Staša Fleischmannová: souvenirs d’un temps que les moins de 90 ans ne peuvent pas connaître
C’est le type de rencontres qui peuvent rendre rapidement nostalgique de cette Prague d’antan. Pas besoin d’être Pragois ni même Tchèque en présence de Staša Fleischmannová pour avoir l’impression de se rapprocher de la plus faste période de l’histoire récente de cette ville, de Paris aussi et d’un milieu intellectuel prolifique.
Staša Fleischmannová est née en 1919, quelques mois seulement après la création de la Tchécoslovaquie et sa jeunesse va être marquée par toutes les grandes figures intellectuelles de cette époque. Milena Jesenská, la meilleure amie de sa mère, se faisait envoyer les désormais célèbres lettres de Kafka à son adresse pour ne pas susciter la jalousie de son mari. Dans son livre, l’auteure raconte notamment que Milena Jesenská l’emmenait au théâtre de Voskovec et Werich et au cinéma.
Staša Fleischmannová: « J’ai très bien connu Milena, j’ai même écrit un article sur elle dans Le Monde. J’ai beaucoup de souvenirs avec elle. Je raconte notamment une anecdote quand nous avions douze ans ma sœur et moi. J’ai demandé à Milena, qui était contre la guerre, pourquoi elle soutenait l’Union soviétique alors que Moscou préparait la guerre. Elle m’a répondu ‘Mais tu es bête ou quoi ? Regarde la carte et tu verras bien qu’il faut se préparer à une attaque’. »Riches en souvenirs et en petites histoires mêlées à la grande Histoire, ce livre est remarquable aussi par la qualité des photos publiées, prises par l’auteur elle-même après s’être passionnée avec sa sœur jumelle pour la photographie.
Le premier client de leur labo photo, en 1938, a été Karel Čapek. Le cliché est poignant. Il est mort peu de temps après ce portrait, dévasté par le sort réservé à son pays…Staša Fleischmannová: « Nous avions un atelier dans un bâtiment du centre de Prague où notre père avait aussi son bureau. Il a reçu la visite de Čapek et ils sont venus nous voir dans ce laboratoire qui n’était pas encore tout à fait prêt. Mon père a dit qu’il nous amenait notre premier client. Il faut dire qu’il était très triste, cela se voit sur la photo, parce que c’était juste après la signature des Accords de Munich. C’était dans sa tête… C’était en automne, six mois avant sa mort. »
Le premier mari de Staša Fleischmannová et le père du premier de ses trois fils, Bedřich Stern, a été déporté par les nazis en camp de concentration, où il est mort.
Remariée à l’homme de lettres et diplomate Ivo Fleischmann, elle a partagé sa vie d’adulte entre Prague et Paris. D’abord en poste officiel à Paris, Ivo Fleischmann a fait défection en 1968 et a décidé de rester avec sa famille dans la capitale française, où il connaissait beaucoup de monde du milieu culturel.On croise d’ailleurs dans ce livre André Breton, Louis Aragon, Elsa Triolet, Yves Montand, Simone Signoret et bien d’autres, souvent pris en photo par Staša Fleischmannová.
Une de ses photos préférées reste ce portrait de Boris Pasternak réalisé chez lui lors d’une visite près de Moscou en 1956. C’est ce cliché que l’auteur du Docteur Jivago fera circuler en priorité après avoir reçu le prix Nobel de littérature deux ans plus tard.