« Quelqu’un de calme et professionnel » : Petr Pavel au secours de soldats français en ex-Yougoslavie
Pour Eric Zanolini, l’ex-Yougoslavie reste un traumatisme. A la tête de soldats français de la FORPRONU il s’est retrouvé fin janvier 1993 pris en étau entre armées serbe et croate près de Karin-Plaža, sur le territoire croate. Deux de ses hommes sont morts avant que l'unité tchécoslovaque commandée par Petr Pavel - le nouveau président élu de la République tchèque - ne vienne à leur secours, après avoir négocié un passage avec les Serbes.
A quand remonte votre première rencontre avec Petr Pavel et quelle a été votre première impression ?
Eric Zanolini : « La première fois que j’ai rencontré Petr Pavel, cela a été très bref, c’était pour l’évacuation du poste où j’étais. Je suis ensuite parti pour l’évacuation d’un autre poste. J’ai vu arriver une troupe ordonnée, avec quelqu’un de calme, professionnel, qui a rempli la mission dans des conditions extrêmement difficiles qui auraient pu dégénérer à tout moment. »
« Je l’ai retrouvé le soir même, après avoir tenté d’évacuer mon dernier groupe. J’avais six nuits derrière moi sans dormir. On a fait ce qu’on appelle « le tour des popotes » pour décompresser et on a terminé tard dans la soirée. J’ai découvert l’homme, je l’ai trouvé très sympathique et on avait à peu près la même façon de voir les choses, donc j’ai gardé le contact plus tard. Il m’a offert une ‘Tower’, c’est-à dire six cannettes de bière empilées. J’avais le contact avec mon dernier groupe et je savais que le lendemain ça devait bien se passer ça a fini de m’achever et j’ai passé ensuite une bonne nuit de récupération ! »
De la bière tchèque ?
« Je ne m’en souviens pas ! (rires) Je pense que oui mais ça date de trente ans quand même… »
Mis en joue par les Serbes avec fusil-mitrailleur sur la tête
Les Républiques tchèque et slovaque venaient tout juste de se séparer mais les soldats tchèques et slovaques servaient encore ensemble – aviez-vous déjà eu des contacts avec eux avant ce sauvetage ?
« Non, c’était mon premier contact avec l’armée tchécoslovaque. Je savais qu’ils travaillaient sous mandat ONU avec les Kenyans, les Hollandais et nous dans notre zone, mais je n’avais pas eu de contact avec eux avant. »
Cette première brève rencontre, comment se passe-t-elle ?
« C’est bref, ça dure cinq minutes. Parce que je dois préparer l’évacuation de mon poste, parce que je sais qu’à partir du moment où je quitte mon poste les Croates vont intensifier les tirs pour détruire mon poste sur lequel s’étaient adosser les Serbes, parce que je ne veux pas mettre en péril la vie de mes hommes ni celle des soldats tchèques qui viennent pour nous. Je dois partir immédiatement sur mon autre poste et effectivement, à partir du moment où on se quitte c’est un déluge de feu sur nos positions. »
Qu’est-ce que vous avez le temps de vous transmettre comme informations pendant ces cinq minutes ?
« C’est très simple, mes véhicules ont tous les pneus criblés par les obus mais il y a un système sur les vapes qui permet de les regonfler en roulant. Mes gars savent ce qu’ils ont à faire et ils n’ont plus qu’à suivre le convoi tchèque, qui a déjà fait le gros du travail en négociant le passage avec les Serbes. »
« On n’a pas le temps ni le silence nécessaires pour se passer des consignes – il faut imaginer que d’un côté il y a des chars qui tirent et de l’autre des lance-roquettes et de l’artillerie… »
Est-ce Petr Pavel lui-même qui a négocié directement avec les Serbes ?
« Oui c’est Petr Pavel lui-même, je sais même qu’il a été mis en joue avec un fusil-mitrailleur sur la tête. D’un autre côté, l’avantage que ce soit une troupe tchèque est qu’il y avait en ex-Yougoslavie une proximité linguistique et culturelle, donc je pense que c’était très bien vu de la part de l’ONU de faire intervenir l’armée tchécoslovaque. »
C’est lui qui vous a dit qu’il avait été mis en joue par les Serbes ?
« Oui, nous en avons parlé ensemble, nous avons échangé sur nos positions différentes. En allant chercher mon autre groupe cela a été aussi très très tendu. Il faut imaginer des soldats en train de se battre et qui sont sous l’emprise de l’alcool, la slivovitz, cela était dur pour eux. J’imagine très bien ce qu’il a pu avoir comme expérience au regard de ce que j’ai rencontré pour aller voir mon autre groupe. »
Croix de la Valeur militaire
Petr Pavel a été décoré en France, d’abord en recevant la croix de la Valeur militaire. Avez-vous eu à apporter votre témoignage sur ces faits ?
« C’est moi qui ai initié ce processus en demandant pour lui la croix de la Valeur militaire. Celle-ci a engendré le reste de ses décorations, c’est-à-dire Chevalier puis Officier de la Légion d’Honneur, en fonction de son parcours militaire – comme général-commandant de l’armée tchèque puis comme président du Comité militaire de l’OTAN. La croix de la Valeur militaire, je l’ai aussi demandée pour beaucoup de mes soldats pour récompenser une action effectuée comme il se devait dans des circonstances difficiles. »
Combien de vos soldats l’ont également obtenue ?
« Je ne pourrais pas vous dire exactement, car ma compagnie…. Mais plus de 75%, ce qui est énorme pour une compagnie d’appelés, je pense que c’est unique. »
Près de 30 ans après cette première rencontre vous avez revu Petr Pavel qui est venu chez vous en Corse. Comment se sont passées vos retrouvailles ?
« On avait gardé contact et il m’a tenu au courant de l’évolution de sa carrière puis fait part de son ambition présidentielle. Nos retrouvailles ont été un moment très fort, un moment de partage. Je suis là pour lui apporter une petite aide, dans le domaine que je connais à savoir la connaissance de l’homme et de son action. »
Vous parler d'une aide pour la communication de sa campagne, avec une vidéo tournée avec vous ?
« Bien sûr, à partir du moment où lui pensait que c’était un plus. Cela ne me gênait pas de rapporter ce qui s’était passé et ce que je pensais de l’homme. Après, je ne me suis pas avancé sur la volonté du peuple tchèque, ce n’est pas mon problème. On a passé un très bon week-end, j’étais très content qu’il vienne en Corse et cela s’est terminé – comme il se doit – par une « tower », et là je peux vous dire que c’était six Kronenbourg ! »
Comment avez-vous pris la nouvelle de sa candidature présidentielle ?
« Je ne l’avais jamais envisagée. C’est un challenge que je trouve tellement incroyable que je n’imaginais même pas qu’il aurait le courage de le faire. Je pense qu’il avait ses raisons quand il a décidé de se présenter. Je pense que les qualités de l’homme ont fait qu’il a su fédérer tout ça et cela s’est montré avec sa large victoire. Peut-être qu’un militaire avec toutes ses qualités de droiture, de courage, d’opiniâtreté, de franchise, peut amener un peu de fraîcheur dans la vie politique, c’est peut-être ce qui a prévalu. »
En raison du traumatisme lié à la perte de vos hommes sur le terrain vous avez déclaré ne pas vouloir vous rendre en Croatie ou en Serbie pour l’heure. Envisagez-vous de venir à Prague ?
« Cela m’avait été proposé par Petr, mais je m’étais engagé à aller au Costa Rica pour voir mon fils. Mais je pense qu’on aura le temps effectivement. »
Casques bleus englués
Pour votre famille, cet épisode tragique en ex-Yougoslavie reste un souvenir important ?
« Oui, c’était dans tous les médias à l’époque. J’essayais de rassurer mon épouse le peu de fois que je communiquais avec elle. A l’époque le seul moyen de communiquer avec elle était le téléphone satellitaire que j’utilisais avec parcimonie. »
Cette situation dramatique vue trente ans après rappelle en tout cas la mission plus que difficile des soldats de la Forpronu…
« La mission des casques bleus est une mission un peu complexe, dans la mesure où ce n’est pas une mission véritablement guerrière, c’est une mission de conciliation et on n’a pas l’armement nécessaire pour pouvoir faire ne serait-ce que de l’autodéfense. Effectivement, cela a amené deux ans plus tard au passage aux forces de l’OTAN. J’avais alerté ma hiérarchie à l’époque sur le besoin à un moment donné de changer de posture. On était en fait englué dans un dispositif où les belligérants – qui n’étaient ni ennemis ni amis pour nous – ne voulaient pas discuter et voulaient simplement en découdre. »
Avez-vous discuté avec Petr Pavel de la situation en Ukraine ?
« Cela n’a pas été discuté entre nous mais il est résolument dans le camp occidental, il a été président du Comité militaire de l’OTAN. Je pense qu’il a à peu près la même opinion que moi, à savoir qu’on doit aider l’Ukraine mais qu’on n’est pas là pour faire la guerre à la Russie, donc l’affaire est assez compliquée. »