Sommet européen de Rome : le chef de la diplomatie tchèque annonce la couleur

Lubomír Zaorálek, photo: Filip Jandourek, ČRo

Avec la perspective du Brexit qui se précise et l’organisation du sommet de Rome à la fin de la semaine, le débat sur l’avenir de l’Union européenne se fait de plus en plus pressant. Lundi, dans un entretien pour le quotidien économique Hospodářské noviny, le ministre des Affaires étrangères Lubomír Zaorálek a apporté sa pierre au débat, une pierre qui pose de nombreuses interrogations sur la stratégie tchèque. Le social-démocrate a notamment dénoncé les abus à la libre-circulation des travailleurs, qui, selon lui, menaceraient l’existence même de l’UE.

Lubomír Zaorálek,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Nous parlons de notre devoir de respecter la liberté de circulation et d’autres choses à propos desquelles nous sommes prêts, pour le dire de façon métaphorique, à être crucifiés. Mais le résultat, c’est que, à cause de ces principes, l’Union peut se désintégrer. » Cet extrait de l’interview du chef de la diplomatie a fait grand bruit ; il semble remettre en cause la liberté de circulation au sein de l’UE, une liberté qui concerne les biens, les capitaux, les services et les personnes.

Suite à la parution de l’entretien, Lubomír Zaorálek a rapidement réagi à une présentation qu’il considère être biaisée. Il affirme ne pas vouloir le rétablissement des frontières et tenir à la libre-circulation des personnes. S’exprimant à la Télévision publique tchèque, le ministre a précisé sa pensée, une critique des excès de la libre-circulation des travailleurs, qui favoriserait le dumping social et le travail à bas coût :

« Il ne s’agissait pas pour moi de soutenir la limitation de la libre-circulation des citoyens. Il s’agit pour nous d’être en mesure de mener une politique contre l’importation d’une main d’œuvre à bas coût, contre l’emploi via les agences d’intérim, d’être capables en tant qu’Etat membre de nous positionner contre une migration de travail qui abaisse le coût du travail et crée des problèmes sociaux dans les endroits où se concentrent ceux qui arrivent. »

Photo illustrative: Štěpánka Budková
M. Zaorálek, qui dit défendre une convergence des niveaux de richesse au sein de l’UE, semble ainsi critiquer entre autres la directive sur le statut des travailleurs détachés, selon laquelle les cotisations salariales de l’employé sont payées dans son pays d’origine, ce qui peut favoriser des pratiques de dumping social. Le dispositif fait d’ailleurs l’objet d’un débat en France dans le cadre de la campagne présidentielle avec certains candidats proposant de la supprimer.

Si le ministre évoque ce phénomène du dumping social, il prend pourtant exemple sur le Royaume-Uni. D’après lui, c’est l’afflux de travailleurs étrangers, notamment de l’Europe centrale et orientale, qui a conduit de nombreux électeurs britanniques à voter en faveur de la sortie de l’Union européenne. En validant un tel argument, selon Ondřej Císař un sociologue de l’Université Charles cité par Hospodářské noviny, la social-démocratie chercherait « de façon évidente à s’inspirer des populistes de droite en espérant que cela attire les électeurs ». Les sociaux-démocrates tchèques suivraient ainsi la voie déjà empruntée par d’autres de leurs collègues centre-européens, et notamment par le parti SMER-SD, du premier ministre slovaque Robert Fico, qui ne craint pas d’allier nationalisme et critique des étrangers.

Dans son interview, Lubomír Zaorálek a d’ailleurs également un mot contre Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, avec en jeu à nouveau la question des quotas de répartition de l’accueil des réfugiés, que les pays du groupe de Visegrád ont toujours refusés catégoriquement. On écoute le ministre :

Jean-Claude Juncker,  photo: ČTK
« Il est le représentant le plus important de la Commission européenne et par le passé, des problèmes se sont fait jour entre l’Est et l’Ouest, des problèmes très désagréables. Souvent, on a eu l’impression de voir apparaître des fractures et à cette époque, je n’ai pas vu le président de la Commission faire des voyages en Europe orientale pour identifier sur place quels étaient ces problèmes. A la place, j’ai entendu des déclarations et des propos qui les ont aggravés en donnant l’impression que cet espace oriental était d’une certaine façon étrange et différent. Je pense que ce n’est pas son rôle. Je pense que le rôle du chef de la Commission est d’être celui qui, en situation de crise, recherche des compromis, et non pas celui qui encourage politiquement l’escalade. »

Voilà qui laisse présager de la bonne ambiance qui règnera en fin de semaine dans la capitale italienne où les dirigeants européens se retrouvent à l’occasion du 60e anniversaire du traité de Rome. Jean-Claude Juncker voudrait que ce sommet permette de montrer « l’unité » des Vingt-Sept face au Brexit…