Škoda parle allemand depuis 30 ans
Le 16 avril 1991, la marque tchécoslovaque Škoda devenait la quatrième marque du groupe allemand Volkswagen.
Parmi les potentiels acquéreurs « il y avait Volkswagen, Renault, Nissan, Honda, Toyota et BMW. Opel aussi était intéressé, mais davantage par les usines de production de Bratislava », avait rappelé en 2011 Jan Vrba, ancien ministre de l’Industrie décédé depuis.
L’affaire occupait bien des esprits dès le lendemain de la chute du Mur de Berlin et de la révolution de Velours.
L’actuel ambassadeur tchèque en France, M. Fleischmann, s’est souvenu sur notre antenne d’un entretien radiophonique qu’il avait enregistré fin 1989 avec Petr Pithart, « un des représentants importants de la nouvelle Tchécoslovaquie qui est devenu ensuite Premier ministre. J’ai retrouvé cet entretien récemment et c’est intéressant, il y est déjà question de la privatisation de Škoda – et de l’intérêt de Renault -, en décembre ! ».
Renault envisageait effectivement de produire sa Twingo et sa R19 en Bohême. Ce sont finalement les voisins allemands de la firme de Wolfsburg qui ont emporté le morceau, en acquérant d’abord 31% du capital de la marque à la flèche ailée avant de devenir l’unique propriétaire.
Dans une interview accordée il y a quelques années à la Radio tchèque, Petr Pithart rappelait la période qui a précédé la signature de la vente par l’Etat au groupe Volkswagen :
« Les négociations ont été assez dramatiques, bien que le public ne le sache pas. À certains moments, il semblait qu’elles n’aboutiraient jamais. Nous avons insisté sur le fait que nous ne voulions pas qu’une simple usine d’assemblage soit construite ici. Il fallait que ce soit un accord gagnant-gagnant. Le cœur de l’activité de chaque constructeur automobile, son usine de moteurs, devait rester ici. Cela sous-entendait également les activités de développement et de recherche, et donc des centaines, voire des milliers de personnes qui continueraient à être impliquées dans le développement au plus haut niveau. »
L'accord a été conclu comme une vente directe de l'État tchécoslovaque au géant allemand et ne s’est pas inscrit dans le cadre de la politique des grandes privatisations qui ont accompagné cette période de profonde transformation de l’économie tchécoslovaque, un élément majeur du passage vers le capitalisme et une économie de marché.
Journaliste au magazine automobile Svět motorů (Le Monde des moteurs), David Šprincl a déclaré à la Radio tchèque que les craintes que Volkswagen transforme Škoda en une « marque discount » et uniquement en un centre d'assemblage se sont avérées infondées :
« Škoda a réussi à maintenir une approche différente. La marque a réussi à introduire de l'intelligence dans tous les éléments inclus dans les voitures. Elle est également visible depuis de nombreuses années aux championnats du monde de hockey sur glace et sur le Tour de France – et tout cela, elle le fait indépendamment. Volkswagen n’a certainement pas transformé Škoda en une simple usine d’assemblage, comme on le craignait. Au contraire, les Allemands s’appuient plutôt sur sa bonne image, différente de celle des autres marques. »
« Škoda peněz (dommage pour ton argent) » était une des blagues courantes pour tancer la qualité des véhicules de la marque à la fin du régime communiste, mais cette époque a vite été révolue et aujourd’hui les différents modèles trouvent leur public tant sur le marché local qu’à l’étranger. Plus question de se moquer de la « Škodovka », le petit nom affectueux donné par les Tchèques à « leur » marque qui vit désormais avec son temps.
La version modernisée du SUV Kodiaq sera produite à partir du mois de juin de cette année tandis que la version électrique Enyaq et les autres modèles de SUV représentent près de 40% des ventes de Škoda avec une tendance à la hausse selon Martin Jahn, membre tchèque du conseil d’administration présidé par l'Allemand Thomas Schäfer.
Aujourd'hui, Škoda Auto est le premier exportateur de République tchèque, et de loin le principal acteur dans une branche d’activité primordiale pour l’ensemble de l’économie du pays et donc pour l’emploi. D’ailleurs la firme vient d’annoncer l’ouverture de la plus grande cantine d’entreprise du pays, « capable de servir jusqu’à 35 000 repas par jour ».
Cerise sur le gâteau, le gérant de cette cantine précise que « cela représente pour un service la possibilité de cuisiner 50 000 knedlíky fourrés, 8000 karbanátky et 12000 escalopes panées (le sacrosaint « řízek »). Comme quoi, l’appartenance à un groupe allemand n’empêche pas de manger tchèque…