Stéphane Delorme : « Il y a peut-être une lassitude de la part des festivals internationaux pour le cinéma tchèque »

Stéphane Delorme, photo: Philippe Boudoux

Si le cinéma tchèque rencontre un large public dans les salles de cinéma du pays, il éprouve en revanche de grandes difficultés à être représenté dans les plus grands festivals du monde entier. A l’exemple du plus grand d’entre eux : le Festival de Cannes. Plus aucun film tchèque n’a été retenu à Cannes en compétition depuis 1993 et la publication, vendredi dernier, de la sélection officielle de l’édition 2008, ne fait que prolonger cette longue absence. Stéphane Delorme, membre du comité de sélection de la Quinzaine des réalisateurs était pourtant de passage à Prague il y a quelques jours pour visionner une demi-douzaine de films susceptibles d’être retenus.

« La Quinzaine des réalisateurs est une sélection du festival de Cannes qui a été crée en 1968, et on fête cette année d’ailleurs ses 40 ans. C’est une sélection parallèle à la sélection officielle ou il y a la compétition et aussi une section qui s’appelle Un certain regard. La Quinzaine a été fondée une peu contre cette sélection officielle pour montrer des films plus nouveaux, de jeunes cinéastes plus indépendants et sans compétition. Il n’y a aucun prix remis à la Quinzaine. Il y a seulement à peu près 20-25 films de longs métrages présentés et une dizaine de courts métrages, mais sans prix. »

Néanmoins les films de la Quinzaine peuvent remporté la Caméra d’or, ça c’est souvent vu, c'est-à-dire le meilleur premier film, toutes sections confondues. La Quinzaine a d’ailleurs révélé des réalisateurs tels que Fassbinder, George Lucas, Scorsese, Jarmusch, Haneke, Spike Lee ou encore plus récemment Sofia Coppola ou les frères Dardenne. Par rapport à ses origines de 1968 et la première sélection de juin 69, où le mot d’ordre était « défendre les libertés artistiques, morales, professionnelles et économiques de la création cinématographique », qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

« Ça a beaucoup évolué évidemment et en même temps les choses sont un peu restées les mêmes. On est la Quinzaine des réalisateurs, c’est très important de comprendre qu’on défend des auteurs, des réalisateurs, qui font un cinéma indépendant et libre. On ne va défendre tel ou tel producteur ou représenter tel ou tel pays. On n’a pas d’obligations officielles sur ce plan. On ne va pas se dire « on n’a pas de films chinois cette année, il faut absolument en trouver un, même s’il n’est pas extraordinaire ». On peut très bien avoir deux films d’un même pays s’ils sont bons. On va privilégier les réalisateurs et c’est cette signature là qui nous importe, c’est ce qui fait la spécificité de la Quinzaine, plutôt que des considérations économiques ou politiques. »

L’originalité et parfois le sensationnel et même le scandale que recherche la Quinzaine, aujourd’hui, vous la trouvez principalement où géographiquement ?

« C’est une question vraiment compliquée parce que quand on a commencé nous, il y a 5 ans, on pariait beaucoup sur l’Asie et finalement on se rend compte après plusieurs années qu’il y a, certes, des réalisateurs importants en Asie mais qu’il n’y a pas de mouvement d’ensemble. On ne peut pas dire aujourd’hui que le cinéma japonais soit aussi bon qu’il y a quelques années où même le cinéma coréen où il y a une ou deux individualités qui ressortent mais où il n’y a pas non plus de mouvements d’ensemble. On essaie toujours de privilégier les réalisateurs, c’est une question de principe mais c’est aussi une question pragmatique. On s’est rendu compte qu’on ne pouvait raisonner que par réalisateur parce que par pays c’est difficile. Cela dit, quelques pays ont émergé ces dernières années. L’événement le plus éclatant, c’était la Roumanie. On avait vu il y a 4 ans, La mort de monsieur Lazarescu, qui avait été sélectionné à Cannes dans une autre section. Quand on a découvert ce film, on s’est dit qu’il était en train de se passer quelque chose en Roumanie. Puis, petit à petit, il y a eu chaque année deux ou trois films roumains très intéressants jusqu’à la Palme d’Or l’année dernière. Dans le cas de la Roumanie, on a vraiment vu émerger une cinématographie « en direct ». Evidemment, le cinéma roumain existait déjà avant, mais il y a eu une tête de file, Cristi Puiu, et ensuite ses disciples sont arrivés et font un cinéma assez remarquable. »

'Faust'
Côté tchèque, le dernier film sélectionné en compétition officielle à Cannes était Faust de Švankmajer, en 1993, il y a 15 ans. Dans la Quinzaine, c’était un film de Jiří Menzel, en 1979, il y a 30 ans. Comment expliquer cette absence durable ?

« Oui, je m’étonne moi-même ! 1979 pour le dernier film tchèque à la Quinzaine, ça fait quand même très loin. Notre équipe, depuis cinq ans, n’a pas trouvé de films tchèques intéressants. C’est vrai qu’on a pas forcément remarqué de nouveaux cinéastes même s’il y a deux ans on a vu Something like happiness (Štěstí) de Bohdan Sláma, qui n’était pas à Cannes, mais qui est un très bon film, sorti sur les écrans français et qui a eu un vrai succès critique et un petit succès public. Ce film nous a mis la puce à l’oreille et on s’est dit qu’il serait bien d’aller voir à Prague ce qui se passe et c’est pour ça que je suis là cette année et que je vois de nouveaux longs métrages produits cette année, en espérant trouver quelques chose… On va poursuivre ce travail dans les années à venir. »

Revenons sur les 30 ans d’absence du cinéma tchèque à la Quinzaine, comment expliquer cela ?

« Simplement peut-être qu’il y a une lassitude de la part des festivals internationaux par rapport au cinéma tchèque qui a été assez fort dans les années 60-70 et qui a eu du mal à se renouveler dans les années 80-90. Du moins c’est ce que nous, on a pu croire. Aujourd’hui, j’ai visité un magasin de DVD à Prague et j’ai vu une collection de films classiques dont je ne connaissais pas la plupart des titres. C’est quand même très inquiétant. Ça veut dire que ces films n’ont pas été exportés. Certains ont peut être été montrés dans des festivals internationaux, mais en tout cas, ils ne sont pas restés dans les cinémathèques françaises ou européennes. Ce sont des films qu’on ne connaît pas. »