Růžena Zátková, une artiste « pré-post-moderne »

Růžena Zátková

Les écuries impériales au Château de Prague accueillent jusqu’au 31 juillet une exposition consacrée à la peintre tchèque futuriste, Růžena Zátková (1885-1923). Une artiste totalement tombée dans l’oubli après sa disparition précoce, à l’âge de 38 ans, mais qui grâce à la commissaire de l’exposition Alena Pomajzlová, est enfin redécouverte.

Růžena Zátková
« J’ai découvert Růžena Zátková quand j’étudiais l’italien. J’ai lu des livres sur le futurisme italien et j’ai découvert qu’il existait une artiste tchèque qui avait travaillé avec les futuristes. Un jour, j’ai participé à la préparation d’une grande exposition futuriste à Venise, j’ai traduit un texte sur elle dans le catalogue pour l’organisateur tchèque, František Šmejkal. Depuis ce temps-là je me suis intéressée à son art et à sa personnalité. »

Quand a eu lieu cette exposition ?

« A la fin des années 1980. »

Donc cela fait une vingtaine d’années que vous vous intéressez à Růžena Zátková qui a enfin une exposition ici à Prague…

« Cela a été très difficile : j’ai dû attendre longtemps parce que les documents, les œuvres sont répartis un peu partout dans le monde. Ce n’est qu’après la révolution de velours qu’on a pu voyager et aussi obtenir des subventions pour organiser de telles expositions. »

Est-ce que vous pourriez nous rappeler qui était Růžena Zátková et comment elle est arrivée à l’art ?

Mallorca
« Elle est née en Bohême du Sud, dans une famille respectée, patriotique. Sa mère était pianiste et tous les enfants ont étudié la musique, les arts et les langues. Tout cela a changé après son déménagement à Prague où Růžena a étudié la musique et la peinture dans l’école privée d’Antonín Slavíček. Mais le changement le plus important est intervenu après son mariage avec un diplomate russe en poste à Rome. »

Růžena Zátková déménage donc en Italie avec son mari diplomate…

« Voilà, en 1910. Sa conception de l’art change alors totalement. A Prague, elle faisait plutôt de la peinture traditionnelle. En Italie, elle rencontre les futuristes et l’avant-garde russe et commence à faire des œuvres d’une autre qualité. »

Růžena Zátková
Quelles personnalités va-t-elle rencontrer à Rome ?

« Elle rencontre le sculpteur croate Ivan Meštrović, qui fait d’elle un portrait sculpté. Puis Umberto Boccioni, Filippo Tommaso Marinetti, qui font partie des grandes figures de l’art italien de l’époque. Puis les artistes autour de Sergueï Diaghilev et des ballets russes, comme Igor Stravinski, Sergueï Prokofiev, Mikhaïl Larionov et Natalia Gontcharova. »

Visiblement elle rencontre du beau monde à l’époque… Comment se passe ce séjour italien ? C’est une rupture dans son art, que crée-t-elle sur place ?

Photo: CTK
« En Italie, elle a découvert une conception totalement différente de l’art. Elle fréquentait l’atelier de Giacomo Balla qui travaillait avec des matériaux comme le carton, le cuir, le métal…Elle s’est rendue compte qu’on pouvait travailler de manière différente, par l’abstraction et d’autres matériaux. »

Justement, il y a une sculpture en particulier qui est assez caractéristique ou révélatrice de ce changement total d’orientation artistique. C’est une sculpture qui a malheureusement disparu, mais dont vous présentez une république. Comment s’appelle cette œuvre et pourriez-vous la décrire ?

Le 'bélier',  photo: CTK
« Elle s’appelle ‘beranidlo’, le ‘bélier’, qui est un instrument qui sert dans le domaine de la construction. Ce n’était pas une sculpture classique car elle voulait exprimer les bruits, les mécanismes de la construction. Elle a été réalisée en métal, carton, cuir, verre. C’est très dynamique et ça cherche plus à exprimer les sensations. »

Donc reproduire finalement la fonction du bélier, ce qu’il produit dans l’espace, plutôt que l’objet en lui-même. Et cette œuvre a disparu…

« Oui, parce que les matériaux n’était pas durables. On peut voir à l’exposition une reconstitution par ordinateur, préparée par un sculpteur tchèque, Michal Gabriel. Ensuite, cette reconstitution a été réalisée par un studio américain. »

Revenons un peu à Růžena Zátková. C’était une très belle femme. Son visage est frappant quand on regarde les photos. Quelle était sa personnalité d’après les documents que vous avez pu lire sur elle… Quelles étaient ses relations avec ses proches. Visiblement elle avait un lien fort avec sa sœur.

« En comparaison de sa sœur qui est restée en Bohême et qui a continué à créer des œuvres traditionnelles, elle a complètement changé son art. Pour elle l’art était un moyen de se libérer. »

Pensez-vous que Růžena Zátková était féministe ?

Photo: CTK
« Je pense qu’on n’utilisait pas ces catégories à l’époque. Je pense qu’elle travaillait plus comme un homme que comme une femme. Les femmes de cette époque s’orientaient plus vers l’art décoratif, les tissus, les illustrations. Tandis qu’elle faisait des constructions plastiques, ce que faisaient aussi les artistes tchèques masculins. »

Pourtant c’est elle qui a réalisé les pages d’illustration orientalisantes du livre du roi David, dont des reproductions sont exposées au Château ?

« Elle a fait ces illustrations en Suisse, parce qu’en 1916, elle est tombée malade de la tuberculose. Elle a été transportée en Suisse où elle est restée trois ans. Cela a été une rupture totale. En 1916 elle faisait ses travaux expérimentaux, avait changé sa conception artistique. Elle s’est rendu compte de la relativité des tendances modernes, comme le futurisme. Elle voulait trouver quelque chose d’immobile, stable dans l’art. Elle s’est tournée vers la foi, et elle a fait ces illustrations qui s’inspirent des manuscrits médiévaux et des miniatures perses. »

Marinetti - Le soleil
C’est intéressant parce que cela signifie qu’on ne peut pas trop catégoriser Růžena Zátková. Cela veut dire qu’elle était prête à changer de cap…

« On peut dire que c’était une artiste pré-post-moderne ! »

Pour terminer, pourquoi Růžena Zátková est-elle restée tant d’années dans l’oubli ?

« Malheureusement, elle est décédée très tôt, en 1923, à l’âge de 38 ans. Elle n’a pas réussi à organiser d’exposition à Prague, elle a voulu le faire mais elle a disparu. En Italie aussi, on ne parlait plus beaucoup de ses œuvres. Ce n’est que dans les années 1960, quand on s’est mis à étudier le futurisme, on a découvert que cette femme extraordinaire existait. On peut voir désormais ses œuvres. »