Tomáš Baťa, symbole de réussite tchèque dans les affaires
Le 2 septembre a été commémoré le cinquième anniversaire de la disparition de Tomáš Baťa fils. Resté pendant plus de 60 ans à la tête de l'empire de la chaussure portant son nom, Tomáš Baťa est, aujourd’hui encore, un symbole en République tchèque de la réussite dans les affaires. Fondée par son père en 1894 à Zlín, en Moravie, la société des Chaussures Baťa est nationalisée, après le Coup de Prague, et la marque abandonnée. C'est alors que Tomáš Baťa fils se décide à perpétuer l'œuvre familiale en basant au Canada, où il s'était exilé, une nouvelle compagnie qui poursuivra son développement dans le monde entier. Retour sur le parcours exceptionnel de cet homme.
« Avec la mort de Tomáš Baťa s'est refermé tout un chapitre de l'empire Baťa, celui qui était directement lié à la République tchécoslovaque et à la Moravie dont sa famille était issue. Il était le dernier membre de la famille né sur le territoire de notre pays. Contrait de s'exiler en 1938 à cause de la montée du nazisme, ses racines étaient ici, il se sentait lié à jamais à son pays d'origine. »
Le métier de cordonnier est hérité dans la famille Baťa de génération en génération depuis trois cents ans – le nom Baťa apparaît déjà au début du XVIIe siècle dans les registres d'état-civil à Zlín. C'est là que Tomáš Baťa père, en 1894, fonde ce qui devient très vite l'une des plus grandes sociétés de fabrication et de distribution de chaussures. Une société très moderne, inspirée du modèle américain des entreprises automobiles de Henry Ford, avec une cité d'habitation pour les ouvriers et des infrastructures : écoles, hôpital, cinéma, et le premier gratte-ciel en Tchécoslovaquie. Le fondateur de l'empire de la chaussure est allé chercher son inspiration d'abord en Europe, en Allemagne et en Grande-Bretagne, puis finalement aux Etats-Unis. De retour à Zlín, Tomáš Baťa père s'est alors servi de l'expérience emmagasinée et l'a encore perfectionnée, comme le note Jiří Pernes :« Tomáš Baťa a dépassé le modèle américain en ce qui concerne l'organisation du travail et l'idée de co-participation des employés à la prospérité de la firme. Si les entreprises Ford en Amérique ont été les premières à moderniser la production en introduisant le travail à la chaîne, Tomáš Baťa a, lui, encore perfectionné les méthodes de travail en motivant financièrement ses employés pour qu'ils soient intéressés à la production, travaillent mieux et contribuent à une plus grande prospérité. »
La société diffuse ses produits à travers l'Europe. Des filiales sont créées en Amérique du Nord, en Asie et en Afrique du Nord. En 1931, voit le jour en France le site de Bataville. Parallèlement, l'entreprise fait construire une usine en Suisse, à Möhlin. Mais en 1932, le fondateur de l'empire de la chaussure, Tomáš Baťa père, trouve la mort dans un accident d'avion. C'est son demi-frère, Jan Antonín, qui prend les rênes de l'entreprise familiale. L'historien Pernes précise qui est qui dans la dynastie Baťa :« Tomáš Baťa, né en 1876, est le fondateur de la société des Chaussures Baťa à Zlín. Le demi-frère de ce dernier, Jan Antonín Baťa, né en 1898, a dirigé la société après sa mort pour l’amener à son plus grand essor. Le fils aîné du fondateur Tomáš Baťa, qui s'appelle lui-aussi Tomáš, vient au monde en 1914. »
Dans son testament, Tomáš Baťa lègue l'entreprise familiale et la plupart de ses biens à son demi-frère, Jan Antonín. Tomáš fils est alors âgé de 17 ans et ne peut prendre la tête de l'empire. La succession pose un problème à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que le raconte Jiří Pernes :
« A ce moment-là, la direction de la firme décide que la meilleure solution serait que ses propriétaires partent en exil. Ainsi, Tomáš fils s'exile en 1938 à Toronto, au Canada, tandis que Jan Antonín se réfugie aux Etats-Unis. Les nazis, qui occupent à compter de mars 1939 ce qui est resté de la Tchécoslovaquie, placent l'entreprise des Chaussures Baťa sous leur administration. En tant que propriétaire majoritaire, Jan Antonín Baťa est invité à retourner au Protectorat sous peine de voir la firme expropriée. Finalement, c'est la veuve de Tomáš Baťa, Marie, qui rentre à Zlín, et ce bien qu'elle ne détienne pas la majorité des actions de la société. »Durant la guerre, un litige éclate entre Tomáš Baťa junior et son oncle Jan Antonín au sujet des droits de propriété. L'affaire est portée en justice. Tandis que l'entreprise Baťa est nationalisée en Tchécoslovaquie, les deux hommes en exil continuent à se disputer la majorité des actions. Finalement, en dépit de la perte de sa centrale à Zlín, c'est Tomáš fils qui continue à faire grandir l'empire. Pour l'historien Pernes, personne ne s'attendait à ce que le nom de Jan Antonín Baťa se retrouve pendant la guerre sur la liste noire des personnes soupçonnées d'avoir collaboré avec les nazis. L'image de la société en a beaucoup souffert. Pour certains historiens, c'est le président Edvard Beneš qui a sacrifié Jan Antonín Baťa. Jiří Pernes :
« Le président Beneš a joué un grand rôle, tout comme le système politique, la soi-disant démocratie populaire, sans oublier l'ambiance qui régnait en Tchécoslovaquie après 1945. Le président Benes ne nourrissait pas des sentiments de sympathie pour Jan Antonín Baťa, opposant résolu à la signature des Accords de Munich. Il existe des archives prouvant que les autorités tchécoslovaques sont intervenues auprès des Alliés pour qu'ils n'effacent pas le nom de Baťa de la liste noire avant que le tribunal devant lequel Jan Antonín est traduit en Tchécoslovaquie ne prononce son verdict. »
En 1947, Jan Antonín Baťa est condamné par contumace à 15 ans de prison pour « ne pas avoir annoncé publiquement sa décision de prendre part à la résistance contre les nazis. » Plus tard, Tomáš Baťa s'est employé personnellement pour obtenir l'annulation de l'accusation de collaboration et pour réhabiliter le nom de son oncle.
Au Canada, Tomáš Baťa fils a participé activement à la résistance et est devenu officier de l'armée canadienne. La guerre terminée, il a fondé, en 1946, toujours à Toronto, une nouvelle compagnie : la Bata Shoe Organisation qui a ses filiales sur tous les continents.
Après 50 ans d’exil, il retourne à Zlín, après la révolution et à l'invitation de Václav Havel. En 1991, il se voit décerner la plus haute décoration de l’Etat tchèque - l’ordre Tomáš Garrigue Masaryk. Tomáš Baťa est aussi récompensé du prix Gratias Agit pour la propagation de la bonne renommée de la Tchécoslovaquie dans le monde. En quoi, d'après Jiří Pernes, consiste la plus grande contribution de Tomáš Baťa fils à la dynastie Baťa ?« Premièrement, il a pris part, d'une manière dévouée et désintéressée, à la résistance étrangère pendant la guerre. Il a servi dans l'armée canadienne malgré les risques élevés que courait sa mère qui séjournait alors sur le territoire du Protectorat de Bohême-Moravie. Sa plus grande contribution au legs de la dynastie Baťa est d’avoir développé la firme familiale alors que sa centrale de Zlín avait été nationalisée par le régime communiste tchécoslovaque et la marque Baťa saisie. »
Un grand procès a opposé Tomáš Baťa fils au gouvernement tchécoslovaque sur les droits de propriété du nom Baťa, droits qu'il a finalement récupérés. Pourtant, il n'a pas pu restituer les biens familiaux à Zlín. C’est la raison pour laquelle il a racheté une partie de ces biens pour plus de 800 millions de couronnes (32 millions d’euros). En 1992, Tomáš Baťa a investi dans la création à Dolní Němčí, dans les environs de Zlín, d'une usine Baťa qui exporte des chaussures fabriquées à la main en Europe et outre-mer. Le réseau Baťa, c'est aujourd’hui soixante-dix points de vente en République tchèque et treize en Slovaquie. Le magasin qui occupe un immeuble en bas de la place Venceslas, dans le centre de Prague, est le plus grand magasin de l'enseigne Baťa en Europe. Tomáš Baťa fils a été un généreux donateur, notamment au Canada. A Zlín, il a soutenu l'inauguration, en 2001, d'une université portant le nom du fondateur de l'empire de la chaussure Baťa.