Visite du quartier juif de Třebíč
Dans ce magazine touristique de Radio Prague, nous vous amenons dans le quartier juif de Třebíč, unique monument de la culture juive en dehors d’Israël à figurer sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO à l’échelle européenne. Inscrit en 2003 sur la prestigieuse liste avec le cimetière juif et la basilique Saint-Procope, le quartier juif de Třebíč a su conserver ses deux synagogues, son hospice, la résidence du rabbin et un ensemble de 120 maisons dont les emplacements et les fondations n’ont pas changé depuis le Moyen-Age. Aujourd’hui, beaucoup de ces maisons sont aménagées en cafés, librairies, ateliers de céramiques et galeries. Visite sur les traces d’une culture millénaire à Třebíč, ville de 40 000 habitants située au sud-est de la Moravie :
L’ancien ghetto juif de Třebíč est un monde hors du temps plein de charme et de mystères. Longeant la rivière Jihlava, il est appelé par la population locale soit « V Židech – aux Juifs » soit « Zámostí – derrière les ponts. » Deux ponts mènent de la place principale de Třebíč au quartier juif. Ce dernier se trouve en voisinage immédiat de la basilique chrétienne Saint-Procope datant de 1260.
Les bons rapports entre les deux cultures, chrétienne et juive et la tolérance réciproque expliquent pourquoi la ville a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, observe notre guide, Renata Poulová :
« Juifs et chrétiens ont vécu ici côte à côte, pendant des siècles, sans problèmes et conflits quelconques. Jamais aucun pogrome contre cette communauté ne s’est produit ici. »
Pour Renata Poulová, la communauté juive qui s’est constituée à Třebíč était dépendante du couvent bénédictin fondé ici au début du XIIe siècle :« On suppose que les Juifs sont venus s’installer dans cette localité depuis le Moyen-Age et ils y ont vécu sans interruption jusqu’en 1942. Leur venue est liée à la fondation du couvent bénédictin à Třebíč, en 1101. Le marché qui s’est créé autour du couvent y a attiré des marchands. La première mention de la présence des Juifs à Třebíč remonte à 1338. Le quartier connaît un essor à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Or en 1723, un nouvel édit est promulgué. Il stipule que les Juifs doivent être cantonnés dans le ghetto. Ils sont autorisés à être engagés dans les tanneries, ils peuvent aussi produire de l’alcool et des gants, faire commerce et prêter de l’argent. Limité par la rivière Jihlava et la colline surnommée Hrádek, le ghetto de Třebíč devient peu à peu le plus important de Moravie : entre les XVIIIe-XIXe siècle, il compte 1 700 habitants. Avec l’adoption de la nouvelle constitution, en 1848, les restrictions sont abolies, les Juifs peuvent sortir du ghetto, acheter des terrains et des maisons, et déménager dans d’autres villes. »
Beaucoup de familles, surtout les plus riches, quittent alors Třebíč pour aller s’installer à Jihlava, Brno ou Vienne. Renata Poulová:« Avant la Deuxième Guerre mondiale, Třebíč comptait 280 habitants juifs. Au mois de mai 1942, ils ont été tous déportés d’abord à Terezín, pour être ensuite redirigés vers Auschwitz et d’autres camps d’extermination. Après la guerre, une dizaine à peine de survivants de la Shoah sont restés à Třebíč. Ce nombre ne suffit pas pour que la communauté puisse être recréée et donc, il n’y a plus de communauté juive à Třebíč. L’ancien ghetto inhabité se dégrade et tombe en ruines. Le projet d’assainissement élaboré dans les années 1970 prévoyait sa destruction complète et l’édification de nouveaux logements. Heureusement, il n’a pas été mis en œuvre, faute de moyens. Un projet opposé, lancé au début des années 1990 et visant la sauvegarde du quartier juif et sa rénovation a culminé par l’inscription de Třebíč au patrimoine de l’UNESCO. »
Des deux synagogues de Třebíč, aucune n’est utilisée aujourd’hui à des fins de culte. La synagogue dite Antérieure, plus ancienne, est, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, propriété de l’Eglise tchécoslovaque hussite.
La grande synagogue, Postérieure, élevée autour de 1660 dans le style Renaissance avec des éléments baroques, est une merveille du quartier juif de Třebíč : l’entrée, sous une voûte d’arête, est reliée à la salle centrale par trois arcades. Les murs sont décorés de textes liturgiques en hébreu et d’ornements aux motifs végétaux. Le mur oriental, le plus important dans la synagogue puisque orienté vers Jérusalem, dissimule un sanctuaire où étaient déposés les rouleaux sacrés de la Torah. Les textes ainsi que les décorations datent des années 1706-1707. Mais au siècle dernier, la synagogue menaçait de tomber en ruines:
« En 1926, avec la diminution de la population juive, la synagogue a été désacralisée pour servir de dépôt, d’abord à la société Isaak Herman Subak, une des familles les plus importantes de Třebíč, propriétaire d’une usine de traitement des peaux. Après 1948, la synagogue a été utilisée par l’entreprise nationale Zelenina (Légumes) comme dépôt de pommes de terre. Des travaux de rénovation complète entamés après 1989 ont pris fin en 1997, date à laquelle la synagogue a ouvert pour la première fois ses portes au public. »
Depuis, la synagogue accueille régulièrement des concerts, des expositions, et des conférences. Le festival de culture juive, « Shamaim » – les Cieux en hébreu, qui se tient à Třebíč au tournant des mois de juillet et d’août, en était cette année à sa 9e édition. Une exposition intitulée « Les Juifs dans le combat et la résistance » rend hommage au 70e anniversaire des premières déportations des Juifs de Třebíč, en mai 1942. Les noms de 270 victimes de la Shoah sont inscrits sur une plaque commémorative en verre à l’intérieur de la synagogue.
Le bâtiment attenant à la basilique abrite le siège du musée de Třebíč. Une exposition y retrace la vie d’une famille juive de Třebíč dans les années 1930 :
« Pour ce qui est de l’histoire de cette maison, elle a été bâtie avant 1798 par Selingmann Bauer, un homme originaire d’Espagne. Plusieurs maisons et une synagogue ont été construites sur des terrains rachetés par lui. Ces maisons, ainsi que les autres du ghetto de Třebíč, ont su conserver leurs caractéristiques architecturales : ainsi, en raison de l’espace réduit que constitue le ghetto, elles étaient scindées en plusieurs étages pour héberger de nombreuses familles. Dans la majorité des maisons juives, la vie s’est organisée de manière suivante : une cuisine et un appartement privé au premier étage, et le magasin ou les ateliers d’artisans au rez-de-chaussée. »
Le musée expose des meubles et des objets liés à la culture et la religion juives. Le visiteur y apprend ce qu’est le pain azyme, un pain non levé cuit durant la fête de Pessah. Il peut se familiariser avec l’objet dénommé mizrah, soit une plaque ornementale accrochée au mur Est des foyers juifs auquel font face les orants lors de leur prière afin de se tourner dans la direction de Jérusalem. Il y a ensuite le chandelier à huit branches allumé pendant la fête des lumières, Hanouka, ou encore la mezouzah, un objet de culte consistant en un rouleau de parchemin comportant deux passages bibliques, fixé aux portes du lieu d’habitation.Le quartier juif de Třebíč n’est pas un musée, ce sont des rues vivantes, avec des cafés, des restaurants et des boulangeries. Plus de la moitié de maisons sont propriété privée. Au fil du temps, certaines maisons ont été agrandies en sorte qu’elles forment un labyrinthe, avec plusieurs entrées et sorties. Et nous voilà devant la maison numéro 53 de la rue Leopold Pokorný, du nom d’un homme originaire de Třebíč parti combattre en Espagne où il est tombé en 1937, à l’âge de 33 ans. Notre guide nous montre le bâtiment de l’ancienne école primaire juive : de 1867 jusqu’à 1929, seuls les garçons avaient le droit de fréquenter l’école, dès l’âge de 5 ans, tandis que les filles étaient obligées de rester à la maison et d’apprendre à cuisiner, à coudre et à faire le ménage.
Autre lieu central de la vie communautaire juive d’autrefois : le Mikvé, bain rituel utilisé pour l’ablution nécessaire aux rites de purification. Deux Mikvé se sont conservés à Třebíč : l’un d’entre eux se trouve à l’intérieur de l’hôtel Josef. Son propriétaire nous autorise à entrer dedans pour regarder ce bain creusé au sol, sufisamment profond pour que le corps puisse être immergé totalement dans l’eau.
Derrière l’hôtel, une rue monte vers le cimetière juif, troisième élément inscrit au patrimoine de l’UNESCO : fondé au début du XVIIe siècle, il compte 11 000 tombeaux et près de 3 000 stèles, de style baroque et du classicisme. La plus ancienne pierre tombale date de 1625.