Suite à la visite du dalaï-lama, le président Zeman refuse de décorer un survivant de la Shoah

Jiří Brady, photo: ČTK

« Le président tchèque annule la décoration d’un survivant de la Shoah », ont titré, ce week-end, les médias tchèques et internationaux. Tout porte à croire qu’au cœur de cette affaire qui suscite tant d’attention, ne figure pas tellement ce survivant de l’holocauste, Jiří Brady, mais le dalaï-lama, en visite en République tchèque la semaine dernière.

Jiří Brady,  photo: ČTK
Le ministre chrétien-démocrate de la Culture, Daniel Herman, a été l’unique membre du gouvernement tchèque à avoir rencontré le dalaï-lama, venu à Prague à titre privé dans le cadre de la conférence Forum 2000. Cette rencontre s’est déroulée malgré le désaccord du président Miloš Zeman, connu pour son orientation prochinoise et prorusse.

Daniel Herman est un neveu de Jiří Brady, un rescapé d’Auschwitz et de Terezín installé depuis les années 1950 au Canada. Après avoir perdu toute sa famille durant la Deuxième Guerre mondiale et émigré plus tard au Canada, Jiří Brady a écrit pendant toute sa vie des livres et donné des conférences à travers le monde pour parler des horreurs du régime nazi.

Jusqu’à samedi dernier, tout portait à croire que M.Brady ferait partie de la trentaine de personnalités décorées par le président Miloš Zeman lors de la fête nationale du 28 octobre, jour de la fondation de la Tchécoslovaquie indépendante en 1918. Arrivé dimanche soir à l’aéroport de Prague, Jiří Brady a expliqué :

« Le 12 octobre, j’ai reçu un appel téléphonique du chef du protocole du Château de Prague, M. Jiří Forejt. Il m’a annoncé que j’allais recevoir, de la part du président, l’Ordre Tomáš Garrigue Masaryk, en précisant que l’on me donnerait plus de détails lorsque je serais à Prague. »

Le dalaï-lama,  Daniel Herman,  photo: ČTK
Plus contacté ensuite par le Château de Prague, Jiří Brady, 88 ans, a appris la veille de son départ pour Prague qu’il ne figurait finalement pas parmi les lauréats. Vexé, le ministre de la Culture Daniel Herman livre aussitôt aux médias son explication :

« Le président Miloš Zeman en personne m'avait prévenu que si je m'entretenais avec le dalaï-lama, mon oncle serait rayé de la liste des lauréats. C’est ce qui s’est passé. Le président me l'a dit à l'ambassade de Slovaquie, devant des témoins. »

Pour le Château de Prague, il s’agit d’un « malentendu ». Le porte-parole du président et le chef du protocole affirment que Jiří Brady n’a jamais figuré sur la liste officielle des candidats ; une liste par ailleurs tenue secrète jusqu’à la cérémonie du 28 octobre. Le chancelier Vratislav Mynář explique :

« Je peux imaginer que le président de la République ait demandé à M. Herman de ne pas rencontrer le dalaï-lama, dans l’intérêt de la République tchèque et pour conserver de bonnes relations économiques avec la Chine. Mais je m’oppose catégoriquement à l’idée selon laquelle le président ait fait de l’annulation de cette rencontre une condition à la décoration de l’oncle de M. Herman. »

Le Premier ministre affirme qu’il n’était pas au courant de la potentielle décoration de Jiří Brady lorsqu’il a signé la liste des lauréats. Une liste sur laquelle, Bohuslav Sobotka l’a confirmé, le nom du survivant de l’holocauste ne figurait pas. Du coup, le chef du gouvernement a appelé le président de la République « à se comporter en homme d'Etat et à décorer Jiří Brady ». Dans le cas contraire, la fête nationale du 28 octobre ne sera, toujours dixit Bohuslav Sobotka, « qu'un festival de la petitesse du Château de Prague. »

Miloš Zeman,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
La décision du président de la République a été contestée par diverses personnalités de la vie publique. Prêtre et lauréat du prestigieux prix Templeton, Tomáš Halík a appelé au boycott de la cérémonie officielle du 28 octobre au Château de Prague. Le vice-président de la Chambre des députés Petr Gazdík (STAN) a lui annoncé la tenue d’une manifestation de commémoration de la fête nationale sur la place de la Vieille-Ville, rassemblement auquel devraient participer les ministres de la Culture et de l’Agriculture.