Théâtre ? Un lieu de vie !

Le Théâtre Klicpera, photo: www.klicperovodivadlo.cz
0:00
/
0:00

José Manuel Cano Lopez est metteur en scène, comédien et fondateur de la compagnie de théâtre éponyme, basée à Tours-La-Riche, en France. Depuis plusieurs années, sa troupe participe à l'un des plus importants festivals de théâtre en République tchèque, Théâtre des régions d'Europe, qui se déroule au début de l'été, à Hradec Kralove, en Bohême de l'Est. C'est donc à Hradec, en plein festival, que je me suis entretenue avec José Manuel Cano Lopez... à propos de plein de choses : nous avons parlé de nuits et de rêves, du regard qu'il porte sur l'état du théâtre dans son pays et en République tchèque, des vrais désirs de théâtre et de contact avec le public par lesquels se distingue sa troupe, la seule compagnie permanente en France.

La Compagnie José Manuel Cano Lopez a présenté à Hradec Kralove deux spectacles, dont un qui a associé deux auteurs et deux textes qui semblent de prime abord très différents l'un de l'autre : « L'Affaire de la rue de Lourcine » d'Eugène Labiche, avec le personnage principal d'Oscar Langlumé, et la célèbre « Métamorphose » de Franz Kafka. On écoute José Manuel Cano Lopez :

« La Métamorphose est un texte qui m'a accompagné depuis la fin de mon adolescence. Je me suis toujours dit qu'un jour ou l'autre, sur un plateau de théâtre, j'essayerai de le mettre en jeu et de retrouver ce qui m'a toujours bouleversé dans ce texte. Parallèlement à ça, j'avais aussi un texte qui me trottait dans la tête, L'Affaire de la rue de Lourcine, que j'avais déjà essayé de mettre en scène et j'avais arrêté. C'est la seule fois où j'ai arrêté un spectacle encore en répétition, parce que le texte résistait à ce que j'avais envie de faire. Mais il y a quelque temps, en relisant les deux textes, je me suis dit qu'il y avait des passerelles de manière très surprenante ! Oscar Lenglumé et Gregor Samsa se réveillent un matin avec quelque chose qui leur a échappé dans leur nuit. Pour Lenglumé, il ne sait pas ce qu'il a fait et il s'aperçoit qu'il a assassiné une charbonnière et que toute sa vie est métamorphosée. Pour Gregor, tout le monde le sait, il se retrouve dans son lit transformé en insecte. J'ai voulu mettre en relief ce qui pour moi est l'endroit de vie le plus fascinant, et c'est la nuit. J'ai voulu parler de ce qui se passe dans la tête d'un individu quand il s'endort, où toutes les barrières, toutes les défenses sociales n'ont plus cours. En plus, ces deux textes parlaient d'une manière totalement singulière et à l'opposé de l'humanité. Quand un événement bascule la vie de quelqu'un, comment réagissent les autres ? Lenglumé se transforme en véritable salaud meurtrier et de l'autre côté, dans le cas de Gregor Samsa, c'est son entourage qui se transforme en salaud meurtrier...»

« J'ai écrit un spectacle pour les enfants à partir de 2, 3 ans, qui est une sorte de rêve aussi... En fait, je me suis rendu compte que j'avais travaillé sur la nuit. Ca devait m'obséder, je ne sais pas pourquoi.»

Travaillez-vous aussi la nuit ?

« Avant, j'ai été un metteur en scène qui répétait essentiellement la nuit... »

C'est vrai ? Vous avez forcé vos comédiens à répéter la nuit ?

« Oui, jusqu'à deux, trois ou quatre heures du matin... Je crois que la nuit, c'est certainement le moment le plus théâtral d'une vie. Le théâtre, par essence même, est le lieu de tous les possibles et le lieu de tous les possibles pour un être humain, c'est sa nuit, où personne ne va le regarder, où il peut rêver de n'importe quoi... C'est quelque chose qui est totalement grisant. »

Vous vous inspirez parfois de vos rêves ?

« Heureusement pour le public non ! Mais par contre, sur le Kafka-Labiche, j'ai intégré les rêves de Kafka. Tout le travail chorégraphique et corporel est fait à partir de ses rêves, parce qu'il les notait. Ce qui est très attirant dans ce type d'approche, c'est qu'on ne peut pas se cantonner à des choses consensuelles, quotidiennes. On est actuellement dans un moment de vie culturelle où on est très mou. En tout cas, en France, le poids du marché théâtral est important, donc pour plaire au plus grand nombre, on a tendance à faire des choses consensuelles qui sont censées plaire à tout le monde. C'est pour cela que j'ai remercié le public de Hradec, tout à l'heure, parce que l'écoute de notre spectacle a été dans un appétit et dans un désir théâtral, chose qui devient de plus en plus rare en France. »

Kafka-Labiche
L'équipe de José Manuel Cano Lopez est habituée à faire partager au public le processus de création d'un spectacle, à lui faire suivre cette aventure pas à pas... Le château de Plessis-les-Tours, où est basée la compagnie, est ouvert à tout le monde... José Cano Lopez :

« Je suis fatigué du public qui vient parce qu'il a un abonnement, qui vient au théâtre à 20h30 et qui repart à 22h00, qui fait clap-clap, clap-clap-clap ou pas du tout de clap et après, il s'en va. Et les relations entre les créateurs (je n'aime pas trop le mot artiste, parce qu'on n'est pas des artistes, on est des tâcherons-artisans), ce rapport-là n'existe plus. Dans notre théâtre, nous avons la chance de pouvoir travailler en totale liberté, malgré les contraintes de mes conventions avec les différents partenaires institutionnels. En fait, nous avons ouvert, depuis cinq ans, de manière radicale, les démarches de création aux spectateurs. Par exemple, toutes mes répétitions sont publiques. Nous avons ensuite des parcours de création, c'est-à-dire que nous travaillons par étapes et nous donnons rendez-vous avec le public, en faisant le point sur l'avancée du travail et en apportant des nourritures : sur la Métamorphose, on a projeté des films, on a fait d'autres lectures de Kafka... On accueille aussi des résidences de metteurs en scènes européens : Michal Laznovsky, par exemple, est venu pendant trois mois chez nous... Ils ne viennent pas sur une création, ils ne préparent pas un spectacle destiné au marché théâtral, mais ils viennent sur leurs désirs de théâtre. Ils ont un rêve et on leur donne l'occasion de le réaliser : on leur met le théâtre à la disposition, les comédiens et toute l'infrastructure aussi, ils ont une bourse. Et pendant trois mois, ils cherchent leurs rêves. Dernièrement, nous avons accueilli un metteur en scène danois qui travaillait sur Belle du Seigneur d'Albert Cohen. »

Kafka-Labiche
La compagnie José Cano Lopez, nous l'avons dit, est la seule compagnie permanente en France, où l'organisation théâtrale est toute autre qu'en République tchèque.

« Cette compagnie a été créée il y a vingt ans et je n'ai pas évolué depuis. Les statuts des compagnies théâtrales en France, c'est l'intermittence, dont on a beaucoup parlé et les problèmes sont toujours là. Moi, à partir du moment où j'ai décidé d'avoir ce projet artistique, il m'était indispensable d'avoir une équipe qui le partage, avec laquelle on a un parcours en commun. Même si, à chaque création, il y a des gens nouveaux, je prends d'autres comédiens, on a actuellement quatre comédiens permanents. Ici, en Tchéquie, c'est quelque chose qui est dans l'organisation théâtrale. En France, après la disparition des troupes dites de décentralisation, dans les années 50, 60 et 70, on est passé à ce système-là qui est, à mon avis, le meilleur moyen de couper les acteurs, les créateurs du public. Je m'en fous de jouer dans 150 villes sans avoir une réflexion sur ce que je fais !»

Pour José Cano Lopez, vous l'aurez compris, le théâtre est avant tout un lieu de rencontres, un lieu de vie... Le château de Tours, la dernière demeure de Louis XI entourée d'un parc de deux hectares que sa compagnie a complètement rénovée et où elle s'est installée, en est sans doute un.

« La première chose que nous avons faite en arrivant au Plessis, c'était de replanter la vigne de Louis XI - il avait inventé, à l'époque, un vin qui s'appelait Le Noble Joué ( c'est un assemblage de quatre pinots) mais qui avait disparu. Cette année, nous avons eu la première récolte du Noble Joué ! Chez nous, les gens peuvent jouer avec leurs gamins dans le parc, nous travaillons avec la maison de retraite qui est à côté, nous avons un restaurant permanent, on fait nous-mêmes à manger, nous avons une cave avec plein de vins de toute la France et d'Espagne (j'ai des origines qui ne trompent pas ), une vidéothèque théâtrale, une salle d'exposition... Les gens peuvent donc passer une journée chez nous, s'installer et aussi donner des rendez-vous, papoter avec leurs amis... Je crois que c'est important que les théâtres deviennent des lieux de vie. Les musées théâtraux, aussi pertinents soient-ils au niveau artistique, n'ont, à mon sens, plus de raison d'être. »

Auteur: Magdalena Segertová
lancer la lecture