Science neutronique : des chercheurs tchèques à l'ILL de Grenoble

Réacteur à haut flux de l'Institut Laue-Langevin, photo: Magdalena Hrozínková

L'Institut Laue-Langevin (ILL) est un centre de recherche international, à la pointe de la science et de la technologie neutroniques. Situé sur la presqu’île scientifique de Grenoble, il exploite une des sources de neutrons les plus intenses au monde. L’ILL qui a fêté son 50e anniversaire en 2017, ainsi que l’Installation européenne de rayonnement synchroton (ESFR), inaugurée il y a une vingtaine d’année à proximité immédiate de l’Institut, accueillent régulièrement des chercheurs tchèques qui y réalisent leurs expériences. Radio Prague vous propose aujourd’hui une visite de l'Institut Laue-Langevin, en compagnie du physicien nucléaire Jiří Kulda qui y travaille comme consultant scientifique depuis le début des années 1990.

Jiří Kulda devant l'ILL,  photo: Magdalena Hrozínková
Nous avons rencontré Jiří Kulda à l’emplacement de l’ancien polygone d’artillerie de Grenoble, d’une superficie de 250 hectares, devenu polygone scientifique après la Seconde Guerre mondiale. Une coupole domine le campus : elle appartient au réacteur à haut flux de l’ILL, l’un des plus puissants du genre au monde. Il fonctionne en continu pendant quatre cycles de cinquante jours par an, et fournit ainsi, chaque année, à un millier de scientifiques venus du monde entier, 200 jours de temps de faisceau de neutrons. Parmi ces scientifiques, on trouve des doctorants, post-doctorants et autres chercheurs tchèques, Prague ayant conclu un partenariat scientifique avec l’ILL, géré et financé par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Jiří Kulda précise :

« La République tchèque est membre scientifique d’ILL. Elle fait partie d’un consortium constitué par l’Autriche, la Hongrie et la Slovaquie. La Tchéquie est un membre très actif. Les chercheurs tchèques remportent régulièrement des compétitions pour l’attribution du temps de faisceau : nous obtenons environ deux fois plus de temps que la part qui correspond à notre contribution financière. C’est la faculté de mathématiques et de physique de l’Université Charles, plus précisément le département de physique de la matière condensée, ainsi que l’Institut de physique de l’Académie des Sciences qui sont au cœur de ce partenariat scientifique. Ces deux laboratoires sont parmi les principaux exploitants tchèques de l’ILL. Ensuite, il existe d’autres utilisateurs tchèques, mais ceux-ci sont plutôt occasionnels. »

Avant d’intégrer l’ILL de Grenoble et avant la chute du régime communiste, Jiří Kulda avait passé plusieurs années au sein du centre de recherche international de physique nucléaire situé à Doubna, près de Moscou, centre qui passait pour le CERN de l’Europe de l’Est. Jiří Kulda nous explique qu’elle est sa mission à l’ILL :

Réacteur à haut flux de l'Institut Laue-Langevin,  photo: Magdalena Hrozínková
« Ici, le travail est composé de trois tiers. Un tiers est lié aux instruments associés au réacteur à haut flux. On les entretient, on les développe en construisant de nouveaux instruments aussi, ce qui est parfois assez passionnant. Une autre partie de notre travail consiste à assister les utilisateurs de ces instruments : on les entraîne, on les aide à traiter les données obtenues à l’issue des expériences. Enfin, nous nous consacrons à l’activité scientifique proprement dite. Celle-ci peut être orientée vers le développement des instruments ou encore vers la collaboration internationale dans le domaine des études des matériaux menées par des équipes extérieures. Pendant ma carrière à l’ILL, j’ai eu la chance de m’engager dans les trois domaines. »

Nous voilà dans le hall expérimental de l’ILL, à proximité des instruments qui entourent le réacteur à haut flux et qui servent aux chercheurs à réaliser leurs expériences, plus précisément à étudier la structure atomique des matériaux. Jiří Kulda :

« Je suis très attaché à l’instrument situé en face de nous, car j’en ai été responsable pendant une dizaine d’années, jusqu’en 2003. Ensuite, je suis devenu responsable de tout un groupe d’instruments analogiques à celui-ci. C’est un spectromètre à trois axes. Ce sont des axes sur lesquels sont positionnés des cristaux ou des mailles optiques. Dans le grand tambour se trouve une maille optique qui choisit les neutrons d’une certaine énergie. Ceux-ci sont diffusés vers le deuxième axe où nous plaçons un échantillon : c’est le grand trou que vous voyez ici, car la table d’échantillons est démontée en ce moment. Les neutrons diffusés sont analysés par une autre maille optique, par un autre cristal, caché dans ce cylindre. Celui-ci permet de choisir une autre longueur d’ondes, une autre énergie. D’après la corrélation de cette différence d’énergies et d’autres facteurs encore, on peut finalement, à la fin du processus, définir les propriétés des cristaux, par exemple les forces qui les tiennent ensemble, on peut étudier les interactions des structures chimiques et magnétiques… »

« Voilà un autre spectromètre à trois axes. Il s’appelle ThALES et il a été construit en collaboration avec l’Université Charles de Prague. Les travaux de construction ont été majoritairement financés par le gouvernement tchèque. En échange, nos scientifiques peuvent exploiter d’une manière intense les instruments de l’ILL. ThALES a été mis en service il y a deux ans et il correspond au dernier stade d’évolution scientifique dans ce domaine. »

Une question incontournable et qui fait généralement sourire les scientifiques, dont Jiří Kulda : à quoi les résultats de ses recherches peuvent-elles servir dans la vie de tous les jours ?

L'Institut Laue-Langevin  (ILL),  photo: Magdalena Hrozínková
« Oui, c’est une question habituelle… L’ILL se concentre sur la recherche fondamentale. Dans le langage de la vulgarisation scientifique, on dirait que c’est une recherche ‘qui ne sert à rien’. Mais il faut se rendre compte que cette recherche créé une certaine culture, une sphère de connaissances utilisées ensuite comme référence dans la recherche technologique qui, elle, est orientée beaucoup plus à la vie quotidienne. C’est-à-dire que la plupart des résultats que nous obtenons ici n’ont pas d’application directe, mais sans la connaissance des structures atomiques des matières et des matériaux, on ne peut pas mettre en place des technologies modernes dans l’industrie semi-conducteurs, dans les nanotechnologies etc. Si les résultats de nos recherches ne sont pas appliqués directement, il existe toutefois des travaux et des programmes de recherche qui répondent aux besoins de l’industrie. Souvent, ces programmes sont menés par des universités ou des institutions associées aux laboratoires de recherche industrielle. Dans le cadre de ces programmes, on essaye de résoudre certains problèmes liés directement à des besoins pratiques. »

Dans une de nos prochaines émissions, rendez-vous avec la Tchèque Petra Rejmánková-Pernot, chercheuse au Synchroton européen de Grenoble.