Un "anti-enterrement" pour l'anarchiste et défenseur des droits des roms Jakub Polák
Voici un mois, Jakub Polák, figure emblématique de l’anarchisme tchèque, était emporté par un cancer à l’âge de soixante ans. Cofondateur d’un nombre incalculable d’initiatives et de revues militantes, animateur du monde libertaire tchèque, Jakub Polák était surtout connu pour sa lutte obstinée contre les discriminations et les violences faites aux populations roms ; un combat parfois impopulaire dans un pays où le consensus anti-rom est largement partagé.
Polák est un anarchiste et il conteste les notions de propriété et d’autorité. Au contraire, il promeut l’association libre entre individus, l’autogestion qui s’exprime par exemple selon lui à travers le mouvement des squats – il participait encore en juin dernier à la réoccupation temporaire du squat Milada à Prague. Car pour ce militant, reconnaissable entre mille à sa barbe blanchâtre et à ses lunettes noires, l’anarchisme est avant tout une philosophie d’action comme le note son ami et jeune compagnon de route, le politologue Ondřej Slačálek. Celui-ci revient également sur la participation active de Jakub Polák à la revue libertaire A-Kontra :
« Il était le premier à refuser d’être considéré comme le fondateur de ce magazine. Il s’agissait d’une entreprise collective de promotion de l’anarchisme tchèque. Cependant, il faut dire que Jakub était un personnage très fort qui s’est particulièrement investi dans les cinq premières années de la revue A-Kontra et qui a donné un visage à l’anarchisme tchèque dans nombre d’actions publiques. En même temps, pour lui, l’anarchisme était une ‘philosophie de l’action concrète’, qu’il s’agisse de lutter contre l’extrême-droite, de s’engager dans des mouvements écologistes radicaux ou dans l’action envers les squats. » Jakub Polák a pu connaître une certaine notoriété dans les années 1990 par son militantisme antifasciste à une époque où le racisme anti-rom semblait banalisé, un combat qui lui vaudra de recevoir en 2000 le prix Frantisek Kriegel remis par la fondation de la Charte 77. En collaboration avec des associations de défense des droits des roms, Jakub Polák s’implique dans plusieurs affaires de meurtres à caractère raciste commis par des skinheads néonazis, dont sont notamment victimes Tibor Danihel en 1993 à Písek ou Milan Lacka en 1998 à Orlová. Nombreux sont ceux qui considèrent que l’action de Polák a été déterminante dans la condamnation des responsables à une époque où les non-lieux étaient courants dans ce genre d’affaires. Ondřej Slačálek donne quelques précisions sur le sens de l’engagement de Jakub Polák :« Pour Jakub, l’anarchisme cela voulait surtout dire qu’il fallait se tenir du côté des plus faibles, du côté de ceux qui sont les plus menacés, et qu’il était possible d’agir concrètement pour les soutenir. Il était assez ferme là-dessus. Ce qui l’énervait le plus, c’étaient les postures qui ne reposaient sur rien, les actions qui n’étaient pas achevées. »Le mouvement anarchiste reste vivant en République tchèque même si Slačálek regrette qu’il ne soit pas aussi dynamique que dans certains pays de l’ouest de l’Europe. Une semaine après la mort de Jakub Polák, une centaine de militants et de sympathisants se sont réunis sur l’Ile des archers à Prague pour lui rendre un dernier hommage sur des airs de musique tsigane à l’occasion d’une fête intitulée « l’anti-enterrement ».