Stanislas Pierret : « En 1989, j’ai compris que Dubček ne serait jamais président »
Deuxième partie de l’entretien avec Stanislas Pierret, actuellement directeur de l’Institut français de Bucarest mais qui nous a raconté comment, au tout début de sa carrière diplomatique, il s’était intégré dans les réseaux dissidents tchécoslovaques. Il continue donc de nous exposer son parcours professionnel, en commençant par les évènements de 1989 à Prague.
J’allais régulièrement au siège du Forum civique, où j’ai revu les copains dissidents qui m’ont demandé de les accompagner en province pour rassurer la population parce qu’à l’époque, il y avait Prague et la province. L’information n’était pas claire du tout. Il y avait même pas mal de désinformation. On est donc allé parler aux ouvriers ; j’ai fait des harangues devant des ouvriers en tchèque ! C’est arrivé plusieurs fois. Je suis partie avec des acteurs, avec des intellectuels, avec des gens de la Charte pour parler aux gens en province et les rassurer sur ce qui se passait à Prague, parce que finalement, la vie était relativement tranquille quand même.
L’ambassadeur avait réuni Yannakakis, Glucksmann et plusieurs intellectuels et la grande question était de savoir qui allait succéder à Miloš Jakeš et compagnie. Les chancelleries à l’époque, en octobre, parlaient du retour de Dubček. J’avais assisté au fameux retour de Dubček sur l’esplanade. C’était assez extraordinaire parce que j’ai compris qu’il ne serait jamais président. »
Pourquoi pensiez-vous que Dubček ne serait jamais président ?
« Parce qu’il avait un discours qui n’était plus en phase. Il parlait de Zlatá Praha, il avait des images complètement obsolètes, qui ne collaient pas au mouvement qui était en train d’émerger. Bien sur, certains intellectuels commençaient déjà à lancer le nom de Václav Havel. On m’avait interrogé et devant Glucksmann, j’ai dit que je pensais que ce ne sera pas Dubček mais Havel. C’était deux mois avant l’élection de Havel. C’était un peu mon heure de gloire parce que j’avais un peu anticipé la situation. Mais il est vrai que Dubček, malgré le fait qu’il était un homme respecté et vénéré, était âgé et n’était plus du tout en phase avec la société de la fin des années 1980. »
Vous avez exercé la fonction de directeur de l’Institut français de Prague et vous êtes maintenant directeur de l’Institut français de Bucarest. Pouvez-vous comparer les expériences que vous avez eues à ce poste ?
« Après la révolution de velours, je séjournais à Prague et j’ai fait un peu le tour du pays et je suis ensuite rentré en France. Le maire de Paris de l’époque, Jacques Chirac, voulait monter une fondation avec son épouse en direction des jeunes des pays libérés du communisme. J’ai été choisi par Mme Chirac pour monter cette association contre l’avis des gens du cabinet qui voulaient nommer à ce poste un vieil ambassadeur. Mme Chirac m’a fait confiance alors que je n’étais pas du tout encarté au RPR et j’ai pu monter cette association ‘Le pont neuf’. Je m’en suis occupé pendant sept ans. On a travaillé avec tous les pays d’Europe centrale, avec la Russie quand le système s’est libéralisé en 1993 et un peu dans les pays des Balkans au moment de la guerre en Bosnie. On a organisé des expositions d’artistes pendant la guerre, grâce à l’armée puisqu’il y avait des avions, des Hercules, qui acheminaient les œuvres des artistes bosniaques à Sarajevo. Après cela, le maire de Paris accède à la magistrature suprême et devient donc président de la République. Je demande à Mme Chirac si elle veut transformer son association en grande fondation. Elle me répond qu’elle n’est pas Danièle Mitterrand et qu’elle ne veut pas créer une fondation type ‘France-liberté’, et on me nomme directeur de l’Institut et conseiller culturel à Prague. Bien sûr, toutes les portes s’ouvrent parce que j’avais énormément de contacts avec tout le monde ; ça a été passionnant parce qu’il y avait énormément de choses à faire dans tous les domaines, culturels mais aussi dans le domaine de la gouvernance. Je rempile à Budapest. Je me mets au hongrois et je passe quatre ans à Budapest dans les mêmes fonctions et je pars ensuite pour la Turquie, où j’occupe encore les mêmes fonctions de directeur de l’Institut et de conseiller culturel, à un moment difficile. Avec le changement de président de la République, les relations se compliquent. Après ma mission en Turquie, je m’occupe de la saison de la Turquie en France, qui n’a pas été une mission très facile, compte tenu du climat politique tendu de l’époque.Puis le ministère décide de m’envoyer en Roumanie. C’est donc un parcours assez cohérent. Je connaissais bien l’Europe centrale, je connais assez bien la Turquie et la Russie. Il me manquait cet Etat d’Europe orientale qui est extrêmement intéressant. C’est un pays très riche, avec des paysages magnifiques. Surtout, c’est un pays très divers. C’est une mosaïque de peuples, avec les Roumains bien sur, une minorité hongroise importante, une minorité russe de Lipovène dans le delta du Danube… »
Et des Tchèques…
« Oui, il y a des Tchèques et des Slovaques dans le Banat. Dans ce pays, je peux parler toutes les langues que j’ai apprises au fur et à mesure. C’est le pays qui manquait pour finir le puzzle. C’est un pays extraordinaire. »