Retour au pays des cendres du responsable de l’opération Anthropoid

Le retour des cendres du général František Moravec

Les cendres de František Moravec, considéré comme à l’origine de l’opération Anthropoid, ont été rapatriées en République tchèque pour être inhumées dans sa ville natale. L’occasion d’un petit rappel sur la vie de ce général, qui a marqué l’histoire de la Tchécoslovaquie en luttant – même en exil – pour sa liberté.

La cérémonie du retour des cendres du général František Moravec | Photo: Josef Vostárek,  ČTK

Plus de cinquante ans après sa mort, le général František Moravec va reposer dans le cimetière de sa ville natale. En effet, rapatriées des Etats-Unis, ses cendres sont aujourd’hui 26 avril inhumées à Čáslav, en Bohême-Centrale, où il était né en 1895.

František Moravec a combattu comme légionnaire pendant la Première Guerre mondiale. Il a ensuite poursuivi sa carrière militaire en Tchécoslovaquie et a servi dans le service de renseignement, qu’il a fini par commander. Peu avant l’occupation allemande de la Tchécoslovaquie, avec ses plus proches collaborateurs, il s’est envolé pour la Grande-Bretagne, d’où il a dirigé le service de renseignement tchécoslovaque en exil. Après février 1948, il s’est à nouveau exilé, et il est mort en 1966 à Washington, où il travaillait pour le gouvernement américain.

Un projet familial

Ce « retour au pays » émane d’une volonté de ses descendants aux Etats-Unis, qui pensaient initialement réaliser ce transfert par leurs propres moyens. Au micro de la Radio tchèque, la petite fille de František Moravec, Anita Moravec, explique qu’elle ne pensait nullement que le transfert des cendres de son aïeul bénéficierait du soutien du ministère tchèque de la Défense et serait accompagné de tant de cérémonie :

Anita Moravec | Photo: Luboš Pavlíček,  ČTK

« A l’origine, c’était l’idée de mon cousin ! Il nous semblait injuste qu’il repose tout seul à Washington, qu’il serait mieux qu’il  se trouve à Čáslav, où vivent toujours des membres de sa famille, qui pourront visiter sa tombe et honorer sa mémoire plus facilement. Donc à l’origine, il s’agissait d’une volonté familiale, et j’avais l’intention de prendre ses cendres dans mes valises pour les emmener en République tchèque, tout simplement. Mais ensuite, la République tchèque a exprimé son intérêt pour ce projet et nous a dit qu’il fallait faire cela en bonne et due forme. »

« Je pense que cela n’aurait pas pu avoir lieu, ne serait-ce qu’il y a 10 ou 15 ans. Mais les choses ont tellement changé ces dernières années, et cette ouverture, ce renforcement des relations entre la République tchèque et les Etats-Unis, c’est vraiment merveilleux. »

« Pour nous, c’est une immense surprise, bien sûr. Autrefois, nous n’aurions jamais pensé pouvoir venir en République tchèque, ni que les cendres de notre grand-père puissent y être transférées. C’est donc un grand moment d’émotion pour nous. Pour moi, cela renforce les liens entre les deux pays, car à sa mort, mon grand-père était citoyen américain, et aujourd’hui, il peut rentrer dans son pays natal. Non seulement les liens de nos familles en République tchèque et aux Etats-Unis sont renforcés, mais aussi ceux entre nos deux pays, notamment entre les membres du gouvernement et de l’armée des deux côtés impliqués dans ce transfert. A croire que mon grand-père a rapproché les gens, même 56 ans après sa mort ! Comme s’il ne s’était jamais arrêté de travailler. »

La cérémonie du retour des cendres du général František Moravec | Photo: Luboš Pavlíček,  ČTK

Moravec et Anthropoid

Si c’est bel et bien la volonté et l’implication de la famille américaine du général Moravec qui ont permis la réalisation du transfert de ses cendres, pour la partie tchèque, l’événement n’en est pas moins important. Ainsi, pour la ministre tchèque de la Défense Jana Černochová, il s’agit « d’ un rêve qui devient réalité ». En effet, l’implication du général dans l’histoire de son pays a été décisive : parvenu à la conclusion que la résistance intérieure tchécoslovaque n’était pas capable d’une action armée plus importante, le général Moravec a décidé d’un programme d’action militaire depuis l’extérieur. Il est ainsi considéré comme l’auteur du plan d’assassinat du protecteur du Reich par intérim, Reinhard Heydrich, attentat perpétré  le 27 mai 1942 par les parachutistes tchécoslovaques Jozef Gabčík et Jan Kubiš dans le cadre de l’opération Anthropoid.

D’ailleurs, heureuse coïncidence du calendrier, après un report en raison de la situation sanitaire, le transfert des cendres de František Moravec a finalement lieu tout juste 80 ans après cet attentat qui – s’il a été suivi de représailles extrêmement violentes, avec le massacre du village de Lidice – a joué un rôle crucial dans l’histoire de la Tchécoslovaquie. La ministre tchèque de la Défense Jana Černochová revient sur ce symbole fort :

Anita Moravec et Jana Černochová | Photo: Luboš Pavlíček,  ČTK

« Le général Moravec était un immense héros, un Tchécoslovaque corps et âme. Pour moi, qui ait longtemps été maire du deuxième arrondissement de Prague, son histoire est très forte, car c’est lui qui a pensé tout l’attentat visant à éliminer le protecteur du Reich par intérim, Reinhard Heydrich. Depuis son exil en Grande-Bretagne, c’est lui qui a géré l’entraînement des pilotes et héros qui ont fini par tomber dans notre quartier, dans la crypte de l’église orthodoxe de Saint-Cyrille et Saint-Méthode, rue Resslova à Prague. D’ailleurs, en juin, nous y commémorerons le 80e anniversaire de leur action et de leur mort héroïques.  Je suis très heureuse que les cendres du général Moravec arrivent en République tchèque quelques semaines avant cet anniversaire et la cérémonie commémorative qui le marquera – et durant laquelle on ne manquera pas d’évoquer le général Moravec. »

Lutter pour la liberté…

Pour sa part, Anita Moravec explique que si aux Etats-Unis, son grand-père est peu connu du grand public, en revanche, la communauté militaire américaine est bien consciente de ce qu’il a fait, et de son héritage. Tout comme sa famille. Anita Moravec :

František Moravec | Photo: VHÚ

« Aux Etats-Unis, il est pour ainsi dire inconnu. Il m’arrive de rencontrer des gens qui ont entendu parler de lui, ou plutôt entendu parler de Heydrich et de l’opération Anthropoid. Je ne manque alors pas de leur dire que c’est mon grand-père qui en est à l’origine ! Mais autrement, vous savez, cette histoire n’a pas vraiment eu d’impact sur les Etats-Unis, donc la reconnaissance est minime… En revanche, j’ai été surprise de constater le soutien et la participation de l’armée américaine au transfert des cendres. La connaissance et la reconnaissance de ce qu’il a fait – pour la Tchécoslovaquie, les Etats-Unis et le monde – est donc plus importante au sein de la communauté militaire, c’est évident. »

František Moravec en Grande Bretagne | Photo: Archives de la famille Moravec

« Nous, enfants, nous ne savions pas grand-chose, car mon grand-père n’était pas de ceux qui rapportent leur travail à la maison. Il n’en parlait pas en famille, mais nous étions au courant qu’il était responsable de l’opération Anthropoid. En 1990, lorsque ma grand-mère a pu retourner pour la première fois dans son pays natal, la première chose qu’elle a faite, c’est de visiter l’église de Saint-Cyrille et Saint-Méthode, et d’y déposer une couronne de fleurs en l’honneur des héros. C’était très important pour elle ; pour nous aussi, car nous savions tous que cela avait constitué la base de la liberté retrouvée de la Tchécoslovaquie. Même si au final, cela a pris bien plus de temps que mon grand-père ne l’avait espéré, mais enfin, cet acte a été si important pour la liberté du pays. »

… hier et aujourd’hui

Pour récupérer l’urne contenant ses cendres, l’armée tchèque a envoyé une unité spéciale à Washington, et la ministre tchèque de la Défense Jana Černochová a profité de ce voyage pour s’entretenir avec le secrétaire américain à la défense Lloyd Austin sur les événements en Ukraine, la modernisation de l’armée et le traité de défense tchéco-américain.

Le retour des cendres du général František Moravec | Photo: Josef Vostárek,  ČTK

D’ailleurs, le directeur du renseignement militaire Jan Beroun fait le lien entre les enseignements du général Moravec et la situation géopolitique actuelle :

« Le transfert des cendres du général Moravec marque le retour d’un héros national dans son pays natal. C’est un héritage évident, en particulier vu ce qui se passe en ce moment en Ukraine : il est nécessaire de lutter pour l’indépendance et la liberté de notre pays, en permanence et en toutes circonstances. Et c’est ce qu’a fait le général Moravec tout au long de sa vie. »