A Prague, une exposition dédiée aux « chevaliers du ciel tchèques » de la Deuxième Guerre mondiale
A l’instar de Kurt Taussig, mort cette semaine à l’âge de 96 ans, ils étaient quelque 2 500 pilotes tchécoslovaques à avoir combattu en Grande-Bretagne et dans d’autres pays étrangers durant la Deuxième Guerre mondiale. Une exposition qui rappelle leur héroïsme et les destins parfois difficiles, pendant la guerre puis en Tchécoslovaquie communiste, est à voir jusqu’au 31 janvier prochain au Musée national à Prague. Intitulée « Rytíři nebes » (Les chevaliers du ciel), elle retrace, sur 300 mètres carrés, l’histoire de ces hommes au travers de leurs uniformes, leurs journaux de bord et de nombreux autres objets.
Ces « chevaliers du ciel » ont été immortalisés par les photographes et les écrivains aussi bien que par les cinéastes : ainsi, Jan Svěrák a réalisé en 2001 « Tmavomodrý svět » (A Dark Blue World dans son titre international), un film à succès inspiré des destins d’Antonín Liška, František Fajtl, František Peřina et d’autres pilotes de chasse tchécoslovaques qui ont servi au sein de l’armée de l’air britannique durant le second conflit mondial.
L’exposition qui leur est consacrée au Musée national de Prague présente plus de 100 objets personnels des anciens pilotes, ainsi que des documents et photographies. Inaugurée à l’occasion du 75e anniversaire du débarquement allié en Normandie, elle a été préparée en coopération avec le Musée de l’exil tchèque, slovaque et ruthène de Brno. Ondřej Štěpánek est l’un de ses commissaires :
« L’exposition avait déjà été montrée à Brno. La majorité des objets exposés proviennent de la collection privée du fondateur du musée de l’exil, Jan Kratochvíl. Certains objets nous ont été prêtés par les familles des aviateurs, comme par exemple l’uniforme du général František Fajtl, ou encore les peintures réalisées par le tireur et radiotélégraphiste de la RAF, Karel Janšta. »« C’est la fille de Karel Janšta qui nous a contactés elle-même. Il a peint ces tableaux à East Wretham, c’était la base de son 311e escadron. Le premier tableau représente le décollage d’un bombardier, le deuxième une scène de combat aérien au-dessus de Cologne, en Allemagne, et le troisième le retour heureux à l’aéroport en Grande-Bretagne. »
« La salle principale d’exposition évoque une piste d’aéroport. Le long de la piste se trouvent des panneaux et les vitrines, avec les photos des aviateurs, leurs uniformes et objets personnels. Nous avons par exemple conservé un détail important : les pilotes de chasse avaient toujours le premier bouton de leur veste ouvert, c’était leur privilège, toléré par l’armée britannique. »
« Ici, vous pouvez voir l’uniforme et les objets qui appartenaient au général František Fajtl, ses insignes de pilote de l’armée de l’air tchécoslovaque, polonaise et aussi française, car il a combattu également en France. Au total, environ 130 pilotes se sont engagés dans des combats en France, avant la capitulation du pays en juin 1940 : certains d’entre eux faisaient partie des unités déployées en Afrique et en Syrie. Ils ont totalisé environ 3 500 heures de combat dans le ciel de France, ce qui est assez étonnant pour une période aussi courte. »Miroslav Liškutín fait partie des aviateurs tchèques qui ont rejoint la France au début de la guerre, pour passer ensuite dans la RAF. Pour la petite histoire, à la fin de la guerre, Miroslav Liškutín, décédé en 2018, serait le ‘premier’ pilote à avoir touché le sol français libéré, lorsque son appareil, abattu par des canons antiaériens, s’est écrasé contre un arbre en Normandie.
« Miroslav Liškutín est représenté dans cette exposition par le costume qu’il portait lorsqu’il a été reçu par la reine d’Angleterre Elisabeth II, en 1953. Nous montrons aussi la Croix de guerre, une distinction qui n’a été attribuée qu’à une dizaine de pilotes tchécoslovaques de la RAF, dont justement Miroslav Liškutín. »
Une photographie prise en 1992 montre Otmar Kučera, l’ancien commandant du 313e escadron de la Royal Air Force, qui venait, lui, d’être distingué par le président Václav Havel. Car les aviateurs tchécoslovaques qui ont combattu les armées hitlériennes à l’étranger n’ont été récompensés, dans leur pays d’origine, qu’après la chute du régime communiste. Après la mise en place de celui-ci en Tchécoslovaquie, en 1948, les anciens pilotes de guerre de retour de l’étranger ont été ostracisés, emprisonnés, certains étant purement et simplement exécutés pour avoir été à l’Ouest. Josef Bryks est l’un de ces pilotes qui ont vécu ce cauchemar. On écoute Ondřej Štěpánek.Josef Bryks, champion de l’évasion
« Josef Bryks est une personnalité très intéressante. Son parcours bouleversant a d’ailleurs inspiré plusieurs cinéastes. Il a été emprisonné maintes fois pendant et après la guerre et il a essayé à plusieurs reprises de s’évader. »Le périple de Josef Bryks commence en 1940 en Yougoslavie, où le jeune homme de vingt-quatre ans rejoint l’armée tchécoslovaque, pour passer, par le Proche-Orient, la France et la Grande-Bretagne, où il devient pilote dans la RAF. Son avion est abattu en juin 1941au-dessus du territoire français et Josef Bryks se retrouve prisonnier de guerre en Allemagne. Il s’évade de différents camps où il est détenu, mais à chaque fois, il est capturé et torturé par les nazis, puis emprisonné à nouveau. Ce n’est qu’en 1944 que les nazis apprennent son identité tchécoslovaque : Bryks est alors transporté à Prague, accusé de haute trahison et condamné à mort. Toutefois, après l’intervention des autorités britanniques, le pilote est interné à la forteresse de Colditz, en Allemagne, libérée par la suite par les Américains. Distingué pour son courage par l’Ordre de l’Empire britannique, Josef Bryks s’installe après la guerre en Tchécoslovaquie, où il entraîne des pilotes et enseigne l’anglais.
Après l’arrivée au pouvoir du parti communiste, Josef Bryks est condamné à dix ans de prison dans le cadre d’un procès truqué, et ensuite, après sa tentative d’évasion avortée, à une peine supplémentaire de vingt ans. L’ancien pilote est décédé en 1957, à l’âge de 41 ans, dans les mines d’extraction d’uranium de Jáchymov, tandis que sa femme et sa fille vivaient depuis 1948, en exil en Grande-Bretagne. En 2006, Josef Bryks a été distingué de manière posthume de l’Ordre du lion blanc, la plus haute distinction de l'Etat tchèque.Truda Bryksová et les autres femmes de la Royal Air Force
« Voici une petite photo de Truda Bryksová, l’épouse de Josef Bryks. Elle porte l’uniforme du corps de femmes rattaché à la RAF. Probablement, il avait toujours cette photo sur lui, depuis sa première incarcération en 1941 jusqu’à sa mort. »
Truda Bryksová se rangeait parmi les 250 000 femmes de nationalités différentes qui apportaient toute sorte d’aide aux aviateurs de l’Armée britannique pendant la guerre. Ces femmes oubliées de la Seconde Guerre mondiale se sont engagées plus précisément au sein de la WAAF, une Force féminine auxiliaire de l’aviation de la Royal Air Force. Ondřej Štěpánek :« Une cinquantaine de femmes tchèques étaient membres de cette force de la RAF. Elles ne pouvaient pas participer aux combats en tant que pilotes, mais elles fournissaient toute sorte de services au sol : elles travaillaient comme infirmières, pliaient des parachutes, occupaient des postes de météorologie, de radar ou de téléphonie ou encore elles faisaient de la cuisine. Certaines femmes étaient en Grande-Bretagne avant la guerre, elles y étudiaient ou effectuaient des stages, puis elles ont décidé de rester. D’autres se sont mariées là-bas… Leurs histoires de vie sont assez variées. »
Enfin, l’exposition « Les chevaliers du ciel » rend hommage au pilote Vladimír Nedvěd, un ancien combattant tchèque décédé en 2012 en Australie :
« Nous avons appelé cette partie de l’exposition ‘la chambre des pilotes’. Vous pouvez y voir trois figurines qui portent des uniformes d’époque, mais aussi un canot de sauvetage. Nous exposons aussi un blouson porté par Vladimír Nedvěd, le commandant tchèque du 311e escadron de la RAF. Il portait ce blouson lorsque son avion s’est écrasé peu après le décollage, en Grande-Bretagne. Dans une petite salle voisine, nous projetons une vidéo où Vladimír Nedvěd raconte cette histoire dramatique. En fait, après le crash, il a réussi à sortir de l’avion les autres membres de l’équipage, alors qu’autour de lui, des bombes explosaient. Par miracle, il a survécu. Il a été récompensé pour son courage par l’Ordre de l’Empire britannique. »