La guillotine de Prague : plus de 1000 résistants tués par le couperet que les nazis ont tenté en vain de couler dans la Vltava

Les nazis condamnaient les membres de la résistance à la guillotine, mais comme il n’y en avait aucune dans tout le Protectorat de Bohême et Moravie, la Wehrmacht en a transporté une d’Allemagne.

Il y a bientôt 80 ans exactement, le 26 avril 1945, les nazis utilisaient pour la dernière fois  à Prague leur guillotine pour trancher la tête d'un condamné à mort par le Sondergericht.

La prison de Pankrác pendant le Protectorat | Photo: Kabinet dokumentace a historie VS ČR

Le « Tribunal spécial » à Prague pendant l’occupation nazie condamnait les membres de la résistance à mourir guillotinés. En seulement deux ans, les nazis ont ainsi exécuté plus de mille prisonniers politiques dans un lieu conservé à l’identique. Cet espace sinistre de la prison de Pankrác à Prague est resté exactement tel que les nazis l’ont laissé, malgré leur tentative de détruire la guillotine lors de leur fuite.

Salle obscure aux murs carrelés avec fenêtres occultées, la guillotine est là avec sa grande lame suspendue en hauteur et l’ouverture pour y fixer le cou du condamné... avec le panier métallique préparé pour recueillir la tête après ce coup fatal sec et instantané. Le sol est incliné vers ce qui est destiné à recueillir le sang de la victime.

La salle d'exécution à la prison de Pankrác | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Fait méconnu encore aujourd’hui : à Prague, c’est à la guillotine que les nazis exécutaient les membres de la résistance. Aleš Kýr, dirige le département de documentation et d’histoire des services pénitentiaires tchèques :

Aleš Kýr  | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Lorsque je me trouve dans ce lieu, avant tout, j’admire le courage de ces personnes qui, malgré la menace de la peine de mort, se sont opposées au nazisme, que ce soit individuellement ou dans le cadre d’un groupe de résistance. Elles n’ont pas eu peur de la mort, même si c’était une mort terrible. La peur de cette vengeance des nazis a certainement découragé beaucoup de gens, mais celles qui sont mortes ici étaient des personnes courageuses qui ont surmonté cette peur. »

La guillotine de Prague : l'une des 22 en service sous le Troisième Reich

La guillotine reste dans le monde entier très associée à la Révolution française. Ce qui est moins connu, c’est qu’elle s’est étendue à d’autres pays. Parmi eux, il n’y eut jamais la Tchécoslovaquie ni même la Bohême pendant l’Empire austro-hongrois. En revanche la guillotine a été utilisée en Allemagne et pendant la période le Reich, des guillotines ont été transportés par les nazis vers leurs territoires occupés.

Aleš Kýr : « L’exécution par la guillotine était une méthode bien ancrée en Allemagne, qui l’utilisait déjà sur son territoire avant la Seconde Guerre mondiale. Sous le Troisième Reich, il y avait 22 guillotines en fonction : 17 directement sur le territoire du Reich et le reste dans les pays occupés, que ce soit en Pologne, en Autriche ou dans le Protectorat de Bohême et Moravie. »

Les nazis étaient tellement attachés à la guillotine que, pour l’un de leurs tribunaux, il n’existait aucune autre peine de mort possible. Comme il n’y avait pas de guillotine dans le Protectorat au début de l’occupation, ils transportaient les condamnés jusqu’au Reich pour appliquer la peine, explique l’historien.

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Aleš Kýr : « Le Tribunal spécial allemand, le Sondergericht, jugeait les cas, tant individuels que collectifs, des actes des membres de la résistance contre les Allemands ou les nazis et prononçait des sentences de mort uniquement par guillotine, sans envisager d’autre peine de mort. C’est pourquoi, au début, après l’occupation de la Bohême et de la Moravie, les condamnés étaient emmenés à Dresde pour y subir la peine capitale. Là-bas, environ 500 personnes ont été exécutées. En 1943, une guillotine fut installée ici à Prague, ce qui rendait l’opération moins coûteuse, car il n’y avait plus besoin d’escorte pour les prisonniers et tout le processus était accéléré. »

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Le 5 avril 1943, la guillotine que les nazis avaient apportée d’Allemagne à Prague commença à fonctionner. Le Musée de la prison de Pankrác conserve non seulement la salle d’exécutions telle qu’elle était à l’époque, mais aussi d’autres espaces adjacents, tout aussi horribles.

La première est une salle également sombre, entourée de lourds rideaux noirs opaques, avec une estrade peu élevée et une austère table d’un côté, préparée pour servir de tribunal. Cependant, ce processus commençait quelques heures plus tôt, dès le matin même, raconte Aleš Kýr :

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Très tôt le matin, ils procédaient à la vérification de l’identité du condamné. Ensuite, il était conduit dans une pièce spéciale, la salle des adieux, où il pouvait passer quelques minutes seul, dans l’obscurité, avant d’être emmené dans la salle d’exécution. Là, il attendait la sentence, attaché et la tête placée dans l’ouverture de la guillotine. L’exécution elle-même ne prenait que quelques secondes. »

Le sinistre appareil a continué à être utilisé jusqu’à la fin de la guerre. Lors de la retraite allemande, les nazis tentèrent de détruire la guillotine pour qu’elle ne devienne pas une preuve de leurs crimes, mais ils n’ont pas réussi à effacer toute trace.

« Au nom du Führer et du protecteur du Reich, vous êtes informé que votre demande de clémence a été rejetée et que la sentence sera exécutée après 15 heures aujourd'hui », était la déclaration officielle lue au condamné à mort.

« Après les avoir informés, on les menottait et on les conduisait dans l’une des cellules situées juste en face de l’entrée de la salle d’actes. De ces cellules, ils étaient extraits pour être exécutés après 15 heures. Seuls des gardes allemands les accompagnaient, il n’y avait aucun garde tchèque. Dans la salle d’actes, le procureur nazi vérifiait leur identité en présence du directeur de la prison, d’un fonctionnaire du Parti nazi pour assurer une supervision politique, d’un adjoint responsable, et du médecin de la prison, qui signait les certificats de décès. »

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Après cette rapide vérification, le prisonnier, menotté les mains dans le dos, était remis aux quatre assistants du bourreau, qui le faisaient pivoter pour l’emmener. À ce moment-là, le rideau s’ouvrait et le condamné voyait, à seulement quelques mètres, la guillotine qui allait mettre fin à ses jours quelques instants plus tard. Les quatre assistants le transportaient sans délai et le couchaient face contre terre, les yeux bandés.

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Tout se passait très rapidement. Le bourreau, Alois Weiss, était un professionnel de Munich. Il avait un assistant allemand et, malheureusement, trois aides tchèques qui ont ainsi collaboré avec le nazisme. Deux d’entre eux furent arrêtés après la guerre, condamnés par un Tribunal Populaire Extraordinaire et exécutés ici à Pankrác. »

Le bruit du couperet qui tombait terrifiait de nombreux prisonniers depuis leurs cellules. Ensuite, avec le corps d’un côté et la tête de l’autre, les restes étaient transportés dans la troisième salle, où s’entassaient de modestes cercueils en bois. Tout le processus durait entre une et deux minutes. La lame de la guillotine était nettoyée d’un coup de jet d’eau avant de se remettre en place pour le suivant. En une journée normale, cinq ou six personnes pouvaient être exécutées. Cependant, le 4 août 1944, le bourreau Weiss inscrivit dans le registre des exécutions 29 entrées, toutes comme toujours accompagnées de l’heure exacte et de l’identité du défunt.

Noms des personnes exécutées | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Dans la salle adjacente des cercueils, les corps étaient laissés un moment sur le sol pour que le sang s’écoule. L’une des visions les plus macabres de la visite est celle des petits canaux taillés dans la pierre du sol, convergeant vers le drain.

L’héroïsme discret de František Suchý et de son fils

L’ancien directeur du crématorium de Strašnice, František Suchý, se souvenait qu’ils savaient quand le camion arrivait de la guillotine de Pankrác, car le sang continuait de couler des cercueils fermés.

František Suchý est aujourd’hui très connu pour avoir réussi à conserver les cendres de tous ces combattants antifascistes, qui arrivaient sans tête et sans identification. Alors que les ordres de ses superviseurs de la Gestapo étaient de faire disparaître les cendres afin que jamais on ne sache ce qu’il était advenu d’eux, et au péril de sa vie, avec son fils, lui aussi prénommé František Suchý, ils les ont sauvegardées à un endroit précis, pensant justement que les familles voudraient savoir ce qu’étaient devenus leurs proches et où reposaient leurs restes.

Grâce à eux, aujourd’hui, on peut visiter dans un lieu spécial du cimetière de Strašnice un monument à la mémoire de ceux qui ont donné leur vie en combattant la barbarie nazie, sous lequel reposent toutes ces cendres, ainsi que les urnes individuelles d’autres défunts tombés dans le camp de concentration de Hradištko, à quelques kilomètres de Prague, après avoir été fusillés. En tout, plus de deux mille membres de la résistance contre les nazis reposent en ce lieu de mémoire grâce à l’héroïsme de František Suchý et de son fils.

En tout, 1075 personnes ont été décapitées par la guillotine de Pankrác, dont 155 femmes. Mais toutes n’étaient pas des membres typiques de la résistance que l’on imagine, arme à la main ou préparant des sabotages, explique Aleš Kýr :

« D'un côté, il y avait les opposants au nazisme, définissant ainsi les prisonniers politiques. Mais d'un autre côté, il y avait aussi des condamnations pour d'autres délits considérés comme économiques, liés à la production et à la distribution de nourriture. Pendant la guerre, la faim régnait, et des vivres étaient introduits clandestinement depuis l’extérieur de la ville. Les punitions pour cela étaient très sévères, et lorsque de grandes quantités de nourriture étaient impliquées, les coupables finissaient sous la guillotine. Bien sûr, il ne s’agissait pas de crimes strictement politiques, mais il y avait la faim, et ces aliments nourrissaient aussi les familles des opposants au nazisme arrêtés. C’est pourquoi nous les considérons aussi comme des victimes. »

Les criminels condamnés pour d'autres délits ne sont pas considérés comme des victimes du nazisme, même s'ils ont également fini dans la même salle d'exécution, probablement sur la potence, explique le A. Kýr :

« Bien sûr, ici aussi, des criminels ont été exécutés pour des actes de violence sans motivation politique. Ceux-ci ne figurent pas sur notre liste des victimes, mais nous les avons bien documentés. De la même manière, parmi les victimes, nous savons pourquoi chacune a été condamnée et exécutée, que ce soit pour avoir caché des armes, écouté une radio étrangère, caché des personnes d’origine juive ou recherchées par la Gestapo, ou pour ces délits économiques que nous avons mentionnés. »

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

Quand les nazis tentaient de faire disparaître la guillotine sous le Pont Charles

Il est clair qu’il existait d'autres formes d'exécution que la guillotine pour la justice nazie dans le Protectorat, précise le responsable des archives et historien des Services pénitentiaires tchèques.

La reproduction de la peinture de Miloš Slovák de l'exécution  (le 8 juillet 1943) de quatre gendarmes tchèques František Rajmon,  František Famfulík,  Josef Bojas et Jan Jirásek qui ont coopéré avec la résistance | Photo: Archives du chercheur Jaroslav Čvančara/Wikimedia Commons,  public domain

« Pendant le Protectorat de Bohême et Moravie, les exécutions étaient menées de trois manières. Pendant la période de loi martiale, à la fin de 1941, lorsque Reinhard Heydrich est arrivé pour gouverner le Protectorat, et ensuite en 1942, après l'attentat réussi contre Heydrich, dans le cadre des persécutions déclenchées par le secrétaire d'État nazi Karl Hermann Frank, les exécutions se faisaient par fusillade. La sentence était prononcée par le Conseil de guerre allemand, le Standgericht, et elle était exécutée dans la caserne de Ruzyně ou sur le champ de tir de Kobylisy. »

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

La troisième forme d’exécution était la pendaison. Dans la salle des exécutions de la guillotine à Pankrác, cette méthode était aussi pratiquée, bien qu’il n’existe pas de documentation aussi détaillée. En fait, on ne sait même pas combien de personnes ont subi ce sort. On sait qu’à la fin de la guerre, avec l’avancée des troupes alliées, des convois de Juifs ont été détournés vers Prague pour que la potence de Pankrác devienne un nouvel instrument de la « solution finale » nazie, alors que les Allemands savaient qu’ils perdaient la guerre et que le temps leur était compté.

Les Allemands ont également commencé à anticiper l’avenir en tant que vaincus et criminels de guerre, initiant ainsi la destruction des preuves. L’une d’entre elles était la guillotine de Pankrác elle-même, peu après la dernière exécution le 26 avril 1945.

« En avril 1945, les nazis ont commencé à effacer leurs traces, c’est-à-dire qu’ils ont liquidé des documents. Il est très probable qu’ils aient brûlé les archives dans la chaufferie de la prison de Pankrác. Ensuite, bien sûr, ils ont également retiré la guillotine de la salle. Cela s’est produit dans la nuit du 29 au 30 avril 1945 : ils l’ont démontée et l’ont transportée jusqu’au Pont Charles, où ils l’ont jetée dans la rivière, quelque part près du quatrième pilier. Tant les petites que les grandes pièces ont sombré au fond de la Vltava. Personne ne savait cela, mais après le succès du soulèvement de Prague, lorsque les gardes allemands de Pankrác furent arrêtés, l’un d’eux a révélé l’endroit. Une fouille a été organisée, et un plongeur, avec des policiers et des pompiers, a repêché les pièces, qui ont été transportées à Pankrác, où la guillotine a été remontée. »

gilotina z r. 1943

La guillotine de Prague a été remontée, non plus pour servir d’instrument de mort, mais pour devenir un symbole de mémoire et d’avertissement contre les horreurs du nazisme, explique l’historien Aleš Kýr :

Aleš Kýr dans le Mémorial à la prison de Pankrác | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Elle a été remontée pour que ce lieu de mémoire et d’hommage soit complété par l’instrument d’exécution, afin de rapprocher d’une certaine manière l’atrocité du nazisme du public. Ce mémorial, la partie historique, a été créé à des fins éducatives sur le domaine de la justice et des prisons. Je donne ici des conférences pour les travailleurs de la justice et des services pénitentiaires, et bien sûr, cette ancienne salle des exécutions avec la guillotine en fait partie. Cependant elle ne peut pas être ouverte au public comme un musée normal, car cet espace historique ne se trouve pas dans un musée classique, mais dans une prison en fonctionnement, ce qui rend une ouverture quotidienne techniquement impossible. Le directeur de la prison autorise cependant au moins deux fois par an la visite de ce lieu de mémoire. Et s’il s’agit d’étudiants, par exemple, l’accès leur est facilité tout au long de l’année. Je donne souvent des conférences ici à des étudiants en pédagogie, psychologie, droit et histoire, ceux dont la formation a un lien avec ce lieu. »

František Suchý père et fils, de leur propre initiative et surtout au péril de leur vie, ont également pensé avant tout le monde à la nécessité de préserver la mémoire et de rendre hommage aux victimes du nazisme. Leur activité, aussi téméraire qu’humanitaire, de conserver les cendres de milliers de victimes pour qu’elles ne sombrent pas dans l’oubli, fait l’objet du documentaire « Popel » (« cendre » en tchèque), qui sera projeté à Prague le 15 avril prochain. Cette coproduction de la chaîne basque ETB, de la Télévision espagnole (TVE), de la Télévision tchèque (ČT) et de la chaîne franco-allemande Arte, réalisée par Oier Plaza, raconte également l’histoire de sept combattants antifascistes espagnols fusillés au camp de concentration de Hradištko en avril 1945, et comment leurs familles ont mis près de 80 ans à connaître leur sort. Leurs dépouilles reposent depuis tout ce temps dans un lieu de mémoire à Prague, grâce au courage du directeur du crématorium de Strašnice et de son fils.

Popel (2025) HD trailer

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