Un film de l’artiste Julie Béna redonne vie au célèbre critique d’art tchèque Jindřich Chalupecký

Exposition 'Les mondes de Jindřich Chalupecký'

La Bibliothèque municipale de Prague accueille jusqu’au 19 juin prochain une exposition dédiée au célèbre critique d’art tchèque Jindřich Chalupecký (1910-1990). 

Jindřich Chalupecký | Photo: Hamplová,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

Organisée par la Galerie municipale de Prague et la Société Jindřich Chalupecký, elle retrace la vie et met en lumière la personnalité de celui qui est considéré comme l’un des plus grands historiens et théoricien d’art tchèque. Car Jindřich Chalupecký est l’un des premiers à introduire l’art contemporain en Europe centrale et s’ouvre à des enjeux qui résonnent encore aujourd’hui, comme l’écologie ou la place de la femme dans l’art. Il s’intéresse particulièrement aux travaux de l’artiste français Marcel Duchamp et à la place que peut prendre l’art dans nos sociétés contemporaines.

L’exposition met en lumière la personnalité de Jindřich Chalupecký à travers les œuvres d’une soixantaine d’artistes tchèques et étrangers. Parmi eux, Julie Béna, artiste française vivant entre Prague et Paris qui a créé un film en l’honneur de Jindřich Chalupecký, intitulé « Letters from Prague ». Au micro de Radio Prague International, Julie Béna présente cet homme au cœur de l’exposition, avant de parler de ses autres projets.

Exposition 'Les mondes de Jindřich Chalupecký' | Photo: Peter Fabo,  GHMP

« Jindřich Chalupecký a été quelqu’un de très important pour la scène sur des décennies et c’est aussi l’un des seuls historiens et théoriciens de son époque qui a écrit dans des journaux américains, ce qui est incroyable pour l’époque. Le titre du film vient du texte de Jindřich Chalupecký, ‘Letters from Prague’ publié dans des magazines d’art contemporain américain. C’est un théoricien qui a essayé de comprendre et de problématiser le travail d’artistes femmes. Ce qui n’était pas si courant. Bien sûr, il se place dans un contexte, c’est un homme, et nous, nous sommes dans les années que l’on connaît. Par ailleurs, il avait aussi cette volonté d’ouvrir l’URSS sur l’art contemporain. »

Comment vous est venue l’inspiration pour ce film « Letters from Prague » ?

Julie Béna,  'Letters from Prague' | Photo: Společnost Jindřicha Chalupeckého

« C’est un film qui a été commissionné par la Jindřich Chalupecký Society. Il y a trois ans on a commencé à discuter d’un projet autour de Jindřich Chalupecký auquel j’ai été demandée de participer.  Au départ, ça devait être une performance mais le Covid est arrivé et je ne voulais pas faire une performance streamée, pour le genre de travail que je fais ça ne fait pas sens. J’ai donc proposé aux organisateurs de réaliser un film. Le départ, c’est Jindřich Chalupecký. On m’a donné et j’ai lu beaucoup de textes. Je me suis entretenue avec plusieurs personnes pour comprendre un peu le personnage, le contexte. Finalement, le projet a un peu dévié. Mais je ne pense pas que Jindřich Chalupecký serait énervé contre moi ou se retournerait dans sa tombe. La première partie du film qui est une critique d’une exposition est peut-être ce qu’il aurait pu écrire en 2021. On ne sait pas. Dans cette première partie je prends Jindřich à bras le corps. Je m’habille avec un costume, il avait souvent un col roulé et des lunettes. Je le repense, je le ré-imagine et je n’essaye pas de la mimer mais d’être un personnage. »

Quelle pourrait être la principale cause portée par ce film ?

« C’est un film axé sur la détention des corps, quel corps appartient à qui, comment on prend ces corps, comment on les utilise. Bien sûr que ça parle de patriarcat, de féminisme mais il y a différentes problématiques de recherches et axes de pensée. Le film porte sur comment nos corps en tant que femmes nous sont enlevés même par des personnes qu’on aime, même par des personnes qu’on enfante. »

Julie Béna,  'Letters from Prague' | Photo: Společnost Jindřicha Chalupeckého

Est-ce que c’est une problématique sur laquelle vous aviez déjà travaillé ou à laquelle vous aviez déjà pensé ?

« Ca fait assez longtemps que je travaille sur des questions qui sont liées au rapport à la femme. Ça fait quand même dix ans que je développe un travail plus axé sur les questions des corps et du corps de la femme. »

Qu’est-ce que la ville de Prague ou la République tchèque ont pu vous apporter en tant qu’artiste ?

« En tant que citoyenne de l’Europe de l’Ouest, j’ai pu réaliser que l’on est toujours, à l’ouest, dans des espèces de simplifications géopolitiques. Je ne savais même pas ou c’était la République tchèque. On a ce rapport au bloc de l’est qui est une sorte de pure fantaisie. Si vous commencez un peu à voyager dans ces pays d’Europe centrale et de l’Est vous vous rendez compte que c’est quand même très différent culturellement. La Roumanie, la Hongrie, la République tchèque ont différentes histoires géographiques. Vivre à Prague m’a aidée à repenser les choses et remettre en question le contexte dans lequel j’avais évolué et ce que j’avais appris à l’école. »

De façon générale quelles sont vos plus grandes sources d’inspirations à l’origine de tous vos projets ?

« La plupart de mes projets, et surtout mes films, commencent par des interrogations. Ce sont souvent des questions que je me pose au regard de problématiques sociétales. Je n’essaye pas de trouver des solutions dans mes films, mais de faire des recherches pour trouver un terrain un peu plus approfondi de connaissances et pouvoir leur donner une existence plastiquement. C’est mes questions qui guident mon travail. »

Julie Béna,  'Letters from Prague' | Photo: Společnost Jindřicha Chalupeckého

Avez-vous déjà perçu des différences de réception de vos œuvres en République tchèque en comparaison avec la France ou d’autres pays dans lesquels vous avez pu voyager ?

« Je ne crois pas qu’il y ait de différences entre la République tchèque et la France au regard de ses questions-là. Ca dépend beaucoup plus des personnes que des contextes des pays. Pour ce film-là,  présenté à Galerie municipale de Prague, ce dont j’ai pu être témoin, lorsqu’il a été projeté à la Villa Arson il y a quelques mois, c’est que beaucoup de personnes masculines de plus de 50 ans quittaient la salle. Il y a des questions en rapport avec le patriarcat, la masculinité, etc. Et pour certains hommes c’est assez insupportable. On serait plus dans des différences entre les genres qu’entre les nationalités. »

https://www.ghmp.cz/en/exhibitions/svet-jindricha-chalupeckeho/