« Réalisons l’Europe » (II) : un film sur la guerre froide réalisé par de jeunes collégiens
Deuxième partie de la rencontre avec Vincent Moissenet, professeur de français au collège André Malraux de Paron, en Bourgogne. Depuis 2003, il coordonne un projet pédagogique où une classe de troisième, aves des élèves de treize à quinze ans, réalise chaque année un film sur une période de l’histoire européenne. Cette année, le thème est celui de la guerre froide et de la réconciliation en Europe. A cet effet, la classe de Vincent Moissenet est venue réaliser deux jours de tournage à Prague. A chaque étape, les élèves posent leurs caméras dans les lieux historiques importants et ils interviewent des témoins de l’époque. Une rencontre avec l’histoire et une expérience pédagogique qu’explique Vincent Moissenet au micro de Radio Prague.
Mais il est certain qu’ils vont être très touchés par un témoignage de quelqu’un qui leur parle de son expérience d’adolescent. C’est ce qu’on a constaté depuis plusieurs années. Lorsque quelqu’un témoigne d’une expérience traumatisante, il a une façon d’en parler qui est celle de l’époque où il l’a vécue. Donc quand c’est quelque chose qui est vécu à huit ans, il va en parler avec des détails qui sont ceux de la façon dont on ressent ces évènements à cet âge-là.
Par exemple, ça me fait penser au récit d’Imre Kertész dans ‘Etre sans destin’. Nous avons eu la chance de rencontrer ce grand écrivain hongrois, déporté à Auschwitz. Il nous a expliqué que la façon dont il a écrit son livre est la perception qu’il avait en tant qu’adolescent. Il ne savait pas où il allait, il avait une certaine confiance dans les adultes. Il ne s’attendait à rien de particulier et se disait qu’on allait s’occuper de lui.
Ceci est passionnant, non seulement parce qu’il y a une valeur d’authenticité – même si le témoignage est toujours plus au moins authentique parce qu’il est transformé avec les années – mais il a cette force du souvenir et de la perception qu’on a eu des évènements. Ce qui nous intéresse à Prague, ce n’est pas de ressasser les mêmes expériences, mais de comprendre d’autres aspects qui sont peut-être plus forts ici qu’en Pologne ou qu’en ex-RDA. Ici, nous étions intéressés par le mouvement intellectuel, que ce soit celui des années 1960, ce projet politique, porté par le parti communiste en place dans les années 1960 et jusqu’en 1968, et la dissidence. Mais nous nous intéressons également à d’autres aspects de l’histoire du communisme qui sont moins connus, c’est-à-dire toute la première période de l’installation du régime communiste avec les spoliations, les déportations, la construction de nouveaux camps qui sont des camps proprement communistes et non pas des camps nazis réutilisés comme en Allemagne. Les camps de travail ont été multipliés pour valoriser la main d’œuvre des opposants exactement comme les nazis le faisaient dans les camps de concentration. Cela me parait aussi important de montrer que les camps de concentration n’ont pas été uniquement la spécificité des nazis. »
Pour parler du travail avec vos élèves, on les voit se balader avec caméras, pieds, lumières et même fauteuil roulant pour réaliser des travellings. Alors comment s’organise toute cette logistique ?
« Evidemment, ça a un côté un peu folklorique, c’est le folklore de cette classe. Mais c’est aussi très sérieux, il faut beaucoup de rigueur. On a parfois des problèmes à confier du matériel à des adolescents parce qu’ils sont un peu tête-en-l’air. Mais on arrive globalement à très bien utiliser ce matériel. Il est vrai qu’il faut parfois qu’on le porte pendant plusieurs heures pour l’utiliser au moment voulu. Le programme des journées est assez riche. On va filmer dans différents lieux, on va aller dans des musées, ou rencontrer des personnes, comme Petr Uhl, journaliste et ancien dissident emprisonné deux fois pour son engagement. Là, nous devons être prêts, avec nos éclairages, nos micros. Ce n’est pas non plus du très grand matériel mais c’est un minimum pour avoir dans le film des images et un son de qualité. On ne va pas dire qu’on fait un travail de professionnel mais avec le matériel d’aujourd’hui on peut avoir un film tout à fait regardable chez soi, dans une salle de classe même dans une salle de cinéma. Nos films sont projetés parfois dans des salles de cinéma à diverses occasions. »Justement, quel est l’avenir des films que vous réalisez avec vos élèves ?
« C’est tout le travail de la préparation. On essaie toujours de trouver en amont des partenaires qui travaillent sur les sujets qui nous intéressent et qui aimeraient diffuser notre film, à des professeurs. Les professeurs sont des relais intéressés puisqu’ils sont déjà sensibilisés aux sujets.On s’est tourné vers le mémorial de Caen parce qu’on savait qu’il y a une exposition permanente sur la guerre froide. Ils ont été très contents de notre proposition et ont été partenaires d’emblée. Nous allons avoir d’autres partenaires en Allemagne, à Berlin. C’est la raison pour laquelle on espère que notre film soit accessible en allemand. On a aussi le centre européen de Solidarnosc à Gdansk qui est intéressé par notre DVD. En République tchèque, nous ne savons pas encore. Cela peut être des musées privés également. Tout ce qui nous intéresse, c’est que notre DVD ne finisse pas dans des placards de salles de classe, mais que ça arrive dans les mains de quelqu’un que ça intéresse et qui veut le partager avec sa classe. Notre but est qu’il y ait un relais pédagogique avec les professeurs. Do notre côté, en Bourgogne, nous sommes soutenus par le rectorat qui diffuse notre DVD à tous les établissements de Bourgogne. » La qualité du projet pédagogique coordonné par Vincent Moissenet a déjà fait ses preuves. Sept films ont déjà été réalisés. Celui de l’année passée, ‘Ecrasons l’infâme, les droits humains en Europe’ a même été projeté au siège de l’Unesco, à Paris. En conclusion, laissons la parole à Imène et Anissée, deux élèves de cette classe de troisième projet Action Média.
« On apprend beaucoup de choses sur la guerre froide et on fait de nombreux voyages. On visite plusieurs pays, et découvre les cultures. A la fin, on aura un souvenir, le film qu’on va faire, et c’est un hommage qu’on rend à l’histoire de ces pays. »