Ukraine : « Les Tchèques plus empathiques car ils ont déjà vécu ça et comprennent ce qui se passe »

Yevheniia Stankevych

Déjà près de 2 millions d’Ukrainiens ont fui leur pays attaqué par la Russie et plusieurs dizaines de milliers sont déjà arrivés en Tchéquie - essentiellement des femmes, des enfants et des personnes âgées. Originaire de Dnipro, Yevheniia est une jeune Ukrainienne qui travaille à Prague depuis cinq ans :

Comment vivez-vous à Prague cette douzaine de derniers jours, depuis l’invasion de votre pays par l’armée russe ?

« C’est dur et terrible, parce que je n’arrête pas de lire les nouvelles. Ma vie personnelle est fortement impactée, je ne peux penser à autre chose qu’à la guerre et c’est difficile de continuer à vivre normalement. »

Avez-vous pu faire venir votre famille ?

« Ma mère et mon père sont à Prague. Ma mère devait rentrer le jour de l’invasion et son vol a été annulé. Mon père est ici depuis janvier et il a un visa de travail de trois mois. Je ne sais pas s’il va décider de rentrer pour défendre le pays – cela dépendra de la situation sur place. Ma grand-mère et mon oncle sont au pays, à Dnipro, pour l’instant ils vont bien mais c’est hyper stressant. »

Que pensez-vous de la vague actuelle de solidarité en Tchéquie pour aider les Ukrainiens en fuite ?

« C’est très émouvant. Je pense que personne en Ukraine s’attendait à un tel soutien de la part de gens normaux qui accueillent aussi chaleureusement. Je suis touchée. Peut-être que c’est dû à l’histoire, de 1968 – les Tchèques étaient déjà contre les Russes et c’est plus fort pour eux, ils sont peut-être plus empathiques parce qu’ils ont déjà vécu ça et comprennent ce qu’il se passe. »

Un homme debout au sommet d'un pont détruit à Irpin,  dans la banlieue de Kiev,  en Ukraine,  le mardi 8 mars 2022 | Photo: Felipe Dana,  ČTK/AP

« Sur place j’aurais peut-être aussi pris les armes » 

En cette journée internationale de la femme, le 8 mars, impossible de ne pas parler du fait que ce sont en très grande majorité des femmes qui quittent l’Ukraine, parfois accompagnées d’enfants. Etes-vous en contact avec des Ukrainiennes parties ou en train de partir ?

« Avec ma mère et avec quelques femmes que j’ai rencontrées après que mon manager est allé à la frontière slovaque où il a récupéré des femmes ukrainiennes avec leurs enfants pour les ramener à Prague. C’est dur pour elles d’être à l’étranger comme ça. Je leur ai servi d’interprète pour faire le lien avec les Tchèques qui leur venaient en aide. »

On voit également en Ukraine beaucoup de femmes qui ont pris les armes…

« Oui, je n’en connais pas personnellement mais depuis le début je me dis que si j’avais été sur place j’aurais peut-être aussi pris les armes. »

Des réfugiés ukrainiens à Prague | Photo: Vít Šimánek,  ČTK

On parle déjà de 2 millions d’Ukrainiens partis. Difficile de se dire que ce flot humain va s’arrêter vu l’ampleur de la catastrophe sur place…

« Oui, je pense que cela va continuer, les gens demeurent dans l’inconnu. Si j’avais un enfant j’essaierais de partir. Les deux femmes dont je parlais viennent de la région de Zaporijia – le jour même de l’attaque russe contre la centrale nucléaire elles ont pris la décision de partir avec leurs enfants vu les risques encourus… C’est hyper dangereux. »

Une femme avec un enfant arrive au poste frontière après avoir fui l'Ukraine à Medyka,  en Pologne,  le lundi 7 mars 2022 | Photo: Markus Schreiber,  ČTK/AP

« Plus difficile aujourd'hui en Tchéquie pour les russophones »

Avez-vous entendu parler à Prague de troubles entre communautés russe et ukrainienne installées ici en Tchéquie ?

« Non par entre ces deux communautés, ni avant ni après l’invasion récente. Mais nous par exemple dans notre famille de Dnipro nous parlons russe. Je parle mieux russe qu’ukrainien et je n’en ai pas honte. Mais j’ai entendu que pour les russophones c’est désormais un peu plus difficile en Tchéquie. »

C’est-à-dire qu’en tant qu’Ukrainienne russophone vous pouvez être confrontée à la russophobie ambiante à Prague ?

« C’est ça. J’ai quelques histoires comme ça parmi mes connaissances, comme quelqu’un à qui on a demandé de sortir d’un tramway juste parce qu’il parlait russe. »