Sur les traces de Vladimír Dzuro, chasseur de criminels de guerre
Le 9 mars est sorti en salles The Investigator, un documentaire retraçant l'histoire de Vladimír Dzuro, le premier enquêteur tchèque à avoir travaillé pour le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie. Basée à La Haye entre 1993 et 2017, cette instance de l'Organisation des Nations Unies avait pour but de juger les auteurs de crimes de guerre commis pendant les conflits des années 1990 dans les Balkans. Le réalisateur Viktor Portel a répondu aux questions de Radio Prague Int.
Comment le sujet de la justice internationale dans les Balkans a-t-il capté votre attention et qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce documentaire ? Est-ce la continuité de votre travail pour l’ONG tchèque Post Bellum, qui s’intéresse notamment aux événements qui ont marqué le XXème siècle ?
« J’ai toujours été fasciné par le conflit entre les souvenirs des gens et les événements historiques, leur impact sur notre quotidien. Je n’avais jamais travaillé sur un sujet aussi actuel. L’histoire de Vladimír Dzuro m’a immédiatement fasciné car peu de personnes, dans notre passé tchèque proche, ont fait quelque chose d’aussi mémorable. Pas seulement pour la Tchéquie, mais aussi à l’échelle internationale. Faire ce film dépendait de la volonté de Vladimír pour répondre à nos questions. Il était partant, donc nous nous sommes lancés. »
La guerre en Ukraine a éclaté au moment où nous finissions le film
Pour vous, en quoi est-il intéressant de revenir sur les faits trente ans après la création du TPIY ? Mettre en lumière ses lacunes est-il un moyen de ne pas les répéter lors de l’établissement d’autres tribunaux jugeant les présumés coupables de crimes de guerre ? Je pense par exemple au tribunal spécial soutenu par les Nations Unies pour juger la Russie, dont on ne sait pas s’il serait hybride (donc basé en Ukraine mais avec des juges internationaux) ou international. Une initiative par ailleurs soutenue par le gouvernement tchèque…
« Nous avons commencé à préparer ce film avant l’invasion russe de février 2022. Son but était de réfléchir à ce qui s’est passé en ex-Yougoslavie et à la contribution, positive ou négative, des pays occidentaux. Le Tribunal de La Haye et le mécanisme de justice internationale dans son ensemble étaient colossaux. Ça a duré très longtemps et impacté la vie de nombreuses personnes. Nous voulions donc revenir sur l’impact du tribunal au moment où il allait fermer, en 2017. Mais plus que de réfléchir par nous-mêmes, nous avons demandé aux personnes sur place ce que le TPIY leur avait apporté, leur avait pris. Ça nous semblait intéressant, parce que leur avis ne semblait pas avoir été consulté.
La guerre en Ukraine a éclaté au moment où nous finissions le film : nous étions en phase de post-production. Nous avons songé à lui donner une tournure plus actuelle en demandant l’avis de Vladimír Dzuro sur l’Ukraine. Ça n’a pas été fait. Néanmoins, le film traite quand même de questions contemporaines. Il est très sombre mais recèle beaucoup d’espoir, car il parle de la possibilité d’arrêter et de juger les responsables de crimes de guerre. Le film dit que nous, à l’échelle internationale, avons des mécanismes juridiques qui ne fonctionnent certes pas parfaitement, mais qui sont quand même capables d’affecter la vie de ces officiels et politiciens haut-placés. »
Dans The Investigator, nous comprenons que même si le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie était censé, pour reprendre les mots de Vladimír Dzuro, « résoudre tous les problèmes » (réconcilier les peuples d’ex-Yougoslavie, rendre justice aux populations locales et montrer que la justice pouvait atteindre tous les criminels – même les élites politiques), sa mission a en parti failli. À quelles difficultés le TPIY a-t-il dû faire face et qu’est-ce qui aurait pu être fait (ou pas) pour rendre justice d’une meilleure façon ?
« Certaines choses auraient pu être conduites autrement. Par exemple, le programme de protection des témoins était défaillant. De plus, le tribunal fonctionnait grâce à un système très sophistiqué de rotation des juges. C’était sûrement fait à des fins d’impartialité, mais ça a aussi obligé les témoins à répéter plusieurs fois leur vécu – une démarche aussi fatigante que traumatisante.
Après, ces questions sont importantes mais restent de l’ordre technique. Car la volonté politique pour établir le tribunal était éminente et les attentes à l’égard de ce dernier étaient élevées. Des discours sur sa capacité à réconcilier les pays d’ex-Yougoslavie ont imprégné les populations locales. De ce fait, elles ont pensé que le tribunal allait concrètement les aider, mais les résultats n’ont pas été significatifs.
Selon moi, cette désillusion est la principale raison pour laquelle beaucoup de gens en ex-Yougoslavie disent du mal du TPIY. Bien sûr que ça a aidé, mais plus d’arrestations auraient pu advenir si ces nations avaient été complètement ouvertes à ce mécanisme juridique. Or ça n’a pas été le cas. »
La Bosnie est souvent oubliée
Dans une autre interview, vous dites que nous avons l’habitude de considérer la justice selon le schéma crime/accusation/sanction/réconciliation, mais que cela est problématique. Quelle serait votre conception d’une « bonne justice » ?
« Je pense que cette conception fonctionne. C’est cette idée-là qui nous vient à l’esprit quand nous pensons à la justice, et elle peut difficilement être changée. Néanmoins, réfléchir à ce qui s’est passé dans les Balkans implique de revoir nos idéaux. Nous devons accepter qu’il n’y a probablement pas d’espoir d’atteindre la justice absolue, d’assister à une bonne fin, d’entrevoir des sourires et une réconciliation des nations. Pour autant, chaque étape compte. Le travail effectué pour remuer le bazar dans lequel est empêtré l’ex-Yougoslavie est nécessaire. Même s’il est parfois infructueux, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas aller dans cette direction. »
Quelle est votre relation personnelle avec l’ex-Yougoslavie et les Balkans en général ?
« C’est drôle parce que pour moi, la Yougoslavie a longtemps été l’endroit où les Tchèques allaient en vacances. Ça a changé en faisant le film : j’ai établi une relation bien plus profonde avec la Bosnie, la Croatie et la Serbie. Nous parlons beaucoup des deux derniers - la Bosnie est souvent oubliée - alors qu’il me semble que c’est un endroit fondamental. Le pays a été très affecté. Tous les gens que vous rencontrez dans la rue, dans les bars, dans les hôtels ont une histoire en lien avec la guerre, ont subi des pertes. Et d’un autre côté, c’est un lieu tellement formidable. J’aime l’ex-Yougoslavie avec tous ses traumatismes. J’y suis retourné après la fin du film. C’est un endroit très important pour moi. »
Est-ce que les crimes commis pendant la guerre des Balkans continuent d’être jugés, ailleurs qu’au TPIY (puisqu’il a été dissous en 2017) ? Est-ce que des procès nationaux ont été lancés ?
« J’aimerais dire quelque chose d’optimiste, que les nations continuent de mettre en place des procès. Elles le font, mais pas suffisamment. Notre amie serbe nous a expliqué que les procès ont lieu, mais sont plus ou moins sérieux. Nous devons aussi réaliser que ces pays subissent encore beaucoup de pressions de la part de la communauté internationale concernant les poursuites judiciaires. Mais je peux voir qu’il n’y a pas de volonté politique d’arrêter ces criminels. »