Robert Sedláček : « L’histoire n’est pas quelque chose de donné »

Robert Sedláček, photo: CT

Ce nouveau chapitre de l’histoire ne va pas se contenter d’explorer une période unique, mais bien plusieurs évènements. Vendredi dernier a débuté le festival « L’école du film d’été » - « Letní filmová škola » dans la ville d’Uherské Hradiště au sud-est de la Moravie. Le festival, qui n’a pas d’aspect compétitif, en est déjà à sa 39e édition, ce qui en fait l’un des plus anciens du pays. C’est là-bas qu’a été diffusée la première de trois films historiques, issus d’un cycle de neuf parties au total destinées à la télévision : « Le Siècle tchèque ».

L’origine de l’initiative « L’école du film d’été » remonte à 1964, lorsque le festival, dans la ville de Čimelice, avait accueilli seulement les membres de divers ciné-clubs. Au sein d’une Tchécoslovaquie socialiste, cette manifestation culturelle a de plus en plus souvent accueilli des personnes opposées au régime. En 1975, le festival a reçu près de 250 personnes, et en 1981, pour la première fois à Uherské Hradiště, le nombre de visiteurs avait déjà plus que doublé. Toutefois, avec la chute du communisme, la participation s’est légèrement affaiblie, pour remonter quelques années par la suite. Il n’en reste pas moins que ces rencontres cinématographiques sur plusieurs jours font désormais partie de l’histoire. Et c’est bien de l’histoire même, que le festival, traditionnellement orienté vers la projection de films anciens de qualité, traite cette année. Les trois pilotes du cycle « Le Siècle tchèque », dont la première a eu lieu lundi dernier, sont liées entre eux par le personnage clé : le président Edvard Beneš. Trois évènements historiques importants y sont respectivement évoqués : la situation entourant les événements de Munich en 1938, l’exil londonien d’Edvard Beneš en 1941, pendant lequel la résistance à l’occupation nazie et au Protectorat de Bohême-Moravie s’organise. Le troisième film de ce cycle évoque le putsch communiste de 1948 et les accords entre les dirigeants tchèques et Staline, qui instaureront une forme de communisme pour les quarante prochaines années. Le chiffre 8 semble être un chiffre malheureux pour la nation tchèque, phénomène qui a été évoqué par un grand nombre d’historiens déjà : il apparait la plupart du temps lors d’évènements marquants de l’Histoire tchèque. 1848, 1918, 1938, 1948, 1968, 1989, des dates qui ont toutes ébranlé la situation politique tchécoslovaque. L’année 1938 est l’une des plus dramatiques pour la Tchécoslovaquie. Robert Sedláček, le réalisateur de ce cycle télévisé de neufs films s’est expliqué sur ce projet colossal juste avant la première :

« Le Siècle tchèque »,  photo: CT
« Je dirais que l’année 1938 est la plus explosive et tumultueuse, car il est question d’un traumatisme national, face auquel chacun détient sa propre opinion, à savoir : si nous avions gagné, si nous avions perdu, si nous aurions dû nous battre ou pas. En faisant le film, nous devions nous pencher vers un côté de l’histoire. Nous verrons bien combien de personnes s’énerveront de nos films et combien de personnes seront d’accord. Le plus difficile a été de tout faire démarrer car le projet, qui se met en place depuis trois ans, est très ardu. Plus de deux cents acteurs incarnent les personnages les plus connus de l’histoire tchécoslovaque, que ce soit Tomáš Garrigue Masaryk, Václav Havel ou Václav Klaus. Donc le plus difficile dans tout ce projet a été le début, trouver le courage de distribuer aux acteurs des rôles de personnalités historiques et notoirement connues. Car nous connaissons leur visage, le timbre de leur voix. Donc s’élancer et trouver le courage pour tout mettre en marche, c’est ce qui a été le plus difficile. Maintenant, chaque film de ce cycle porte en soi son propre esprit. »

« Le Siècle tchèque »,  photo: CT
Six autres parties doivent suivre, relatant des événements historiques, tout aussi importants, survenus dans la seconde partie du XXe siècle. Au programme donc : les procès communistes des années 1950, le Printemps de Prague et l’invasion de l’armée soviétique en 1968, la création de la Charte 77 en 1977, la Révolution de velours en 1989, sans oublier, petit retour en arrière, la création de la Tchécoslovaquie en 1918. Autant d’événements impliquant des hommes avec leurs forces et leurs faiblesses dans un contexte historique et social. Tout en dévoilant l’approche choisie à l’égard des personnages historiques connus, Robert Sedláček glisse une petite anecdote relative à ce pouvoir de « diriger » :

« Le Siècle tchèque »,  photo: CT
« En 1989, Václav Havel est dans l’atelier du photographe Joska Skalník en train de se décider s’il se présentera ou non en tant que candidat aux élections présidentielles. À cette même époque, John Bok, (ancien dissident et activiste des droits de l’Homme, ndlr) avait relaté les paroles d’Olga Havlová, la femme de Václav Havel, qui était complètement contre le fait que Václav Havel se présente, et qui s’était laissée entendre dire : « Tu sais ce qui est le pire là-dedans, c’est qu’il va commencer à aimer cela… ». Notre point de vue sur l’histoire est donc celui d’une analyse psychologique ; nous voulons savoir qui étaient ces personnes, ces personnalités, ces principaux héros et protagonistes de l’histoire de l’État tchèque du XXe siècle. Nous voulons montrer des gens en chair et en os, avec leurs erreurs et leurs faiblesses, mais aussi leur force intérieure. On ne fait pas de division, entre les voyous et les personnes pleines de vertus. »

« Le Siècle tchèque »,  photo: CT
Or, la question de la véracité des faits historiques mis en scène se pose. Car personne ne peut assurer que tout ce qui est produit et reproduit, correspond à la réalité. Mais cette œuvre aurait pour objectif de favoriser la réflexion, pour que chacun puisse se forger une opinion, selon Robert Sedláček :

« Tous les thèmes et sujets sont intéressants par le fait qu’ils provoquent plusieurs questions : est-ce que cela pouvait se faire d’une autre manière ? Et qui sommes-nous en fin de compte ? Ces sujets suscitent également des questions relatives à la définition de la lâcheté, du réalisme et de l’héroïsme. Et c’est ce qui est intéressant. L’histoire devrait servir à cela : se centrer sur un sujet pour qu’il vous enrichisse intellectuellement. Trembler de colère ou d’exaltation, je n’y arrive pas tellement, surtout avec l’histoire. Je prends l’histoire pour du matériel de réflexion et si je réussis à le terminer comme je l’avais prévu, alors grâce à cela je permets au spectateur cette réflexion. Taper des poings sur la table et dire « quelle bande de chieurs ou de héros on est ! », ce débat, je le laisse aux discussions de comptoir. »

Robert Sedláček,  photo: CT
Le tournage de la suite du cycle, et plus précisément, des évènements de l’année 1968, ayant attrait au Printemps de Prague, ne débutera que dans trois semaines. Toutefois, Robert Sedláček nous dévoile la difficulté de la réalisation d’un projet historique aussi considérable à l’aune des nombreuses informations qui nous sont inconnues :

« Il y a une magie particulière et c’est le fait que la plupart des choses se passent à huis clos, nous ne savons pas exactement ce qui a été dit. Mais, il existe pleins de mémoires et de notes. Et ce qui est intéressant pour les historiens et les auteurs, c’est que même les personnes qui ont participé aux discussions, témoignent souvent de façon contradictoire. Elles interprètent ce qui s’est déroulé et ce qui a été dit de manière complètement différente. Donc, en tant qu’auteurs, nous avons une certaine liberté dans l’écriture des dialogues. Nous étudions les mémoires, les notes des discussions officielles. Et nous avons un grand avantage : nous savons comment s’est terminé le cours de l’histoire. Nous connaissons les causes, ou du moins on croit les connaitre, mais nous connaissons la fin. Et dans ce contexte là, il devient plus facile de raconter. Je vous dirais une autre petite anecdote : les communistes prenaient des notes sur les discussions, déjà en 1948. Mais ce qui était intéressant c’est qu’ils parlaient de façon vraiment très vulgaire. C’étaient des canaux de gros mots, d’une réunion politique à l’autre. On a dû rayer beaucoup de ces grossièretés, vulgarismes et invectives, pour que l’on puisse diffuser cela en prime time. »

Jaroslav Sedláček,  photo: CT
Le dramaturge du l’Ecole du film d’été, Jaroslav Sedláček, nous a dévoilé que l’accueil de ces trois chapitres de l’Histoire du XXe siècle a été plus que positif, tout en évoquant que la mémoire peut parfois être un obstacle important. Jaroslav Sedláček :

« Ce qui rend ce projet passionnant, c’est le fait que les scénaristes, Pavel Kosatík et Robert Sedláček, ont réussi à rendre l’époque d’antan très présente, en ouvrant des discussions sur le sujet. Car nous allions tous à l’école, où plein de choses se racontaient en noir et blanc, de façon très propagandiste et nous ne savions pas beaucoup de choses. Par exemple, Pavel Kosatík, un des scénaristes, s’est laissé entendre dire qu’il était en admiration de l’exactitude de la documentation allemande des moments historiques clés, avec lesquels les historiens peuvent travailler. Mais malheureusement par rapport aux événements de 1938, par exemple, les archives historiques sont très menues. De ce fait, les mémoires viennent compléter l’évènement, ce qui comporte des risques d’imprécision. Et ceux qui se souviennent peuvent se chercher des chemins pour se défendre eux-mêmes, allant à l’encontre de la vérité objective. »

Pavel Kosatík,  photo: CT
Si le début de ce projet ne devait compter que huit films, les scénaristes, Robert Sedláček lui-même et Pavel Kosatík, se sont rapidement rendus compte que la fédération tchécoslovaque s’était effondrée très peu de temps après la chute du communisme – une fédération qui avait été le rêve du président Tomáš Masaryk et l’illusion de beaucoup de tchèques et slovaques, qui aurait traduit une capacité, une aptitude au vivre ensemble, au sein d’un seul pays. Un dernier et neuvième épisode clôturera le cycle, qui devrait répondre à la question de savoir « comment nous nous sommes rencontrés et comment nous nous sommes quittés. » Pour Robert Sedláček, cette reproduction de l’histoire est primordiale. Il explique pourquoi :

« Cela devrait éveiller quelque chose chez les gens, que ce soit une identification, ou que ce soit le fait de se dire « mon dieu, ce n’est pas possible, je ne me souviens pas que cela s’est passé ainsi ». Et cela vous contraindra à défendre votre propre version de l’histoire. Car l’histoire n’est pas quelque chose de fixe et de donnée. Chaque nouveau pouvoir politique l’explique différemment. Moi-même, j’ai déjà entendu trois interprétations différentes de cette même histoire. Mais l’histoire c’est celle en laquelle nous croyons nous-mêmes. Et c’est à partir de là que découle notre comportement. Alors, que les jeunes fassent un effort ! Moi j’ai eu du mal avec cela toute ma vie. »

Le festival « L’école du film d’été »,  photo: CTK
Si le festival « L’école du film d’été » se poursuit jusqu’à ce samedi 3 août, les premiers cinq films de ce cycle historique seront diffusées à la télévision tchèque à partir du mois d’octobre. Les quatre autres films, actuellement en cours de tournage, seront présentés au grand public à l’automne 2014, et compléteront ainsi ce projet.