Sur les traces de la révolution de Velours (II) – le Théâtre de la Lanterne magique
A quelques centaines de mètres de l’Avenue nationale à Prague, où les policiers ont tabassé les étudiants lors de la manifestation du 17 novembre 1989, se trouve le Palais Adria. Les locaux de ce beau palais Art Nouveau, où se trouvait alors le Théâtre de la Lanterne magique, est devenu un haut lieu de la mobilisation anticommuniste. C’est ici qu’a été installé le quartier général du Forum civique, un mouvement que les dissidents venaient de créer, qui servait aussi de centre de presse pour les journalistes du monde entier. C’est précisément dans les anciens locaux du Théâtre de la Lanterne magique que nous vous emmenons pour la suite de notre série spéciale sur les lieux emblématiques de la révolution de Velours.
« Je tiens à remercier la Lanterne magique d’avoir accueilli le centre de coordination du Forum civique. Le théâtre nous a offert un refuge, son personnel a investi tout son temps et mobilisé toute son énergie pour nous aider. »
Ces propos ont été prononcés, en public, par le futur président du pays, Václav Havel, à l’issue des deux premières semaines de la révolution tchécoslovaque, une période cruciale marquée par les négociations entre les dirigeants communistes et les leaders de la révolution. Reporter à l’époque du magazine Mladý svět (Le Jeune monde), Michal Horáček faisait partie de l’équipe qui a mis en place ces négociations. Radio Prague International l’a rencontré au Palais Adria :« C’est ici que se sont déroulés les événements majeurs du début de la révolution. Dans ces locaux, nous avons tout préparé pour que le dialogue entre le Premier ministre Ladislav Adamec et Václav Havel puisse avoir lieu. C’est ici que nous avons préparé les voyages d’étudiants dans les régions pour expliquer à leurs concitoyens ce qui se passait à Prague, en quoi consistait cette révolution et quels étaient nos objectifs. »
Le centre névralgique de la révolution a donc été installé dans un théâtre. Rien de plus naturel, car les gens de culture ont été les premiers à rejoindre les étudiants dans leur mouvement de protestation : au lendemain de la répression de la manifestation du 17 novembre, les théâtres pragois, puis également régionaux, se sont mis en grève et leurs salles de spectacle se sont transformées en lieux de débat.Le Théâtre de la Lanterne magique, quant à lui, est devenu un centre de presse international. Lui-même journaliste de profession, Michal Horáček se souvient :
« Des reporters célèbres du monde entier défilaient devant nos yeux, avec des équipements que nous n’avions jamais vus auparavant : je me souviens de Tom Brokaw et de Dan Rather, c’étaient les stars des réseaux américains CBS et NBC, ou encore de la jeune Christiane Amanpour (journaliste de la CNN, ndlr). »
Surtout, le Forum civique, formé autour de Václav Havel, affine dans ce centre sa stratégie au jour le jour.
« L’ambiance était absolument folle et entraînante, nous travaillions vingt-quatre heures sur vingt-quatre, équipés d’un ou deux téléphones, il n’y en avait pas plus dans le bâtiment. Je me souviens d’un monsieur Urban et de ses quelques collaborateurs, qui s’occupaient de toute la logistique. Par exemple, des gens venus d’Ostrava (ville industrielle en Moravie-Silésie) se sont présentés à l’accueil et nous ont demandé de venir chez eux pour leur expliquer la situation, par ce qu’à Ostrava on ne savait pas très bien ce qui se passait à Prague. Ou alors Petr Miller (futur ministre du Travail et des Affaires sociales, ndlr) nous a contactés en nous disant que les ouvriers de son usine ČKD voulaient nous rejoindre et participer aux manifestations. Nous devions donc coordonner tout cela. Parfois, c’était épuisant, j’ai perdu environ onze kilos en quinze jours. »
Rien n’était joué d’avance pendant ces premiers jours de révolution, certes teintés d’enthousiasme, mais aussi d’incertitude et de peur.« Des informations alarmantes nous étaient communiquées à tout moment de la journée, elles disaient par exemple que l’armée allaient intervenir et que les chars blindés s’approchaient de Prague… C’était une fausse alerte, mais cela aurait très bien pu se passer. Ce que nous redoutions aussi, c’étaient les rassemblements spontanés et incontrôlables. Un jour, nous avons dû arrêter plusieurs milliers de personnes qui se dirigeaient vers le quartier de Vokovice, où se trouvait le siège d’un organe communiste. Si cette manifestation avait mal tourné, s’il y avait eu des violences, cela aurait pu être un prétexte pour l’ancien régime, qui aurait pu de dire : voilà, ce sont des vandales ou des terroristes qui font la révolution. Ici, à la Lanterne magique, nous devions gérer toutes sortes de situations…. »
Les locaux du Théâtre de la Lanterne magique ont donc été au cœur des événements pendant les quinze premiers quinze jours de la révolution de Velours. Michal Horáček :
« Pour résumer, c’était une période-clé. Précisément le treizième jour de la révolution, l’Assemblée nationale a annulé l’article de la Constitution qui garantissait le rôle dirigeant du Parti communiste. Pour moi, cela a marqué la fin de la révolution. La voie était alors ouverte aux élections libres… Désormais, nous sommes nous-mêmes responsables de nos propres erreurs. »