Třebíč, douzième site classé au patrimoine de l’UNESCO
Nous l’avons déjà dit, la saison touristique 2012 est placée sous le signe du 20e anniversaire de l’inscription du premier site tchèque au patrimoine de l’UNESCO. Le douzième et pour le moment le dernier site classé en 2003 se trouve à Třebíč, ville de 40 000 habitants située dans le sud-est de la Moravie. Il se compose de trois éléments distincts : le quartier juif et son cimetière, ainsi que la basilique romane Saint-Procope. Tous trois offrent un témoignage exceptionnel de la coexistence et des échanges de valeurs entre les deux cultures – chrétienne et juive à Třebíč, depuis le Moyen-âge jusqu’au XXe siècle.
Třebíč a trouvé une nouvelle vie grâce à l’afflux de touristes qui viennent chaque année plus nombreux. L’inscription au patrimoine de l’UNESCO a notamment ressuscité le quartier juif, premier monument de culture juive en dehors d’Israël à figurer sur la prestigieuse liste, observe notre guide, Pavlína Pojerová, en nous conduisant dans ses ruelles étroites et sinueuses, entre ses recoins sombres et ses passages voûtés au charme romantique. Les toits de ce quartier pittoresque sont surplombés par l’impressionnante basilique romane Saint-Procope construite au début du XIIIe siècle dans l’enceinte d’un monastère bénédictin par une corporation de bâtisseurs du sud-ouest de la France qui était à l’origine de la construction de cathédrales à travers l’Europe. La fondation du monastère favorisa l’établissement d’un marché qui attira les commerçants et parmi eux, des Juifs. Ainsi, l’histoire de Třebíč commence justement avec l’édification d’une église abbatiale, raconte Pavlína Pojerová :
« La basilique Saint-Procope de style roman intégrant des éléments gothiques est un joyau de l’architecture de l’Europe centrale. Elle a accueilli des rois ainsi que des invités d’honneur. Le très précieux portail d’entrée roman s’appelle la Porta paradisi – la porte du paradis. Son caractère unique est documenté par le fait qu’il n’existe que deux portails de ce type en République tchèque – le deuxième, la Porta coeli, se trouve à Tišnov près de Brno. Le portail est richement décoré de motifs de plantes, d’abîmes, de montagnes, d’animaux, et d’hommes de toutes les nations. A son sommet, un ange, gardien de la basilique, est représenté. » Située sur une colline dominant la ville de Třebíč, la basilique est l’un des plus beaux édifices monastiques médiévaux de République tchèque. Elle est construite en blocs de granite à gros grains de face carrée, non recouverts de crépi. Certaines pierres sur les murs extérieurs portent aujourd’hui encore les marques utilisées au Moyen-âge par les différents ateliers de bâtisseurs. Il existe à peu près 600 marques différentes. De nombreux éléments architecturaux novateurs pour l’époque et tout à fait exceptionnels pour la région ont été utilisés : la splendide abside comportant une galerie naine, la voûte octopartite fermant le presbytère et le choeur des religieux, ainsi que les trois arcs de triomphe :« L’histoire de la basilique Saint-Procope est étroitement liée à la fondation d’une abbaye bénédictine, en 1101, par les princes Oldřich de Brno et Litold de Znojmo, membres de la branche morave de la dynastie régnante des Přemyslides. Le monastère bénédictin richement doté est devenu un centre important de la vie ecclésiastique et du développement économique de la région alors peu peuplée. Ses premiers édifices en bois ont été progressivement reconstruits en pierre. Quant à ses bâtisseurs, on sait qu’ils appartenaient à une corporation de tailleurs de pierre et charpentiers utilisant des techniques de construction originaires du sud-ouest de la France. Erigée entre 1240 et 1260 en style roman intégrant des éléments gothiques, c’est une église à trois nefs et à triple choeur dotée d’un presbytère allongé, d’un porche de plan carré ouvert au nord, de deux tours coiffées de coupoles à l’ouest. A la nef principale, haute et puissante, s’ajoutent deux nefs latérales plus petites. » La construction de la basilique haute de 27 mètres, longue de 72 mètres et large de 20 mètres fut achevée avant 1260. Le trésor de cette basilique est qu’elle fait apparaître des éléments romans en voie de disparition réalisés à l’aide de techniques gothiques. La basilique renferme maints mystères, comme celui de la porte sud jusqu’alors emmurée et dont on ignorait l’existence pendant longtemps. Les murs intérieurs sont aujourd’hui dépouillés mais des traces de leur revêtement d’origine ont été découvertes dans le choeur. En revanche, les fresques d’origine datées autour de l’an 1260 et préservées dans la chapelle abbatiale ont été redécouvertes et restaurées en 1932. Elles représentent des scènes de la vie de l’apôtre Jean et sont les plus anciennes de Moravie, après celles de la rotonde Sainte-Catherine de Znojmo.Endommagée pendant les guerres hussites, la basilique fut pillée de nouveau en 1468 par les troupes du roi de Hongrie Mathias Corvin ; Viktorin, fils de George de Poděbrady roi de Bohême, se cachait en effet entre ses murs. Les moines bénédictins quittèrent Třebíč en 1525. Le domaine changea souvent de propriétaires. Après avoir appartenu à des familles nobles moraves telles que les Pernštejn et les Šternberk, il est racheté en 1629 par les Wallenstein. Ils construisirent un nouveau château sur le site du monastère détruit relié directement à la chapelle. Jan Josef, comte de Wallenstein, procèda à la rénovation complète de la basilique menacée de disparition, elle était en effet utilisée jusqu’alors comme dépôt de blé et comme cave de fermentation pour la bière. Pavlína Pojerová rappelle :
« Après 1704, la basilique retrouve sa mission d’origine et est de nouveau consacrée à saint Procope, abbé du couvent de Sázava et patron des mineurs. Vingt ans plus tard, les Wallenstein confièrent les travaux de restauration au célèbre architecte tchèque, František Maxmilian Kaňka. La restauration de la nef s’achèva en 1733. Plusieurs fenêtres furent agrandies, et une nouvelle façade, flanquée de deux tours coiffées de coupoles baroques, fut construite. »
L’intérieur de la basilique est orné de statues baroques des saints patrons tchèques: Jean Sarkander, Jean de Népomucène, Adalbert, Procope, Ludmila, Venceslas et les saints Cyrille et Méthode. A l’origine, la basilique était décorée de douze statues d’apôtres en argent et de la statue du Christ en or. Au cours des guerres hussites, ces statues ont été descendues dans l’une des deux galeries souterraines et y furent enfouies. Plus tard, lorsque les moines allèrent les chercher, ils ne les trouvèrent pas. C’est ainsi qu’une légende relatant l’existence d’un fabuleux trésor ayant appartenu à des bénédictins et enfoui sous la basilique naquît...La deuxième importante restauration de la basilique commencée en 1920 est menée par l’architecte Kamil Hilbert qui prit aussi part à l’achèvement de la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague. Pavlína Pojerová :
« L’abside comporte 33 colonnes et chapiteaux, l’équivalent des 33 ans de Jésus Christ. On y trouve des fenêtres romanes géminées derrière lesquelles se poursuit la galerie naine. Les fenêtres sont ornées de vitraux représentant les quatre saisons de l’année. L’autel derrière lequel se cache l’unique rosace romane d’origine a été créé par des artistes praguois en 1930, à l’occasion de l’exposition d’art chrétien à Paris. Trois ans plus tard, l’autel est exposé à Rome. Lors des deux expositions, il remporte le premier prix et sur demande de Kamil Hilbert, il est offert à la basilique de Třebíč. »
La règle du silence et un esprit d’ancienneté et de spiritualité demeurent, comme s’ils étaient encore présents dans l’ensemble du complexe conventuel, et plus encore dans la crypte, qui est un endroit magique. Pavlína Pojerová décrit:« La partie la plus belle et la plus authentique de la basilique, c’est la crypte romane datée de l’année 1220. Construite sur un plan en forme de croix grecque, elle est ornée de 50 colonnes portant des chapiteaux aux motifs végétaux. A l’origine, la crypte était un lieu où l’on enterrait les moines. Au XVIe siècle, les dépouilles furent déplacées et l’espace servit de dépot aux tonneaux de bière. Pour les faire entrer, une colonne fût supprimée et on créa une nouvelle entrée. Pour ce qui est des voûtes à nervures brisées, elles sont faites avec du bois d’épicéa vieux de 150 ans déjà au moment de son traitement. Le bois était trempé dans du lait de chaux pendant très longtemps – le processus pouvait durer jusqu’à 80 ans. Une fois sec, il se transforme en bois pétrifié avec lequel sont faites les voûtes de la crypte. »
Plusieurs scènes de films historiques dont « Markéta Lazarová » du réalisateur František Vláčil, meilleur film de l’histoire du cinéma tchèque récemment restauré, ont été tournées dans la crypte de la basilique Saint-Procope. Nombreuses d’entres elles ont également été tournées dans les ruelles du pittoresque quartier juif de Třebíč dans lequel nous nous rendrons la prochaine fois.