bohême. L'époque des rivalités entre Autriche et Bohême aura elle aussi duré environ 4 siècles. Une symétrie qui ne vient pas souvent à l'esprit lorsqu'on évoque l'histoire tchèque.

Mais surtout, même sous la domination autrichienne, le royaume de Bohême n'est pas devenu une région provinciale en Europe, comme on l'a trop souvent prétendu. Les Habsbourg ont commis assez d'injustice pour ne pas en rajouter. La Bohême a conservé ses institutions et surtout elle est restée intégrée aux grands courants culturels et artistiques européens. Ceci explique que la toute jeune république tchécoslovaque de 1918 à 1938 représente une exception notable en Europe centrale : seule démocratie de type occidentale dans la région, elle fait figure de prolongement de l'Europe à l'est.

C'est cette histoire, celle d'une nation qui a aussi eu son heure de gloire, mal connue, que les Tchèques peuvent se représenter à la veille de l'entrée dans l'UE. Et ce, moins par fierté nationale, que pour aborder cet événement fondateur sans complexe.