Štefánik, l'itinéraire fabuleux d’un héros national slovaque
Dans une enquête sur la personnalité slovaque la plus importante organisée en 2019, la première place a été occupée par Milan Rastislav Štefánik (1880-1919). Ce héros national slovaque a été cependant aussi cofondateur de la Tchécoslovaquie indépendante, un astronome renommé et général de l'armée française. Un roman graphique paru récemment retrace la vie tumultueuse de cet homme hors du commun et dévoile les traits humains sous le masque rigide d'une célébrité historique.
Modèle d'une statue monumentale
Gabriela Kyselová et Michal Baláž, les auteurs du scénario de la BD, et le dessinateur Vaclav Šlajch ont conçu leur livre intitulé tout simplement Štefánik comme une recherche, comme une tentative difficile de découvrir et de comprendre le caractère complexe du personnage principal. Ils racontent donc simultanément non seulement la vie de ce grand Slovaque, mais aussi celle du sculpteur tchèque Bohumil Kafka, auteur de la statue monumentale de Štefánik érigée en 1938 à Bratislava. En préparant ce projet grandiose, le sculpteur s'est lancé dans la recherche des documents sur la vie et l'œuvre de son modèle et cela permet au lecteur de découvrir progressivement avec Bohumil Kafka les péripéties de la vie de l'homme devenu héros du peuple slovaque. Gabriela Kyselová évoque les particularités de l'homme fascinant qu'était Milan Rastislav Štefánik :
« Que ce soit dans les arts, que ce soit dans l’astronomie, dans la politique ou dans la diplomatie, l’ampleur de ses centres d’intérêt et de ses facultés était extraordinaire. Mais d’un autre côté, tout cela était contrebalancé par des traits de caractère qui pour beaucoup de gens n’étaient probablement pas très agréables. »
Fils de la Slovaquie profonde
Milan Rastislav Štefánik est un des neuf enfants nés dans la famille d'un pasteur protestant slovaque. Sa petite enfance se déroule dans le petit village de Košariská. Il vit dans des conditions extrêmement modestes comme la majorité de la population rurale de la région, mais il ne manque pas de livres slovaques par lesquels son père patriote cherche à instruire sa progéniture.
Bientôt le garçon commence à manifester une intelligence brillante et originale. Il étudie d'abord à Pressburg (aujourd'hui Bratislava), puis à Sopron en Hongrie et finalement à Prague où il entre dans les milieux patriotiques tchèques. Il fait la connaissance de Tomáš Garrigue Masaryk qu'il considérera désormais comme son père spirituel. C'est avec les professeurs Masaryk et Beneš qu'il formera finalement le trio des fondateurs de la République tchécoslovaque qui naîtra à l'issue de la Première Guerre mondiale sur les décombres de l’empire austro-hongrois. L'historien Michal Kšiňan de l'Académie slovaque des Sciences constate :
« Evidemment c’était une personnalité d’une grande importance. C’était l’un des leaders de la résistance tchécoslovaques contre l’empire d’Autriche-Hongrie. Dans le cadre de ses activités de résistance, il a surtout cherché à organiser les légions tchécoslovaques, il a déployé de grands efforts pour recruter des volontaires pour ces unités de la nouvelle armée tchécoslovaque à l’étranger. Et sur le plan diplomatique il a œuvré pour l’acceptation des revendications tchécoslovaques. »
Astronome, météorologue, diplomate et militaire
La diplomatie est pourtant loin d'être la seule activité de cet homme aux multiples facettes. Avant de devenir une personnalité politique de premier plan, il s'adonne notamment à sa passion qu’est l'astronomie. Il collabore avec le célèbre astronome Jules Janssen, il travaille avec lui à l'observatoire de Meudon, il signe toute une série de travaux prisés sur l'astronomie et se lance aussi dans l'étude de la météorologie. C'est un grand voyageur qui poursuit ses études dans plusieurs pays africains, au Brésil, et à Tahiti. Naturalisé français, il obtient du gouvernement de l'Equateur l'autorisation de construire dans ce pays et aux îles Galapagos un réseau de stations météorologiques françaises. Le début de la Première Guerre mondiale marque le début d'une nouvelle étape de sa carrière et lui apporte des épreuves difficiles mais aussi de nouveaux succès. Malgré sa santé fragile, il s'engage dans l'armée française, devient pilote de guerre et finit par se couvrir de gloire militaire. Jiří Rajlich de l'Institut d'histoire militaire de Prague retrace cette partie de sa carrière :
« Štefánik était un pilote actif, il dirigeait les opérations d’artillerie et apportait des informations importantes de ses vols de reconnaissance. Il était entre autres aussi astronome et météorologue. Il a créé dans sa section le service météorologique militaire. Pour ses vols de reconnaissance et pour l’organisation du service météorologique militaire, il a été décoré, en août 1915, de la Croix de guerre française. »
Une brillante carrière parsemée d'obstacles
Promu général de brigade, Štefánik poursuit aussi infatigablement ses efforts en vue de l'indépendance tchécoslovaque. Les auteurs du roman graphique sur sa vie n'oublient pas que cette brillante carrière a été parsemée d'obstacles. Štefánik est un homme de tempérament, un homme malade qui est parfois sujet à de violents accès de colère ce qui se reflète entre autres aussi dans sa collaboration avec Masaryk et surtout avec Beneš. Gabriela Kyselová explique les rapports compliqués dans ce trio des fondateurs d'un nouvel Etat :
« Beneš était son plus grand rival dans ses efforts de se faire apprécier par Masaryk. Štefánik adorait Masaryk et il l’a beaucoup aidé sur le plan diplomatique, il lui a permis de nouer des contacts diplomatiques en France. Néanmoins, Štefánik était comme un projectile à la trajectoire imprévisible, et cela pouvait gêner son entourage. Beneš, lui, était un secrétaire, un bureaucrate, et il était repoussé au second plan par le tempérament explosif et charismatique de Štefánik. »
Le chapitre russe
Une importante partie du livre est consacrée à la dernière grande mission du général Štefánik en Russie où il vient en 1918 pour organiser les opérations des Légions tchécoslovaques, ces unités de volontaires tchèques et slovaques qui combattaient du côté des puissances de la Triple-Entente pendant la Première Guerre mondiale. Cette mission se solde par un échec relatif parce que Štefánik n'arrive pas à remonter le moral de ces soldats lassés par de longues années de la guerre. Gabriela Kyselová remarque que cet échec était probablement dû aussi à l'état de santé du général nommé entre temps ministre de la Guerre du nouvel Etat tchécoslovaque :
« Pendant presque toute sa vie Štefánik a souffert d’une maladie d’estomac et cela a probablement eu une incidence, vers la fin de sa vie, sur ses capacités de décision. A cette époque, il était comme aveuglé par l’objectif qu’il s’était fixé et qu’il voulait réaliser à tout prix. Et il ne prenait pas en considération le fait que les soldats étaient déjà fatigués et qu’ils ne voulaient plus combattre. »
Un accident historique
Milan Rastislav Štefánik meurt en 1919 dans un accident d'avion lorsqu'il rentre finalement en Tchécoslovaquie pour exercer ses pouvoirs ministériels. Sa mort tragique dont certains aspects ne sont pas élucidés jusqu'à aujourd'hui, engendre d'innombrables spéculations. On estime que l'accident était dû à une panne technique ou à une défaillance du pilote, mais il y a aussi des personnes qui estiment qu'il s'agissait d'un attentat. Les auteurs de la BD n'ont pas la prétention d'élucider le mystère de cet accident historique dans leur livre.
Ils voulaient montrer un personnage des manuels d'histoire non seulement comme un grand astronome, un grand militaire et un grand diplomate mais aussi comme un homme vivant, un homme qui ne manquait pas de charme, qui aimait les femmes et était aimé par elles, qui était souvent difficile à supporter pour son entourage, qui n'arrivait pas à dominer ses accès de colère et qui avait ses lubies et ses petites manies. Štefánik n'est pas pour eux qu'un héros national mais aussi un grand Européen, un homme qui, au début du XXe siècle, a contribué à redessiner la carte européenne et dont l'importance ne peut pas être réduite au niveau national slovaque. Michal Baláž souligne :
« Aujourd’hui nous sommes témoins d’une vague de nationalisme malsain qu’il faut critiquer. En apportant une nouvelle lumière dans les biographies des personnalités historiques importantes, nous pouvons peut-être contribuer à mettre à l’évidence que le nationalisme n’est pas une bonne attitude pour la vie. »
Le roman graphique Štefánik est sorti en 2021 aux éditions Labyrint.