Radio Free Europe : la diplomatie tchèque veut défendre ce symbole pragois menacé par Trump et Musk
Après l’annonce par l’administration américaine de coupes franches dans les médias publics internationaux du pays, visant notamment l’institution basée à Prague Radio Free Europe/Radio Liberty, le gouvernement tchèque a immédiatement réagi, rappelant le rôle joué dans l’histoire et actuellement par ce média décliné dans près d’une trentaine de langues différentes.
Le chef de la diplomatie tchèque a tenu à faire de Radio Free Europe l’un des sujets discutés ce lundi à Bruxelles avec ses 26 homologues de l’UE, allant même jusqu’à envisager un financement européen pour l’organisation américaine fondée en 1950 et basée depuis 30 ans à Prague.
Jan Lipavský : « Radio Free Europe est une institution, composée de personnes, de processus, de systèmes et de collaborateurs — c’est toute une rédaction. Si elle venait à disparaître, il serait extrêmement difficile de la reconstruire. C’est pourquoi il est pertinent de discuter des mesures à prendre pour préserver cette institution, au cas où les États-Unis décideraient réellement de couper son financement. »
« Cette radio diffuse vers de nombreux pays en Europe, en Russie ou dans son voisinage, en Iran ou en Biélorussie. Elle représente une voix précieuse pour les forces démocratiques, et je pense qu’il est dans l’intérêt de l’Europe que cette diffusion se poursuive. »
« Tout le monde comprend sans doute l’importance de Radio Free Europe et ce qu’elle a signifié pour des pays comme la Tchécoslovaquie sous le régime communiste et derrière le rideau de fer. Des figures emblématiques comme Peroutka ou Tigrid ont travaillé dans la rédaction de Radio Free Europe, contribuant à diffuser des informations libres dans un pays où de telles informations n’existaient pas. »
Radio Free Europe diffuse dans 27 langues et plus d’une vingtaine de pays. Plus aucun pays de l’UE jusqu’en 2019, année de relance de services en bulgare et en roumain, avant la renaissance d’un service magyar l’année suivante « en raison de la détérioration et de la polarisation du climat médiatique en Hongrie »
« Cette radio diffuse dans de nombreux pays où les régimes ont des tendances autoritaires et il n’existe actuellement aucune alternative »
Dans des contrées plus lointaines, le rôle de ce média financé par le Congrès américain est décrit comme crucial – c’est le cas notamment en Iran avec Radio Farda ou au Kirghizistan avec Radio Azattyk, selon la productrice tchèque Veronika Janatková, dont le dernier documentaire, Panic Button, revient sur une affaire de détournement des sanctions contre la Russie et le travail d’investigation du journaliste de Radio Azattyk, Ali Toktakunov. Ce film, réalisé par Samara Sagynbaeva, est présenté actuellement dans le cadre du festival One World.
Veronika Janatková : « C’est absolument essentiel. Au Kirghizistan, cette affaire traîne depuis 2019, mais une enquête journalistique de ce type n’aurait probablement pas été possible là-bas. En 2023, Radio Free Europe – Radio Azattyk, la section kirghize – a déjà été interdite dans le pays. Le fait qu’il ait existé une institution soutenant ce type de recherche et de journalisme en faisait le seul espace où de telles informations pouvaient être publiées. »
La première du film s’est déroulée samedi, le jour même de l’annonce par Washington de la fin du financement accordé à Radio Free Europe et Voice of America :
« Jusqu’à aujourd’hui, nous avons encore du mal à mesurer pleinement l’impact, mais cela a certainement donné une nouvelle dimension à cette première. Nous avons été témoins d’un changement de paradigme et nous allons tous devoir faire face à cette nouvelle réalité. Ce que Radio Free Europe a accompli pendant des décennies est unique, et je ne peux même pas imaginer quelle autre institution pourrait en prendre la relève. Cette radio diffuse dans de nombreux pays où les régimes ont des tendances autoritaires, et il n’existe actuellement aucune alternative. »
« Personnellement, j’y suis attachée, car ma grand-mère a travaillé de nombreuses années pour Radio Free Europe. Mais plus largement, dans l’histoire tchécoslovaque et tchèque, cette radio a eu un rôle unique. Elle offrait à la République tchèque une place particulière dans le monde libre, en hébergeant une telle institution. »
« Aujourd’hui, je ne vois aucune alternative viable. Il est difficile de dire ce que cela signifiera à l’avenir, mais pour le film que nous avons fait avec la réalisatrice Samara Sagynbaeva, Radio Free Europe et Current Time (la branche audiovisuelle de Radio Free Europe) ont été les premiers à nous soutenir et à financer l’enquête qui a servi au documentaire. Cela signifie que non seulement le journalisme, mais aussi les films sur les droits humains seront désormais grandement limités. »
Le film Panic Button sera projeté ce mardi à Prague au cinéma Evald.