« Rendez-nous nos cheveux », une histoire des hippies tchèques des années 1960

« Rendez-nous nos cheveux », c’est le titre d’un ouvrage sorti cet été qui s’intéresse aux premiers hippies dans la Tchécoslovaquie des années 1960. Les années 1960, période de libéralisation, ont été marquées par un véritable bouillonnement culturel, permettant entre autres le renouveau du cinéma, avec la nouvelle vague tchécoslovaque, mais aussi l’arrivée du rock’n’roll qui déferle sur la jeunesse du pays. A l’image de leurs idoles, les jeunes, à l’ouest comme à l’est, se laissent pousser les cheveux. Mais si cette tendance provoque dans tous les pays concernés des conflits de générations, les mesures prises par le régime tchécoslovaque de l’époque pour enrayer le phénomène furent beaucoup plus radicales.

« Rendez-nous nos cheveux », c’est ainsi qu’ont décidé d’intituler leur travail Filip Pospíšil et Petr Blažek. Le premier est anthropologue, le deuxième historien, et ils sous-entendent avec ce titre que les cheveux de ces jeunes hippies tchécoslovaques des années 1960 leur auraient été enlevés. Effectivement, le point de départ de cette recherche est une campagne de répression, menée par la police en 1966, visant à décrédibiliser cette jeunesse aux cheveux longs et aboutissant à une série d’arrestations touchant près de 4 000 personnes. Petr Blažek :

« Le titre de l’ouvrage est le slogan que crièrent les manifestants lors d’une manifestation spontanée en septembre 1966. ‘Rendez-nous nos cheveux’, c’est ce que clamait un certain nombre de personnes dont les cheveux, dans le cadre de la campagne contre les ‘chevelus’, avaient été coupés de force. La manifestation avait traversé le centre de Prague jusqu’à Letná, où ils ont été rassemblés, embarqués dans les voitures de la police secrète et emmenés dans les bureaux de la Sécurité d’Etat. »

Et c’est donc dans les archives de la police que les deux chercheurs sont allés fouiller. Filip Pospíšil :

La carte de fréquence des 'chevelus',  source: Ministère de l'Intérieur
« Les principaux matériaux à partir duquel nous avons travaillé sont les documents de la police. Cependant, nous devons avoir conscience que ce serait une grosse erreur de croire que ces documents créés par ces institutions répressives reflètent toute la réalité. Ces documents portent sur cette campagne concrète. Elaborée par la sécurité d’Etat pendant l’été 1966, cette campagne nationale contre les ‘chevelus’ est ensuite entérinée par le comité central du Parti communiste tchécoslovaque. C’est un évènement extraordinaire, du point de vue des sources, puisque de nombreux documents ont été conservés. Mais, d’après les témoignages que nous avons recueillis, cela ne veut pas dire que ce fut la seule campagne de ce type, et le seul exemple où ces jeunes gens, issus d’une sorte de sous-culture ont été l’objet de vexations, et pas seulement de la police. »

Cette campagne nationale « contre les chevelus » a eu des effets assez importants, du moins pour les personnes concernées. Filip Pospíšil revient sur les vagues d’arrestations provoquées par le lancement de cette campagne et sur ses conséquences :

Mimikry
« D’après les organisateurs de l’intervention policière, plus de 4 000 personnes auraient été affectés. Des centaines de personnes furent rasées de force, des milliers durent payer des amendes, plus de cent personnes furent arrêtées, d’autres furent retenus pendant quelques jours. Cette campagne n’était pas seulement aux mains de la police mais un ensemble de dispositifs avaient été mis en place dans les institutions scolaires, dans les institutions médicales, dans les transports, dans les hôtels et les restaurants etc. Mais concernant les cas où des personnes ont été virées de leur école, ou se sont vues refuser qu’on les serve au restaurant ou qu’on les laisse monter dans les transports en communs, nous ne pouvons pas avoir de statistiques. »

Filip Pospíšil
Une répression assez marquante, documentée sur plus de 300 pages de l’ouvrage : documents d’archives de la Sécurité d’Etat, articles de journaux, archives du comité central du PCT, photos… mais l’objectif de l’ouvrage va au-delà de l’aspect répressif et espère offrir un tableau plus complet de la vie de cette jeunesse tchécoslovaque chevelue des années 1960, comme l’explique Filip Pospíšil, anthropologue, qui porte lui aussi des cheveux longs :

« Je n’ai pas connu la période sur laquelle j’ai travaillé pour cette étude. J’ai commencé à porter les cheveux longs à la fin des années 1980 et c’était déjà une autre génération que celle que je décris. Mais bien sûr, mon intérêt personnel était de savoir comment vivaient mes prédécesseurs, avec qui, dans une certaine mesure, nous, dans les années 1980, nous nous sommes rattachés. Comment était la société, comment se comportaient-ils, à quoi pensaient-ils et que pensaient-ils et bien sûr, que pensait la société à leur sujet ? »

La première partie du livre offre donc en premier lieu un regard comparatif entre la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Hongrie. Elle essaie de répondre à la question de qui étaient ces jeunes chevelus et revient naturellement sur les différents phénomènes culturels des années 1960, en évoquant la musique, le mouvement beatnik ou hippie. A ce sujet d’ailleurs, une des particularités des hippies tchèques est le surnom qui leur a été attribué : les máničky, ou « petites Marie ». Filip Pospíšil :

« Il n’y a pas une réponse, mais plusieurs versions de comment ce nom est apparu. Certains assurent que c’est un dérivé d’une marionnette qui est la petite amie de Hurvínek, du duo Špejbl et Hurvínek. Hurvínek a cette copine qui est Mánička et elle a une coiffure qui est assez similaire à la coiffure que portaient par exemple les Beatles et les soi-disant chevelus tchèques. C’est la première interprétation. Il y en a d’autres. Par exemple, on dit que sur la place Venceslas à cette époque il y avait un coiffeur et que les hippies tchèques se réunissaient sur les marches de la place Venceslas et qu’ils voyaient ce coiffeur qui s’appelait Mánička. Mais il n’y a pas qu’une seule réponse. »

A l’évidence, le pouvoir communiste de l’époque voyait dans cette jeunesse chevelue une menace qui peut être difficile à comprendre aujourd’hui. On écoute Filip Pospíšil :

« En réalité, ils ne faisaient pas seulement peur au pouvoir communiste mais c’était une peur dans les couches profondes de la société d’alors. Les générations les plus âgées étaient effrayées par le fait que quelqu’un puisse avoir l’air différent. Elles craignaient qu’ils se comportent différemment, qu’ils écoutent une autre musique, qu’ils dansent différemment. Donc cela ne concernait pas que le pouvoir communiste, même si bien sûr, les représentants politiques pouvaient y voir une menace politique, rien que dans le fait par exemple que ces jeunes gens se rendaient dans la rue et manifestaient. C’était donc un acte politique et on peut comprendre que le régime se sentait menacé. »

Dans un extrait d’une vidéo de la télévision tchécoslovaque, on entend le présentateur expliquer que de tous temps, les époques où les hommes ont porté les cheveux longs ont été des périodes de décadence tandis que celles où ils portaient les cheveux courts, comme à Rome par exemple, furent des époques où les civilisations étaient florissantes. Cet extrait date de 1972 et montre que la lutte contre les chevelus s’est donc prolongée dans les années 1970. Mais petit à petit, les cheveux longs ont été plus ou moins acceptés. Filip Pospíšil admet que quelle que soit la répression dans les années 1960, on remarque que les cheveux relativement longs étaient fréquemment portés et que finalement, pour se démarquer, il fallait avoir les cheveux encore un peu plus longs que les autres. Si le phénomène vous intéresse, un autre ouvrage est consacré aux máničky tchèques – un livre de témoignages sorti au printemps dernier aux éditions Revolver revue intitulé « Háro, dlouhý vlas mezi nás » - les cheveux longs parmi nous !