Un enregistrement sonore d’un orgue offert par Antonín Dvořák exhumé des archives de la Radio
Les archives sonores de la Radio tchèque recèlent parfois de découvertes inattendues : c’est là qu’a été retrouvé un enregistrement unique d’un orgue aujourd’hui disparu acheté par le compositeur Antonín Dvořák et sur lequel il a lui-même joué en son temps.
Si le nom d’Antonín Dvořák est étroitement lié à celui de son village natal de Nelahozeves, à quelques kilomètres de Prague, il l’est aussi avec le village de Vysoká près de Příbram, à 70 km plus au sud, où il allait passer ses étés. C’est dans ce lieu de villégiature qu’il se rendait régulièrement à la messe dans l’église voisine de Třebsko.
« Vysoká est l’endroit qui m’est le plus cher au monde, je me sens très heureux ici : au milieu d’une superbe forêt, je passe les plus belles journées et je ne cesse d’apprécier le chant des oiseaux »,
écrivit un jour le célèbre compositeur à son éditeur. C’est également dans cette région qu’Antonín Dvořák a passé les vingt dernières années de sa vie, jusqu’à sa mort, le 1er mai 1904. Et c’est pour cette église de Třebsko non loin de là qu’il a acheté un orgue en 1894, un instrument qui a aujourd’hui disparu comme le raconte Jan Bondra, l’organiste local :
« Antonín Dvořák avait acheté un orgue pour l’église, qui a malheureusement brûlé en 1953 lorsque l’église a été détruite par un incendie. Rien n’a subsisté, à part le banc sur lequel Antonín Dvořák avait l’habitude de s’asseoir pour jouer. De la façon dont étaient placés l’orgue et le banc, il était possible d’observer ce qui se déroulait en-dessous dans la nef. »
Antonín Dvořák, ce fils de boucher mélomane, a à l’origine une formation d’organiste : c’est à Prague qu’il fera deux ans d’études à l’école dédiée, avant d’entrer comme violoniste dans l’orchestre du Théâtre national de Prague. Mais l’orgue est en effet resté cher à son cœur tout au long de sa vie. On peut donc imaginer que cette affection a joué dans sa volonté de doter l’église qu’il fréquentait près de Vysoká d’un orgue digne de ce nom, comme le note Vojtěch Poláček, directeur du mémorial Antonín Dvořák qui lit une archive d’époque témoignant de ce don :
« Le nouvel orgue a été offert à l’église locale par le célèbre maître de musique, le Dr Antonín Dvořák. Le 8 septembre, il a été consacré et remis à l’église. Il y a ensuite une inscription manuscrite de Dvořák en personne : ‘J’ai joué de l’orgue à Třebsko le 8 septembre 1894. »
« Antonín Dvořák séjournait alors en Amérique, et il ne revenait ici que pour les vacances. Là-bas, il gagnait l’équivalent d’un million de couronnes par mois en monnaie actuelle. A l’époque, un orgue pouvait coûter entre 800 et 1 000 pièces d’or. Cela représentait la moitié du prix d’une maison entière ou de la location d’un appartement à Prague plusieurs années à l’avance. »
L’excellent organiste qu’était Dvořák venait, dès qu’il le pouvait, jouer régulièrement des messes dans l’église, y improvisant même des mélodies. Parmi les œuvres sacrées qu’il y interprétait, sa chanson préférée intitulée Tisíckrát pozdravujeme tebe (Nous te saluons mille fois) qui figure sur l’enregistrement retrouvé dans les archives de la Radio tchèque. Sur cette précieuse bande, on peut ainsi entendre le son de l’orgue offert par Dvořák, mais dont on ne sait qui le joue. Outre cette chanson de pèlerinage marial, on y entend également la Symphonie du Nouveau monde qui a fait la renommée du compositeur dans le monde entier.
En 1941 et 1942, sous l’occupation allemande, dans le cadre d’une campagne nationale intitulée « Les Cloches de ma région », des employés de la radio ont silloné les campagnes tchèques et enregistré les sons des cloches des églises. « Il y avait d’autres choses sur certaines de ces bandes sonores, comme des entretiens avec des locaux. Et sur l’un de ces enregistrements, on pouvait également entendre un orgue », explique Miroslav Turek, archiviste en chef de la Radio tchèque qui a exhumé la pépite.
C’est donc le seul témoignage sonore existant de cet orgue donné par le compositeur tchèque à la communauté des fidèles de la région qu’il aimait tant. Aujourd’hui, l’église de Třebsko restaurée abrite en lieu et place de l’instrument disparu dans les flammes un orgue baroque originaire de Kostelec nad Orlicí.