Thomas Salvador : « Vincent n’a pas d’écailles n’est pas un film de super-héros »

'Vincent n’a pas d’écailles', photo: Film Servis Festival Karlovy Vary

Le festival international du film de Karlovy Vary s’achève ce samedi, après plus d’une semaine de films et de rencontres autour du cinéma. Si pour cette 50e édition-anniversaire, il n'y a pas de film français en compétition, la France est quand même représentée avec quelques films ainsi que des coproductions. Vincent n'a pas d'écailles est le premier long-métrage du réalisateur Thomas Salvador. Un film avare en dialogues, mais c'est cette économie de paroles couplée à une histoire originale qui en fait un film poétique et atypique. Le point de départ : Vincent a une particularité, ses forces se décuplent au contact de l'eau... Un « pouvoir » qui donne lieu à des aventures tout en modestie... loin du super-héros d’Hollywood. Radio Prague s'est entretenue avec Thomas Salvador qui lui a expliqué pourquoi son film avait eu une si longue gestation - huit ans entre la naissance du projet et la réalisation...

Thomas Salvador,  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« Ça a été long parce que ce n’était pas évident à écrire. C’est sur plusieurs registres : c’est une comédie, une comédie romantique, mais aussi un peu un film d’action, fantastique, puisqu’il se passe des choses qu’on ne voit pas dans la vie de tous les jours, des choses surnaturelles. En France, comme dans d’autres pays, on ne pratique guère le mélange des genres, donc c’était dur de trouver l’équilibre. En plus, il y a peu de dialogues, c’est très visuel, il y a peu de psychologie, car pour moi, elle passe par les raccords, par l’image. Ça a donc été long à écrire, puis à trouver un financement. »

Justement, comment trouve-t-on à l’heure actuelle un producteur prêt à se lancer dans une telle aventure ?

« Il se trouve que le producteur, c’est ma grande sœur. Mais il y a quand même des gens qui sont excités – heureusement, il y en a encore, à l’idée de défendre des projets atypiques. Tout le monde se plaint d’une sorte de norme, du fait qu’on ne prenne plus de risques parce que ça coûte tellement cher. Du coup, c’est des licences : on adapte des romans, des bandes-dessinées… Pour mon film, il y avait en effet un risque énorme car le film pouvait être complètement grotesque. Même des gens me disaient : quand il va nager comme un dauphin, les gens vont rire, ça ne va pas être sérieux. On a mis du temps, on est tenaces et j’ai fait des courts-métrages qui ont eu un peu de succès malgré l’absence presque totale de dialogues, donc les gens ont pu se rendre compte que je pouvais faire des choses, qu’il y avait peu de choses sur le papier, mais que ça pouvait devenir quelque chose à l’écran. »

Vous dites qu’il y a peu de dialogues. Ce film passe énormément par le corps puisque le personnage s’exprime par son corps aux capacités surnaturelles. Vous avez été acrobate. Cela vient de là aussi cette envie d’exprimer les choses par le physique ?

« C’est un tout. J’aime voir ça au cinéma : quelqu’un qui a du mal à parler de lui mais qui nous en dit tellement par ses actions, par sa manière de bouger. Je suis très sensible à cela. J’aime aussi les films où les gens font des choses physiques : danser, se battre… C’est venu naturellement. C’est peut-être aussi parce que je suis pudique, donc c’est un moyen détourné de parler de choses qui sont proches de nous, avec le fantastique, le corps, plutôt que d’avoir à dire ce qu’on pense… »

Comment passe-t-on de l’acrobatie au cinéma ? C’est aussi un sport de haute voltige le cinéma ?

« Ah oui, c’est compliqué le cinéma. J’ai en effet fait de l’acrobatie, j’ai fait plein de choses mais jamais professionellement. Ce sont toutes ces choses qui me nourrissent. Mais je veux vraiment être cinéaste depuis que j’ai treize-quatorze ans. C’est vrai que dans les films je mets des choses qui sont proches de moi, que j’ai envie d’explorer ou que j’ai envie de faire. »

On peut lire un peu partout que c’est un premier film français de super-héros. C’est un film réalisé sans effets spéciaux numériques, mais avec des trucages à l’ancienne. Vous n’utilisez pas du tout les codes classiques des super-héros de type Spiderman… J’ai presque envie de dire que ce n’est pas un film de super-héros, mais que c’est plutôt de l’ordre du conte…

« Oui, pour moi, ce n’est pas un film de super-héros, ce n’est pas la problématique du héros. Il n’a aucune vocation à sauver la planète… »

Même s’il aide son copain…

'Vincent n’a pas d’écailles',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« Oui, mais parce qu’il aide à une échelle humaine, et locale. Sa mission, c’est de vivre dans ce monde tel qu’il est, en apprenant à l’assumer, tout en sachant que ça peut être dangereux ou mal perçu. C’est plutôt un personnage qui cherche l’équilibre entre sa discrétion, sa volonté d’être tranquille et le partage de ce qu’il est. Donc c’est une problématique qui n’est pas du tout celle du super-héros. »

Et sur le conte ?

« Je n’y est pas pensé. On m’en a pas mal parlé. Moi je fais toujours les choses au premier degré. C’était juste l’histoire de ce type. Après, ça peut en effet devenir allégorique. Mais ce n’est pas au cinéaste d’y penser et de se dire : je vais faire un conte qui va parler de… De manière naïve, je suis concentré sur mon histoire et après, c’est avec les débats autour du film que je comprends de quoi il retourne. Je n’ai aucune distance avec le film vu que je l’ai écrit, que je joue dedans et que je me suis un peu occupé des effets spéciaux… »

Vous disiez que vous aviez toujours voulu être cinéaste. Quels sont vos films de référence, vos maîtres ?

« Quand j’étais tout enfant, c’était Buster Keaton. J’aimais beaucoup Jacques Tati. »

Jacques Tati travaille beaucoup avec le corps, pour le coup…

« Oui, et aussi avec peu de dialogues. Aujourd’hui, un réalisateur que j’aime beaucoup, c’est David Cronenberg, mais aussi Kiyoshi Kurosawa, qui font des films fantastiques d’ailleurs… Ce ne sont pas des films très bavards, ils se passent dans un environnement réaliste, mais avec une dimension fantastique. C’est très varié. Je n’ai pas une chapelle… J’aime beaucoup les films classiques hollywoodiens comme les westerns, les films noirs… Et aussi le cinéma japonais. »

Qu’est-ce que vous aimez quand vous tournez ?

'Vincent n’a pas d’écailles',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« Quand on tourne, on a aucune sensation. C’est trop dur… Surtout quand on n’a pas un gros budget. Mais ça doit être la même chose avec un gros budget, car on a plus de pression. Je pense que pour beaucoup de réalisateurs, le tournage est souvent le moment le moins agréable parce qu’il n’y a pas le temps de la réflexion, on est toujours dans l’urgence. Pendant le tournage, il faut juste tenir la journée, courir… Le film était compliqué, d’autant plus que je jouais dedans. »

Pourquoi ce titre, Vincent n’a pas d’écailles, qui d’ailleurs, et c’est dommage, n’a pas été conservé dans les titrages étrangers…

« Oui. Le film s’est appelé Vincent pendant longtemps. Quand il a été fini, le distributeur et ma productrice m’ont dit que c’était trop timide, trop simple. On a cherché, et j’ai trouvé ce titre. Maintenant, je l’entends comme la voix intérieure de Vincent. Il n’a pas d’écailles, comme n’importe quel être humain. Or c’est un être humain, sauf qu’il a ce truc avec l’eau. Mais ce n’est pas un homme-poisson. C’est une manière poétique de l’exprimer par la négative. »