L’élection présidentielle américaine au cœur des préoccupations de la presse tchèque
Comme partout ailleurs dans le monde, les médias tchèques ont réservé tout au long de cette semaine une très large place à l’élection du candidat républicain Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. C’est donc sur les réactions qui ont été publiées dans la presse à cette occasion que nous reviendrons dans cette revue hebdomadaire de la presse tchèque. Nous nous pencherons notamment sur quelques extraits qui, dans une grande mesure, traitent des regards portés en République tchèque sur cette élection dont le résultat n’a pas été celui attendu.
« Aussi absurde que cela puisse paraître, notre situation est semblable à celle qui existe aux Etats-Unis, car nous sommes un pays pareillement divisé. On y trouve beaucoup de familles qui ont des discordes graves et dont les membres ne se parlent plus à cause de la politique. Nous avons aussi deux hauts représentants, le vice-Premier ministre et chef du mouvement ANO, Andrej Babiš, et le président de la République, Miloš Zeman, qui se comportent plus ou moins comme Donald Trump et lui ressemblent... Mais des figures politiques semblables à Trump, il en existe ailleurs aussi, les pays de l’Union européenne disposant de plusieurs populistes issus de la même veine. »
L’auteur d’un commentaire publié sur le site novinky.cz considère pour sa part que, paradoxalement, le succès de Donald Trump pourrait à la longue affaiblir la position des populistes :
« Nigel Farage, Marine Le Pen et Geert Wilders ont été parmi les premiers à féliciter Donald Trump. Ils se réjouissent très sincèrement de son succès en pensant que s’ils suivent son exemple, ils seront en mesure de battre les partis politiques établis chez eux. Mais leur satisfaction, tout comme celle de leurs sympathisants, pourrait bien être de courte durée, car si Trump ne parvient pas à tenir ses promesses concernant la prospérité économique, la faiblesse des promesses populistes apparaîtra alors dans toute sa nudité. Quoi qu’il en soit, que Trump réussisse ou échoue aura des retombées graves sur la manière de faire de la politique en Europe et dans le monde. »
Donald Trump est devenu le président des Etats-Unis, car il a promis de détruire un système politique qui, à ses yeux et aux yeux d’une majorité d’Américains, est accablant. C’est du moins ce que l’on pouvait lire dans le quotidien Hospodářské noviny. L’auteur, qui estime que cette élection se traduira par une immense inquiétude dans un monde occidental qui considère les Etats-Unis comme un rempart de ses certitudes, s’interroge :
« Que va-t-il advenir, par exemple, de l’OTAN, une institution dont nous faisons partie et dont l’existence a été remise en cause par Donald Trump ? Nous n’en savons rien, et cela est terrible. Avec Donald Trump, nous pouvons nous attendre à d’importants changements dont pas même lui peut-être ne connaît les contours. »
Le rejet de la mondialisation et la dénonciation de la politique traditionnelle figurent désormais parmi les préoccupations des électeurs dans l’ensemble du monde occidental. L’hebdomadaire Respekt estime que le succès politique du milliardaire Andrej Babiš illustre cette tendance en République tchèque. A la question de savoir quelle leçon peut dès lors être tirée de l’élection présidentielle américaine, le magasine répond :
« Retenir une leçon de tout cela n’est pas facile. En tout état de cause, il nous faudra compter davantage sur nous-mêmes, c’est-à-dire sur l’Europe, car il n’y a pas de meilleur choix. L’important est de ne pas sous-estimer les populistes, aussi ridicules puissent-ils nous sembler être. Dans la vie politique quotidienne, il est certainement possible d’animer les partis, et ce bien qu’ils soient rigides, ennuyeux et souvent refermés, et d’attirer des gens dotés d’un élan et d’idées inédites. Et pour ce qui est des populistes, nous pouvons nous inspirer de leurs facultés et de leur patience en matière de communication vis-à-vis des électeurs ».
La fierté d’être étiqueté comme ‘un Donald Trump tchèque’
« L’inspiration par Trump » était le titre d’un texte publié dans l’édition de jeudi du quotidien Mladá fronta Dnes ; un texte dans lequel son auteur analyse les réactions des représentants tchèques au résultat de l’élection présidentielle américaine. Il affirme par exemple :« Qu’il s’agisse de la jubilation du président Miloš Zeman ou des mots de félicitation mesurés du Premier ministre social-démocrate Bohuslav Sobotka, la victoire de Donald Trump a apporté deux enseignements aux plus hauts représentants tchèques. Ils ont d’abord compris qu’il existe une forte demande de politiciens dont le discours est ouvert et incorrect, mais aussi qu’il convient de considérer les sondages avec plus de prudence qu’auparavant. Le résultat de cette élection raffermit la volonté de Miloš Zeman de se présenter à la prochaine élection présidentielle en 2018, et ce même s’il affirme qu’il ne se prononcera sur la question qu’au début de l’année prochaine. »
Le journal observe aussi que la lettre de félicitations que le président Zeman a adressée à Donald Trump, dans laquelle le chef de l’Etat tchèque a insisté sur l’alliance avec la nouvelle administration américaine, a été deux fois plus longue que les précédentes lettres envoyées précédemment aux présidents polonais et autrichien… Une lettre dans laquelle Miloš Zeman n’a pas manqué l’occasion d’exprimer sa fierté d’être étiqueté comme le « Donald Trump tchèque ». Par ailleurs, Miloš Zeman est l’un des rares hommes d’Etat à avoir soutenu Donald Trump durant la campagne. Mladá fronta Dnes remarque également :
« Andrej Babiš est quant à lui plus réservé. Cette même étiquette qu’on lui colle parfois sur le dos semble lui déplaire, car il ne considère pas Donald Trump comme un homme d’affaires qui a réussi et qui est qualifié comme il s’estime l’être lui. Cela dit, ses collaborateurs envisagent de s’inspirer de la grande activité déployée par Donald Trump sur les réseaux sociaux. »
De son côté, le site echo24.cz a retenu l’enthousiasme que l’élection de Donald Trump a suscité chez l’ancien président Václav Klaus. Ce dernier s’est dit convaincu que « cette victoire sera bénéfique non seulement pour l’Amérique, pour l’Europe et l’ensemble du monde occidental, mais aussi pour la République tchèque ». Tout en rappelant que dans un programme télévisé daté du mois de mars dernier, Václav Klaus avait défini Donald Trump comme « le symbole du désespoir absolu du parti républicain », le site conclut malicieusement que l’une des personnalités politiques tchèques les plus marquantes de ces vingt-cinq dernières années a effectué là une impressionnante pirouette... C’est toutefois bien connu : changer d’opinion comme de chemise est une question de propreté.
Jan Švejnar : « Les gens veulent changer de cap »
L’hebdomadaie Respekt, auquel nous revenons, a également publié un entretien avec Jan Švejnar, économiste et professeur tchéco-américain, candidat à l’élection présidentielle en 2008, pour lequel le résultat du scrutin américain constitue une grande surprise. Jan Švejnar déclare entre autres :« Il s’est avéré que l’Amérique souhaitait un changement plus fortement qu’on ne le pensait. Et tout indique que ce n’est pas là un phénomène qui touche seulement les Etats-Unis. Les gens sont mécontents de ce que la mondialisation leur a apporté et ressentent une grande incertitude. C’est pourquoi ils veulent changer de cap et donnent leurs voix à un homme dont ils croient qu’il sera à même de changer quelque chose. »
Toujours selon Jan Švejnar, la future politique de Donald Trump mènera l’Amérique probablement vers un plus grand isolationnisme, comme cela a été le cas avant la Première ou la Deuxime Guerre mondiale. Cette situation poussera l’Europe à s’occuper davantage d’elle-même. Enfin, Jan Švejnar constate que l’amoindrissement de l’influence et du rôle des Etats-Unis au sein de l’OTAN ajoutée aux hésitations européennes risque d’encourager les tendances expansionnistes de Vladimir Poutine.
Interrogations autour du confort sécuritaire
« Souvent, nous considérons notre confort comme une évidence et nous ne prenons pleinement conscience de sa fragilité que lorsque nous risquons de le perdre. » C’est ce que l’on pouvait lire dans un texte publié dans l’édition de jeudi d’Hospodářské noviny. Le quotidien économique se penche sur les différents aspects du confort sécuritaire de la Tchéquie. Tout en rappelant que cette sécurité est garantie par les Etats-Unis depuis l’adhésion de la République tchèque à l’OTAN en 2004, le journal souligne qu’avec l’élection de Donald Trump, ce confort n’est désormais plus forcément une certitude. Et ce d’autant que la Tchéquie compte parmi les six pays qui consacrent à peine 1% de leur PIB au domaine de la défense, au lieu des 2% exigés par l’OTAN. Le journal note dans ce contexte :« Les experts militaires sont d’accord sur la nécessité d’accélérer le processus de renforcement de l’armée tchèque. Aujourd’hui, celle-ci constitue en premier lieu un corps d’expédition capable, de temps à autre, d’apporter son aide dans les régions en crise, mais pas un corps capable de défendre efficacement l’Etat. Actuellement, en cas d’un conflit classique, les effectifs disponibles seraient en mesure de ne défendre qu’une seule région du pays. »
Le journal évoque aussi la création envisagée d’une armée européenne, une idée dont il note qu’elle est soutenue notamment par le Premier ministre tchèque mais qu’elle relève plus que tout autre chose de l’ordre du conte de fées.