« Tu » ou « Vous » ?

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Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Tu ou vous ? Ou quand tutoyer et quand vouvoyer ? Voilà une question que nous nous posons plus ou moins régulièrement, pour peu que nous ne soyons pas par exemple anglophones. Les Tchèques, comme les francophones, y sont souvent confrontés dans diverses situations de leur vie quotidienne selon les interlocuteurs auxquels ils s’adressent. Et il est préférable de ne pas se tromper sous peine de commettre un faux-pas, certes plus ou moins grave selon les circonstances, ou de faire preuve d’un manque de savoir-vivre, car dans les deux langues et les modes de communication en usage en tchèque comme en français, l’emploi du pronom « tu » - « ty », ou « vous » - « vy » et de la forme verbale qui s’ensuit représentent parfois un monde de différence dans les relations interpersonnelles. Alors dans quelles situations les Tchèques tutoient-ils ? Et inversement, quand vouvoient-ils ? Telles sont les questions auxquelles nous allons pour cette fois tâcher de répondre.

Mis à part notamment l’anglais courant, qui n’emploie plus aujourd’hui qu’un seul pronom de deuxième personne au singulier comme au pluriel, le pronom « you » qui n’est ni neutre ni poli, la distinction entre le tutoiement et le vouvoiement est une notion qui existe dans la majorité des langues indo-européennes. Langue slave, le tchèque fait partie de celles-ci. En tant que telle, elle ne fait donc pas exception à la règle et possède, elle aussi, cet usage linguistique. On parle de « tykání» pour le tutoiement et de « vykání» pour le vouvoiement.

Disons tout de suite les choses clairement : pour un Français qui apprend la langue tchèque et ses usages, cette distinction n’est pas très compliquée puisqu’elle ressemble très fort à ce que l’on connaît déjà. Comme en France, le vouvoiement marque pour les Tchèques l’expression d’une certaine forme à la fois de respect, de politesse et même de retenue. Le plus généralement, les Tchèques vouvoient une personne qu’ils ne connaissent pas et rencontrent pour la première fois, une personne plus âgée qu’eux à moins qu’il s’agisse d’un membre de leur famille ou d’un cercle que nous qualifierons « d’intime », ou encore un supérieur hiérarchique. On pense dans ce cas précis par exemple à la relation d’un élève ou d’un étudiant avec son professeur. A ce propos, et inversement, on peut considérer que l’usage du vouvoiement d’un élève par son professeur, usage qui se passe en République tchèque quelques années avant le début des études supérieures, marque le passage en quelque sorte du statut d’enfant à celui d’adulte. De l’étudiant moins que rien, on devient en quelque sorte, ou au moins en a-t-on l’impression, un être respecté à défaut d’être encore une personnalité.

Toutefois, cet emploi du « vous » à l’égard d’un jeune, ou plus précisément d’une personne qui se considère encore en tant que tel, est parfois désagréable pour ce dernier. En effet, s’entendre dire « dobrý den pane» - « bonjour monsieur » et être vouvoyé lorsque l’on était jusque-là plutôt habitué à s’entendre dire « ahoj», « nazdar» ou « čau», bref « salut», à être tutoyé et à être appelé par son prénom, peut s’avérer être un cap difficile à passer. Même si ce vouvoiement exprime une différence de hiérarchie et par conséquent une forme de progression sociale, on ne peut alors s’empêcher de penser que l’on a probablement pris un petit coup de vieux dans les yeux de la génération des jeunes d’une vingtaine d’années, ces teenagers auxquels on appartenait encore il y a peu et desquels on pensait encore tant bien que mal faire partie. En un mot, et pour bien d’autres raisons encore, il n’est pas toujours agréable d’être vouvoyé.

Comme ailleurs, la règle veut que les Tchèques tutoient les personnes avec lesquelles elles entretiennent un lien affectif, essentiellement la famille et les amis. Toutefois l’emploi du « tu » peut servir à abaisser son interlocuteur. Il peut aussi s’agir d’une manière d’injurier. Dans ces cas-là, toute dignité disparaît. Voilà peut-être pourquoi certaines personnes sont très sensibles et n’apprécient que fort peu d’être tutoyées par un inconnu au premier contact. Inversement, il en est d’autres que cela ne gène nullement. Il peut s’agir là de l’expression d’une forme de modestie, d’une volonté de placer tout le monde, y compris soi-même, sur un même pied d’égalité. En un mot de se dire « on est tous égaux, camarade, quelle que soit ta fonction, ton statut social ».

Si nous évoquons ce mot « kamaráde» - « soudruh», ce n’est pas par hasard. Dans la langue tchèque, le mot « soudruh», qui ne sert nullement à désigner un ami comme on peut l’entendre avec « kamaráde» en français, possède en effet une place à part et une connotation spécifique. Sauf à évoquer l’histoire, son emploi a pratiquement disparu aujourd’hui, et pour cause puisqu’il renvoie à un vocabulaire communiste. « Soudruh» servait donc à interpeller un camarade mais dans le sens de collègue ou de confrère communiste. Tout cela finalement pour dire que le tutoiement était beaucoup plus fréquent pour les Tchèques sous le communisme, et ce fort logiquement puisque l’idéologie réclamait de ne pas faire de différences entre les individus et de ne pas marquer de différences sociales et l’appartenance à une classe éventuellement plus élevée, notamment la fameuse classe dite « bourgeoise » à laquelle il ne valait mieux pas appartenir.

A ces quelques exceptions près, on retiendra donc qu’en tchèque, la distinction entre le tutoiement et le vouvoiement ne diffère guère de celle en usage dans la langue française, pour ne parler que de celle que nous connaissons le mieux. C’est sur ce constat, « mesdames et messieurs » - « dámy a pánové», que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». Et en attendant de vous retrouver dès la semaine prochaine, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !