Tomas Kolsky et Petra Hulova : deux « espoirs » de la jeune littérature tchèque
Les amateurs francophones de littérature tchèque connaissent bien Milan Kundera, ou pour les auteurs les plus récents et qui peuvent se targuer d'un succès certain hors de République tchèque, Jachym Topol ou encore Vlastimil Tresnak dont les traductions françaises existent en nombre. Justement, la nouvelle vague de jeunes écrivains tchèques dont nous vous avons déjà parlé a également atteint les rives éditoriales françaises, puisque les Editions de l'Olivier ont récemment sorti les traductions des romans de Tomas Kolsky, Ruthie ou la couleur du monde, et de Petra Hulova, Les montagnes rouges (en tchèque : A la mémoire de ma grand-mère). Petites révélations littéraires des années 2003 et 2002, publiées par la maison d'édition renommée de Prague, Torst, Tomas Kolsky et Petra Hulova ont moins de trente ans et ont tous deux connu un succès immédiat avec leur tout premier roman.
Quand on demande à Petra Hulova, 26 ans, ce que représente pour elle le succès instantané de son premier livre, elle ne verse pas dans la fausse modestie et admet que voir son écrit se vendre est très agréable. Elle garde cependant à l'esprit l'écueil à éviter, ne pas prendre la grosse tête, ne pas se laisser happer par une médiatisation ennivrante et rappelle que l'écriture exige justement l'inverse : solitude et concentration. Dans Les montagnes rouges, plusieurs femmes de différentes générations racontent leur vie au sein d'une même famille vivant dans la campagne de Mongolie. La forme du monologue est celle où Petra Hulova se sent le mieux, puisque c'est encore cette plongée du lecteur dans l'intimité d'un personnage qu'elle a utilisée dans son dernier roman Pres matny sklo (A travers la vitre teintée, 2004), récits d'un fils qui mûrit et de sa mère. La Mongolie qui servait de cadre aux Montagnes rouges, la part d'« exotisme » que ce pays où elle a étudié, conférait à son récit, a disparu dans son deuxième roman qui, s'il a reçu des critiques plus sévères, rançon du succès des « phénomènes littéraires », confirme néanmoins la qualité de la jeune auteure dans le décryptage des relations humaines, le dénouement des fils fragiles et complexes qui relient les êtres. Cependant, si son deuxième roman se déroule en République tchèque, l'espace-temps ne semble pas tant importer que cela à Petra Hulova chez qui la psychologie des personnages tend à une universalité, au-delà des contigences de lieu ou de temps. Elle le confirme d'ailleurs elle-même : écrire sur le temps présent, parler de son époque comme d'un sujet à part entière lui apparaît comme une tâche particulièrement difficile et estime qu'elle n'a pas le recul.
Dans Ruthie ou la couleur du monde, Tomas Kolsky, 27 ans, qui enseigne et traduit également l'hébreu, fait le récit d'un jeune homme, Shlomo, jeune Juif pragois, qui tombe amoureux de Ruthie, lors d'un séjour en Israël, en plein milieu de la seconde Intifada. A côté de ses déboires amoureux, lors d'un retour à Prague, il entame une conversation muette avec Djinnie, l'esprit d'une jeune kamikaze palestinienne, qui s'est installée dans sa tête. Quand on discute avec lui, Tomas Kolsky cite souvent Salman Rushdie notamment, chez qui il admire la capacité à capter le monde actuel, et ses métamamorphoses, alors même que leur rapidité en déroute plus d'un. Le roman comporte cette part d'actualité : je lui ai demandé comme son récit était né :
« Il y a eu un moment où quelque chose a complètement changé dans mon écriture. Peut-être est-ce dû au fait que comme on apprend des tas de choses, on apprend aussi à écrire. Pour moi, l'écriture est un processus mystérieux : je pense que c'est d'ailleurs le cas pour tous ceux qui écrivent. Comment est né mon livre ? Il y a simplement eu un moment où j'ai eu l'impression que je devais décrire la manière dont je vois le monde de manière générale, et plus concrètement, ma vision de la situation en Israël, et que ça pourrait même être quelque chose d'intéressant pour d'autres gens. C'est pour cela que j'ai écrit ce roman, sans même penser qu'il pourrait en fait être publié. Aujourd'hui, certaines choses que j'ai écrites m'apparaissent comme vraiment impossibles ! Au niveau de l'esthétique notamment. Et il y a de nombreux passages que je n'écrirais plus du tout de cette manière... Mais dans une certaine mesure, pour moi ce roman, c'est déjà du passé, tout comme d'ailleurs les évènements qu'il relate. »Xavier Galmiche a traduit le roman de Tomas Kolsky, Ruthie ou la couleur du monde, sorti cette année en langue française, aux Editions de l'Olivier. Ecoutons son point de vue sur ce qui caractérise, selon lui, l'écriture de ce jeune auteur :
« Kolsky, c'est quelqu'un qui aborde le problème éminemment difficile du pacte civil et social en Israël, avec tout ce que la relation d'un Tchèque à Israël peut avoir de complexe, et d'un Juif tchèque notamment. Il aborde cette question là sur le registre d'une littérature de la pure réactivité, de ce qui va très vite. Et une des choses qui était justement difficile à traduire dans son roman, c'est qu'il adopte le style du mail et du SMS ; et donc avec cette espèce de légèreté, un peu d'inconséquence aussi, que permet le mail. Le message du mail, c'est quelque chose qui s'efface, qui ne laisse pas de trace. Alors il y a cette très grande réactivité flottante face à ce qui se passe, face à des choses graves et une sorte de littérature qui n'engage pas. »
Qu'est-ce qui dans l'écriture de ces « jeunes auteurs » plaît au public, qu'il s'agisse de critiques ou de simples lecteurs ? Tentative de réponse avec Xavier Galmiche :
« On apprécie une certaine fluidité qui a parfois des effets dévastateurs du point de vue de la grammaire, une sorte de désarticulation absolue de la langue... En fait il y a une qualité qui revient souvent : c'est la fluidité, il faut une écriture fluide, encore une fois, un peu comme le net permet d'être fluide, de se couler dans le monde. »