TESLA, la marque originale de radios et TV, bien avant Elon Musk
Amateurs des passages couverts de Prague, vous connaissez certainement celui du cinéma Světozor, avec son immanquable vitrail coloré faisant la promotion de la marque TESLA. Sachez néanmoins que ce sigle n’a rien à voir avec le constructeur automobile américain du même nom : le domaine de l’entreprise publique tchécoslovaque TESLA, c’était initialement l’électrotechnique sous toutes ses formes, depuis les composants aux équipements à usage professionnel ou militaire en passant par les appareils électroniques grand public. Mais le monopole de TESLA dans les foyers tchécoslovaques est révolu : le successeur de la société mère du groupe s’est recentré sur l’ingénierie à application militaire et commerciale.
« On a bien le début, mais comment continuer ? Il nous manque quelque chose ! » Dans le spot publicitaire si vintage que l’entreprise TESLA présente sur son site, la vendeuse en blouse d’une boutique TESLA Eltos vient à la rescousse de jeunes radioamateurs en mal de composants. Ouvertes en 1965, les boutiques de la marque TESLA Eltos (à l’origine appelée TESLA obchod a technické služby) n’étaient que l’une des nombreuses facettes du groupe d’électrotechnique TESLA, fondé pour sa part en 1946 par la nationalisation de quelque 16 entreprises nationales et internationales (parmi lesquelles Philips et Siemens).
Du micro-composant au méga-ampli
Avec des dizaines d’usines sur l’ensemble du territoire tchécoslovaque, dont six à Prague, le groupe TESLA n.p. (pour « národní podník », entreprise d’Etat) couvrait toutes les formes d’électronique et électrotechnique, toutes ses étapes aussi, du plus petit composant passif ou actif aux appareils électroniques à usage domestique, professionnel ou militaire. Ainsi TESLA Karlín se spécialisait dans la production de standards téléphoniques et TESLA Holešovice dans celle d’ampoules électriques, TESLA Pardubice dans les postes de télévision et les magnétophones, TESLA Bratislava dans les récepteurs radio, TESLA Vráble dans les amplificateurs pour les cinémas et les théâtres, etc.
TESLA avait ainsi le monopole national de la production de téléviseurs, de récepteurs radio et de nombreux autres appareils d’électrotechnique, que le groupe exportait par ailleurs dans les pays membres du Conseil d’assistance économique mutuelle : Union soviétique, Hongrie, Bulgarie, Pologne ou encore Roumanie.
Parmi les articles qui ont marqué la société de l’époque, on citera tout d’abord la légendaire radio à transistors T58. Nommé d’après l’exposition universelle de 1958 à Bruxelles, où il a été présenté pour la première fois, ce poste de radio portatif se distinguait visiblement des transistors concurrents par sa basse consommation, sa petite taille et son faible poids.
Talisman et Tamara
Mais l’article TESLA le plus légendaire est sans nul doute le petit poste de radio 308U Talisman, avec son caisson en Bakélite de style Art déco conçu par Igor Didov, de l’usine TESLA Bratislava, et produit par cette même usine entre 1953 et 1958. Nombreuses étaient les familles tchécoslovaques de l’époque à se réunir autour d’un poste Talisman, puisqu’il en a été vendu plus d’un million d’exemplaires…
En 1973, l’usine slovaque TESLA Orava v Nižné a lancé la production en série du premier téléviseur tchécoslovaque capable de recevoir des émissions en couleur et en noir et blanc. Avec son écran de fabrication soviétique de 59 cm de diagonale – impressionnant pour l’époque – et son caisson en bois avec panneau arrière en papier, le poste de télévision Color pesait 46 kg !
Dans le domaine de l’électronique militaire, TESLA était également à l’origine d’un appareil célèbre : le radar passif KRTP-86 Tamara, dont on affirmait qu’il était le seul au monde à pouvoir détecter les avions furtifs. Il en a été fabriqué un peu moins de 20 exemplaires en tout, utilisés pour la plupart par l’URSS.
Un nom de marque ambigu
Lors de la création de la marque, en 1946, le nom TESLA avait été choisi en hommage au célèbre ingénieur d’origine serbe Nikola Tesla, qui était mort trois ans plus tôt. Nikola Tesla est connu pour son rôle prépondérant dans le développement et l’adoption du courant alternatif pour le transport et la distribution de l’électricité. Des années plus tard, en 2003, c’est en honneur de la même personne qu’un constructeur automobile américain a choisi de nommer sa marque de voitures électriques nouvellement fondée (et par la suite investie par un certain Elon Musk)… Malgré leurs domaines de spécialité très éloignés, ce choix n’en a pas moins fait l’objet d’un litige entre les deux groupes, et il a fallu attendre 2010 pour que ces non-concurrents parviennent à un accord de « non-agression », se reconnaissant mutuellement le droit d’utiliser la marque Tesla
Ce n’était cependant pas la première fois dans l’histoire de la marque tchécoslovaque que son nom posait problème : en effet, après la scission idéologique de 1948 entre les pays du bloc de l’Est et la Yougoslavie désormais ennemi idéologique (principalement en raison de l’animosité personnelle entre le dirigeant soviétique Staline et le Premier ministre yougoslave Tito), le nom de l’inventeur yougoslave est devenu indésirable. Heureusement, une explication officielle irréfutable a été avancée : rien à voir avec Nikola Tesla ; la marque TESLA était en fait une abréviation de TEchnika SLAboproudá (« technique de courant faible »).
Du monopole au musée
Et depuis la révolution de Velours ? Les différentes usines TESLA sont devenues indépendantes et ont été privatisées. Certaines ont changé de nom ; d’autres ont par la suite intégré des entités de taille plus importante. Mais après plusieurs décennies de monopole incontesté sur le marché tchécoslovaque, toutes n’ont pas su s’adapter au nouvel environnement de marché, moderne et concurrentiel… Le successeur direct de l’entreprise publique TESLA n. p., pour sa part, est devenu la société anonyme TESLA a. s. Son siège est aujourd’hui situé dans le quartier pragois de Vysočany, et l’entreprise se présente comme « l’un des principaux fournisseurs dans le domaine des radiocommunications spéciales et des équipements de communication pour les réseaux tactiques militaires fixes et mobiles ». Elle est d’ailleurs le fournisseur principal du réseau stationnaire de télécommunications de l’armée tchèque
Si vous avez besoin d’une nouvelle télé, donc, inutile de chercher le logo de vague de courant alternatif de la marque TESLA sur les rayons de votre magasin d’électroménager. Vous pouvez en revanche vous rendre au Retro muzeum Praha, qui présente la vie quotidienne et l’esthétique des années 1970-1980 en Tchécoslovaquie, pour admirer avec nostalgie quelques appareils TESLA grand public qui comblaient les familles unies de la Tchécoslovaquie communiste – du moins dans les spots de publicité.
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