Un visionnaire : Tomas Bata
Il y a quelques temps s'est achevée la reconstruction de l'usine Bata à Zlin, qui en avait effectivement bien besoin. Une bonne nouvelle, car ce bâtiment condense à la fois la modernité et l'avant-garde architecturale qui caractérisait la ville durant l'entre-deux-guerres. Célèbre fondateur des chaussures du même nom, Tomas Bata aura véritablement crée cette ville, qui symbolise le dynamisme de l'économie tchécoslovaque sous la Première République. Un innovateur, qui a inspiré de nombreux entrepreneurs dans le monde entier.
Bata a sans doute été le premier à introduire les méthodes du fordisme américain en Tchécoslovaquie. Travail à la chaîne, mécanisation des tâches, la rationalisation des moyens de production doit tendre vers un seul but : l'efficacité. C'est dans un même souci de gain de temps que Tomas Bata avait fait aménager son célèbre bureau ascenseur. Il lui permettait, tout en travaillant, de contrôler le travail des employés ou la production aux différents étages, sans quitter son poste de travail ! s'il ne fonctionne plus, on peut à nouveau voir ce bureau ascenseur, ou l'on trouve de tout : téléphone, petit lavabo, collection privée de chaussures et bien sûr, carte du monde.
Cette mappemonde n'est pas un simple signe extérieur d'ambition car Bata, dès les années trente, possédait effectivement des usines dans le monde entier. Dès les années vingt, il compte de nombreuses filiales en Europe (France, Suisse et Grande Bretagne par exemple) mais aussi en Afrique du Nord, en Asie du Sud-est et aux Etats-Unis. Le chemin parcouru depuis les débuts apparaît alors déjà immense.En 1894, Bata fondait un atelier de fabrication de chaussures dans un quartier de Zlin. En 1905, il employait 250 personnes, chiffre non négligeable pour l'époque, et produisait quelques 2 200 paires de chaussures par jour. La guerre qui débute en 1914 voit le développement rapide de l'entreprise. L armée austro-hongroise désigne en effet Bata comme son fournisseur officiel en chaussures ! Mais il ne s'agit pas d'un simple coup de chance pour Bata : son bon sens des réalités économiques permettra à son entreprise de surmonter facilement la crise économique de 1929, son âge d'or durant pendant les années trente. Son idée est simple : face au pouvoir d'achat réduit des consommateurs, il faut produire des chaussures à bas prix.
On peut dire que Bata a crée Zlin. Petite cite agricole du sud-est de la Moravie, elle est devenue, sous son impulsion, une ville ultramoderne capable de répondre aux besoins de 50 000 ouvriers. Dans les années trente, on l'admire pour ses édifices fonctionnalistes. Construites à base de brique rouge avec une grande place laissée au verre, les unités de production offrent une véritable harmonie architecturale. A l'intérieur, tout est climatisé. Quant au monument de Tomas Bata, oeuvre de Gahura, il suscitait l'admiration de Le Corbusier. Les logements des employés sont loin des cites ouvrières crées par les grands industriels de la fin du XIXe siècle comme Schneider en France. La cité ouvrière n'a en fait rien à voir avec un taudis industriel et insalubre. Au 1er plan se dressent les maisons des ouvriers, en briques rouges. Chaque maison possédait eau, gaz et électricité. Tomas Bata fut l'un des premiers industriels à faire participer son personnel aux bénéfices en imaginant l'autonomie comptable des ateliers. La Première République tchécoslovaque possédait l'une des législations sociales les plus avancées d'Europe et l'histoire de Zlin l'illustre bien. Au second plan, se dressent le cinéma et l'hôtel construits par Bata. Tout au loin et déjà dans la verdure: les maisons des gestionnaires. Zlin compte aussi un centre sportif et une maison d'édition. Visionnaire, Bata avait prévu l'apprentissage des langues étrangères, et il n'était pas rare d'entendre parler français ou anglais au déjeuner. Si paternaliste il était, Tomas Bata aura au moins eu le souci d'apporter de véritables connaissances à ses employés.Mais surtout, tout un programme social et éducatif est mis en place. Bata introduit un système d'aide sociale très en avance sur son temps, incluant de bas loyers et des avoirs pour la nourriture. En 1931, il figure comme le premier employeur à introduire la semaine de cinq jours en Tchécoslovaquie. Tout naturellement, il devient rapidement maire de Zlin. Son avant-gardisme sera en quelque sorte fatal à l'entrepreneur. Possédant, c'était alors rare, un aéroplane privé pour ses déplacements, il mourra lors d'un accident par mauvais temps en 1932. Son fils, Tomas Bata Junior, prendra les rênes de cet empire commercial, qui déménagera au Canada lors de la Seconde Guerre mondiale.